J'aime le son du cor, le soir, au fond des bois, Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois, Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille, Et que le vent du nord porte de feuille en feuille. Que de fois, seul, dans l'ombre à minuit demeuré, J'ai souri de l'entendre et plus souvent pleuré! Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques Qui précédaient la mort des paladins antiques. O montagnes d'azur! ô pays adoré, Bois de la Frazona, cirque du Marboré, Cascades qui tombez des neiges entraînées; Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées;
Monts gelés, et fleuris, trône des deux saisons, Dont le front est de glace et le pied de gazons! C'est là qu'il faut s'asseoir, c'est là qu'il faut entendre Les airs lointains d'un cor mélancolique et tendre...
Une biche attentive, au lieu de se cacher, Se suspend immobile au sommet du rocher, Et la cascade unit, dans une chute immense, Son éternelle plainte au chant de la romance.
Ames des chevaliers, revenez-vous encor? Est-ce vous qui parlez avec la voix du cor? Roncevaux! Roncevaux! dans ta sombre vallée L'ombre du grand Roland n'est donc pas consolée?
Tous les preux étaient morts, mais aucun n'avait fui. Il reste seul debout, Olivier près de lui;
L'Afrique sur le mont l'entoure et tremble encore. "Roland, tu vas mourir, rends-toi, criait le More;
Tous tes pairs sont couchés dans les eaux des torrents”. Il rugit comme un tigre et dit: "Si je me rends, Africain, ce sera lorsque les Pyrénées
Sur l'onde avec leurs corps rouleront entraînées.
Rends-toi donc, répond-il, ou meurs, car les voilà.” Et du plus haut des monts un grand rocher roula; Il bondit, il roula jusqu'au fond de l'abîme, Et de ses pins, dans l'onde, il vint briser la cime.
Merci, cria Roland; tu m'as fait un chemin." Et jusqu'aux pieds des monts le roulant d'une main, Sur le roc affermi, comme un géant, s'élance, Et, prête à fuir, l'armée à ce seul pas balance.
Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux Descendaient la montagne, et se parlaient entre eux. A l'horizon déjà, par leurs eaux signalées,
De Luz et d'Argelès se montraient les vallées...
Roland gardait les monts; tous passaient sans effroi. Assis nonchalamment sur un noir palefroi Qui marchait revêtu de housses violettes, Turpin disait, tenant les saintes amulettes:
"Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu; Suspendez votre marche, il ne faut tenter Dieu. Par monsieur saint Denis, certes ce sont des âmes Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes.
"Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor." Ici l'on entendit le son lointain du cor.— L'Empereur étonné, se jetant en arrière, Suspend du destrier la marche aventurière.
"Entendez-vous, dit-il.-Oui, ce sont des pasteurs Rappelant les troupeaux épars sur les hauteurs, Répondit l'archevêque, ou la voix étouffée Du nain vert Oberon qui parle avec sa fée."
Et l'Empereur poursuit; mais son front soucieux Est plus sombre et plus noir que l'orage des cieux. Il craint la trahison, et, tandis qu'il y songe,
Le cor éclate et meurt, renaît et se prolonge.
"Malheur! c'est mon neveu! malheur! car, si Roland Appelle à son secours, ce doit être en mourant. Arrière, chevaliers, repassons la montagne!
Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l'Espagne!"
Sur le plus haut des monts s'arrêtent les chevaux; L'écume les blanchit; sous leurs pieds, Roncevaux Des feux mourants du jour à peine se colore.
A l'horizon lointain fuit l'étendard du More.
"Turpin, n'as-tu rien vu dans le fond du torrent?
- J'y vois deux chevaliers: l'un mort, l'autre expirant. Tous deux sont écrasés sous une roche noire;
Le plus fort, dans sa main, élève un cor d'ivoire. Son âme en s'exhalant nous appela deux fois."
Dieu! que le son du cor est triste au fond des bois!
O Maria-Félicia! le peintre et le poète Laissent en expirant d'immortels héritiers: Jamais l'affreuse nuit ne les prend tout entiers. A défaut d'action, leur grande âme inquiète De la mort et du temps entreprend la conquête, Et, frappés dans la lutte, ils tombent en guerriers. Celui-là sur l'airain a gravé sa pensée;
Dans un rhythme doré l'autre l'a cadencée;
Du moment qu'on l'écoute, on lui devient ami. Sur sa toile, en mourant, Raphaël l'a laissée; Et, pour que le néant ne touche point à lui, C'est assez d'un enfant sur sa mère endormi.
Comme dans une lampe une flamme fidèle, Au fond du Parthénon le marbre inhabité Garde de Phidias la mémoire éternelle Et la jeune Vénus, fille de Praxitèle, Sourit encor, debout dans sa divinité,
Aux siècles impuissants qu'a vaincus sa beauté. Recevant d'âge en âge une nouvelle vie, Ainsi s'en vont à Dieu les gloires d'autrefois ; Ainsi le vaste écho de la voix du génie Devient du genre humain l'universelle voix... Et de toi, morte hier, de toi, pauvre Marie, Au fond d'une chapelle il nous reste une croix.
Une croix! et l'oubli, la nuit et le silence! Écoutez! c'est le vent, c'est l'Océan immense; C'est un pêcheur qui chante au bord du grand chemin. Et de tant de beauté, de gloire et d'espérance, De tant d'accords si doux d'un instrument divin, Pas un faible soupir, pas un écho lointain.
Une croix! et ton nom écrit sur une pierre, Non pas même le tien, mais celui d'un époux, Voilà ce qu'après toi tu laisses sur la terre, Et ceux qui t'iront voir à la maison dernière, N'y trouvant pas ce nom qui fut aimé de nous, Ne sauront pour prier où poser les genoux.
N'était-ce pas hier qu'enivrée et bénie Tu traînais à ton char un peuple transporté, Et que Londre et Madrid, la France et l'Italie, Apportaient à tes pieds cet or tant convoité, Cet or deux fois sacré qui payait ton génie, Et qu'à tes pieds souvent laissa ta charité?
Ne suffit-il donc pas à l'ange des ténèbres Qu'à peine de ce temps il nous reste un grand nom;
Que Gericault, Cuvier, Schiller, Goethe et Byron, Soient endormis d'hier sous les dalles funèbres, Et que nous ayons vu tant d'autres morts célèbres Dans l'abîme entr'ouvert suivre Napoléon?
Nous faut-il perdre encor nos têtes les plus chères, Et venir en pleurant leur fermer les paupières, Dès qu'un rayon d'espoir brillé dans leurs yeux? Le Ciel de ses élus devient-il envieux?
Ou faut-il croire, hélas! ce que disaient nos pères, Que, lorsqu'on meurt si jeune, on est aimé des dieux?
Ah! combien, depuis peu, sont partis pleins de vie! Sous les cyprès anciens que de saules nouveaux! La cendre de Robert à peine refroidie,
Bellini tombe et meurt! Une lente agonie Traîne Carrel sanglant à l'éternel repos.
Le seuil de notre siècle est pavé de tombeaux.
Hélas! Marietta, tu nous restais encore. Lorsque, sur le sillon, l'oiseau chante à l'aurore, Le laboureur s'arrête, et, le front en sueur, Aspire dans l'air pur un souffle de bonheur: Ainsi nous consolait ta voix fraîche et sonore, Et tes chants dans les cieux emportaient la douleur. Ce qu'il nous faut pleurer sur ta tombe hâtive, Ce n'est pas l'art divin, ni ses savants secrets; Quelque autre étudiera cet art que tu créais; C'est ton âme, Ninette, et ta grandeur naïve, C'est cette voix du cœur qui seule au cœur arrive, Que nul autre après toi ne nous rendra jamais.
Ah! tu vivrais encor sans cette âme indomptable. Ce fut là ton seul mal et le secret fardeau Sous lequel ton beau corps plia comme un roseau. Il en soutint longtemps la lutte inexorable. C'est le dieu tout-puissant, c'est la muse implacable, Qui, dans ses bras en feu, t'a portée au tombeau.
Que ne l'étouffais-tu, cette flamme brûlante Que ton sein palpitant ne pouvait contenir !
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