ÆäÀÌÁö À̹ÌÁö
PDF
ePub

Car depuis peu j'ai bâti à Clément,
Là où j'ai fait un grand déboursement,
Et à Marot qui est un peu plus loin ;
Tout tombera qui n'en aura le soin.
Voilà le point principal de ma lettre ;
Vous savez tout: il n'y faut plus rien mettre.
Rien mettre, las! Certes et si ferai,

Et ce faisant mon style hausserai :
Disant, ô roi! amoureux des neuf Muses,
Roi en qui sont leurs sciences infuses,
Roi, plus que Mars d'honneur environné,
Roi, le plus roi qui soit onc couronné,
Dieu tout-puissant te doint, pour t'étrenner,
Les quatre coins du Monde à
gouverner,
Tant pour le bien de la ronde machine,

Que pour autant que sur tous en es digne.

On imagine sans peine que François I., qui se glorifiait du titre de Pere des lettres, voulut bien être le créancier d'un debteur qui empruntait de si bonne grace. Marot eut plus d'une fois besoin de la libéralité et de la protection de son maître. Ses succès en poésie et en amour lui avaient fait des ennemis, et la liberté de ses opinions et de ses discours les irritait encore et leur donnait des armes contre lui. Rien n'est si facile que de trouver des torts à un homme qui a la tête vive et le cœur bon. Il fut plusieurs fois obligé de sortir de France, et mourut enfin hors de sa patrie, après une vie aussi

agitée que celle du Tasse, et à peu près par les mêmes causes, mais bien moins malheureuse, parce que le malheur ou le bonheur dépend principalement du caractere et que celui de Marot était porté à la gaieté, comme celui du Tasse à la mélancolie. Observons que dans l'épître qu'on vient de voir, et dans plusieurs autres, l'oreille de l'auteur lui avait appris que l'enjambement, qui est par luimême vicieux dans l'hexametre, à moins qu'il n'ait une intention marquée et un effet particulier, non-seulement sied très-bien au vers à cinq pieds, mais même produit une beauté rhythmique, en arrêtant le sens ou suspendant la phrase à l'hémistiche.

Bref, le vilain ne s'en voulut aller
Pour si petit....

Finalement de ma chambre il s'en va

Droit à l'étable.....

Voilà comment depuis neuf mois en çà
Je suis traité. . . . .

Cette coupe est très-gracieuse dans cette espece de vers, pourvu qu'on ne la prodigue pas trop; car on ne saurait trop redire à ceux qui sont toujours prêts à abuser de tout, que l'excès des meilleures choses est un mal, et que l'emploi trop fréquent des mêmes beautés devient affectation et monotonie..

GA

Voyez le commencement de l'Epitre sur la calomnie, de Voltaire.

Écoutez-moi, respectable Émilie :

Vous êtes belle : ainsi donc la moitié

Du genre humain sera votre ennemie.
Vous possédez un sublime génie :
On vous craindra : votre simple amitié
Est confiante, et vous serez trahie.

Ces vers sont parfaitement coupés; mais si tous les vers de la piece l'étaient de même, cela serait insupportable.

:

Marot, en s'élevant fort au dessus de ses contemporains, n'eut cependant qu'une assez faible influence sur leur goût, et l'on ne voit pas que la poésie ait avancé beaucoup de son tems. Celui qui s'approcha le plus de lui, fut son ami SaintGelais il a de la douceur et de la facilité dans sa versification, et l'on a conservé de lui quelques jolies épigrammes; mais il a bien moins d'esprit et de grâce que Marot. Celui-ci eut une destinée assez singuliere il eut une espece d'école deux cents ans après sa mort. C'est vers le milieu de ce siecle, et lorsque la langue dès long-tems fixée était devenue si différente de la sienne, que vint la mode de ce qu'on appelle le marotisme. Rousseau, qui avait montré tant de goût et parlé un

si beau langage dans ses poésies lyriques, s'avisa dans ses Épîtres, et plus encore dans ses Allégories, de rétrograder jusqu'au seizieme siecle, et ce dangereux exemple fut imité par une foule d'auteurs. Mais je remets à l'article de ce grand poëte à examiner les effets et l'abus de cette innovation, dont je ne parle ici que pour faire voir combien la tournure naïve de Marot avait paru séduisante, puisqu'on empruntait son langage depuis long-tems vieilli, pour tâcher de lui ressembler. A présent il faut poursuivre l'histoire des progrès de notre poésie.

Les premiers qui essayerent de lui faire prendre un ton plus noble, et d'y transporter quelquesunes des beautés qu'ils avaient aperçues chez les Anciens, furent Dubelley et surtout Ronsard. Ce dernier est aussi décrié aujourd'hui, qu'il fut admiré de son tems, et il y a de bonnes raisons pour l'un et pour l'autre. Si le plus grand de tous les défauts est de ne pouvoir pas être lu, quel reproche peuton nous faire d'avoir oublié les vers de Ronsard tandis que les amateurs savent par cœur plusieurs morceaux de Marot et même de Saint-Gelais, qui écrivaient tous deux trente ans avant lui? C'est qu'en effet il n'a pas quatre vers de suite qui puissent être retenus, grace à l'étrangeté de sa diction (s'il est permis de se servir de ce mot nécessaire,

et que l'exemple de plusieurs grands écrivains de nos jours devrait avoir déjà consacré). Cependant Ronsard était né avec du talent; il a de la verve poétique; mais ceux qui, en lui refusant le jugement et le goût, vont jusqu'à lui trouver du génie, me semblent abuser beaucoup de ce mot, qui ne peut aujourd'hui signifier qu'une grande force de talent. Certainement elle ne peut pas consister à calquer servilement les formes du grec et du latin sur un idiôme qui les repousse. Ce n'est pas non plus par les idées qu'il peut être grand; elles sont ordinairement chez lui communes ou ampoulées; ni par l'invention rien n'est plus froid que son poëme de la Franciade. Ce qui séduisit ses contemporains, c'est que son style étale une pompe inconnue avant lui: quoiqu'étrangère à la langue qu'il parlait, et plus faite pour la défigurer que pour l'enrichir, elle éblouit parce qu'elle était nouvelle, et de plus parce qu'elle ressemblait au grec et au latin, dont l'érudition avait établi le regne, et qui étaient alors généralement ce qu'on admirait le plus.

Ajoutons, pour excuser Ronsard, et ceux qui l'admiraient et ceux qui le suivirent, que le genre noble est sans nulle comparaison le plus difficile de tous; et si ce principe avoué par tous les bons esprits avait besoin d'une nouvelle preuve, nous la

« ÀÌÀü°è¼Ó »