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trouverions dans ce qui est arrivé à la langue française. Avant d'être formée, elle compta de bonne heure des écrivains qui surent donner à sa simplicité inculte les grâces de la naïveté et de la gaieté; mais quand il fallut s'élever au style soutenu, au style des grands sujets, tous les efforts furent malheureux jusqu'à Malherbe, et pourtant ne furent pas méprisables; car il y avait quelque gloire à tenter ce qui était si difficile, et à faire au moins quelques pas hasardés avant que la route pût être frayée. Alors la véritable force, le vrai génie aurait été de sentir quel caractere, quelles constructions, quels procédés pouvaient convenir à notre langue; à la débarrasser des inversions qui ne lui sont point natureiles, vu le défaut de déclinaisons et de conjugaisons proprement dites, et l'attirail d'auxiliaires et d'articles qu'elle traîne avec elle; à purger la poésie des hiatus qui offensent l'oreille, à mélanger réguliérement les rimes féminines et masculines, dont l'effet est si sensible. Voilà ce que fit Malherbe, qui eut vraiment du génie, et qui créa sa langue, et ce que ne fit pas Ronsard, qui n'avait qu'un talent informe et brut, et qui gâta la

sienne.

Il faut étudier ses ouvrages pour y trouver le mérite que je lui ai reconnu malgré tous ses défauts,

et pour y distinguer quelques beautés d'harmonie et d'expression qui s'y rencontrent, au milieu de son enflure barbare. Le systême de sa versification n'est pas difficile à saisir. On voit clairement qu'il veut mouler le vers français sur le grec et le latin; qu'il a senti l'effet des césures variées et des épithetes pittoresques: il les prodigue maladroitement : c'est en général une caricature lourde et grossiere. Mais pourtant il y a quelques traits heureux et dont on a pu profiter; car à cette époque, comme je l'ai déjà dit, celui qui se trompe souvent et qui rencontre quelquefois, ne laisse pas d'être utile. C'est une épreuve où l'art doit absolument passer, et ce n'est pas en ce genre que les sotises des peres, suivant l'expression connue de Fontenelle, sont perdues pour les enfans. Sans doute il y a peu d'art et de mérite à franciser arbitrairement une foule de mots latins ou à latiniser des mots français, pour les accumuler en épithetes; à mettre ensemble les cornes rameuses, les sources ondeuses; à faire rimer à cieux un esprit qui n'est point ocieux; à parler de baisers colombins, turturins ( et je ne cite que ses inventions les moins bizarres); mais on peut le louer d'avoir osé quelquefois avec plus de bonheur, d'avoir trouvé des constructions poétiques, des

césures qui varient le nombre du vers alexandrin, par exemple, dans cet endroit où il dit, en parlant de la fortune:

Elle alaite un chacun d'espérance-et pourtant
Sans être contenté, chacun s'en va content.

L'antithese du second vers, quoiqu'assez ingénieuse, n'est qu'une espece de jeu de mots. Un chacun n'est pas du style noble, et le premier hémistiche offre à l'oreille un son équivoque. Mais ce mot d'espérance, formant la césure au cinquieme pied, coupe le vers de maniere à produire une suspension qui a un effet analogue à l'idée de l'espérance. Ronsard a connu aussi l'usage des phrases d'opposition et d'interposition, autre espece de variété dans le rhythme. Il dit, en parlant du siecle d'or:

Les champs n'étaient bornés, et la terre commune,
Sans semer ni planter,

bonne mere, apportait

Le fruit qui de soi-même heureusement sortait.

Bonne mere, placé là par interposition, est d'un effet agréable.

L'ambition, l'erreur, la guerre et le discord,

Par les Peuples courant-images de la mort....

Le premier hémistiche du second vers est plat:

mais cette apposition, image de la mort, le termine noblement. Ce n'est pas la peine de redire jusqu'où l'a égaré la manie d'introduire dans notre langue les mots combinés; la toux, ronge poumon; le gosier, mâche laurier; Castor, dompte poulain, et mille autres, ni l'abus qu'il a fait des figures: il est tel que l'on a oublié qu'il s'en sert de tems en tems avec une hardiesse poétique, que l'on ne connaissait pas avant lui.

Oisives dans les champs, se rouillaient les charrues.

Ce vers est beau, et l'on a remarqué sans doute les charrues oisives: c'est là vraiment de la poésie.

Mais en donnant quelqu'idée de l'expression et du nombre qui conviennent au vers héroïque et à la versification soutenue, il a donné tant d'exemples vicieux, qu'il aurait fait un mal irréparable si ses succès avaient été moins passagers. Son affectation presque continuelle d'enjamber d'un vers à l'autre, est essentiellement contraire au caractere de nos grands vers. Notre hexametre, naturellement majestueux, doit se reposer sur lui-même; il perd toute sa noblesse si on le fait marcher par sauts et par bonds: si la fin d'un vers se rejoint souvent au commencement de l'autre, l'effet de la rime disparaît, et l'on sait qu'elle est essentielle

à notre rhythme poétique. Il est vrai que par luimême il est voisin de l'uniformité; mais aussi le grand art est de varier la mesure sans la détruire et de couper le vers sans le briser. Le moyen qu'ont employé nos bons poëtes, c'est de placer de tems en tems des césures ou des repos à différentes places, en sorte qu'un vers ne ressemble pas à l'autre ; de ne pas toujours procéder par distiques, et de finir quelquefois le sens en faisant attendre la rime, comme dans cet endroit de Racine :

Il faut des châtimens dont l'Univers frémisse ;

Qu'on tremble-en comparant l'offense et le supplice;
Que les peuples entiers dans le sang soient noyés. -
Je veux qu'on dise un jour aux peuples effrayés :
Il fut des Juifs.

Et ailleurs :

Je l'ai vu tout couvert d'une affreuse poussiere,
Revêtu de lambeaux, tout pâle; mais son œil
Conservait sous la cendre encor le même orgueil.

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Tous ces vers sont d'une coupe différente, et la césure est toujours placée avec une intention relative au sens. La césure est différente de l'hémistiche, en ce qu'elle se place où l'on veut ; mais l'hémistiche exprime essentiellement la moitié d'un vers divisé en deux parties égales. On peut aussi en varier

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