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produire cette paix intérieure et cette parfaite tranquillité, en quoi toutes les opinions con» viennent que consiste le souverain bien. »

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On connaissait déjà, graces à Boileau, quelques traits de la muse de Chapelain; mais j'ai cru que peu de gens connaissaient sa prose, et que cet échantillon pouvait paraître curieux. On voit qu'il est bon quelquefois de tout lire, et de feuilleter jusqu'aux préfaces de ces poudreux auteurs, placés comme des épouvantails dans les bibliotheques, où ils semblent se défendre par leur masse in-folio autant que par l'effroi que leur seul titre inspire. Il faut bien ne pas s'épouvanter, et se résoudre à acheter quelques découvertes par un peu d'ennui. On trouvera d'abord tout simple qu'il n'y ait pas beaucoup de poésie dans une tête remplie de ce galimathias métaphysique. Mais dans le fait, ce n'était qu'un tribut payé à la mode généralement reçue, d'affecter une érudition scholastique, et il est probable que Chapelain, dont l'ouvrage, ridicule par le style, n'est pas déraisonnable par le fond, avait arrangé toutes ses allégories sur son plan déjà tout fait, et non pas son plan sur les allégories. Ce qui rend cette opinion plausible, que le Tasse lui-même donna une explication peu près semblable de sa Jérusalem délivrée, qui n'en est pas moins un ouvrage admirable. On sait

c'est

qu'il ne prit ce parti que pour répondre aux criti

er pour

les

ques qui avaient blâmé ses fictions, et rendre respectables sous le voile de l'allégorie morale et religieuse, qui semblait alors devoir

tout consacrer.

Parmi tous ces malheureux poëtes épiques, ensevelis dans la poussiere et dans l'oubli, celui qui eut le plus d'imagination est sans contredit le P. Lemoine, auteur du Saint-Louis. Ce n'est pas que son ouvrage soit fait pour attacher par la construction générale ni par le choix des épisodes. Il invente beaucoup, mais le plus souvent mal : son merveilleux n'est le plus souvent que bizarre; sa fable n'est point liée, n'est point suivie; il ne sait ni fonder ni graduer l'intérêt des événemens et des situations : c'est un chaos d'où sortent quelques traits de lumiere qui meurent dans la nuit. Mais dans ses vers il a de la verve, des morceaux dont l'intention est forte, quoique l'exécution soit très imparfaite. Voilà ce qu'on aperçoit quand on a le courage, à la vérité difficile, de lire dixhuit chants remplis de fatras, d'enflure et d'extravagance. Mais pourquoi cet auteur né avec du talent, pourquoi l'auteur du Moyse, Saint-Amand, qui n'en était pas dépourvu, pourquoi Brébeuf qui en avait encore davantage, pourquoi ces trois hommes n'ont-ils écrit que d'illisibles ouvrages,

précisément à la même époque où Corneille donnait tous ses chefs-d'œuvre? Ce n'est pas seulement à cause de la disproportion du génie : sans égaler les sublimes conceptions de Corneille, on pouvait du moins mériter d'être lu. Qui donc les a détournés si loin du but, quand lui seul savait y atteindre? Qui leur a fait parler un langage si étrange, quand le sien était souvent si beau dans Cinna et dans les Horaces? Il faut chercher dans le ton général de leurs écrits le principe de leur égarement: il est d'autant plus digne d'attention, que c'est absolument le même qu'on a voulu et qu'on voudrait encore faire revivre au milieu de tant de grands modeles, et qui contribue le plus à corrompre le goût et à ramener la barbarie après un siecle de lumieres. C'est le facile et malheureux abus du style figuré, c'est la folle persuasion que la poésie consiste, non pas dans le choix des figures, mais dans leur accumulation; non pas dans la justesse et la vérité des métaphores, mais dans leur hardiesse bizarre; c'est l'habitude de croire qu'il faut être toujours outré pour être fort, exagéré pour être grand, recherché pour être neuf. Ouvrez le SaintLouis, et vous ne lirez jamais vingt vers sans y trouver ce caractere constamment soutenu, c'està-dire, l'enflure de la diction dès que l'auteur veut s'élever. Veut-il peindre une flotte nombreuse?

Jamais un camp plus beau ne roula sur la mer,
Ni plus belles forêts ne volerent en l'air.
Le soleil, pour les voir, avança la journée.

Les ailes de leurs mâts à l'air ôtent le jour.

Concevez, s'il est possible, comme on ôte le jour à l'air. Il appelle une lance un long frêne ferré, les étoiles un roulant émail. Veut-il peindre des pavillons flottans dans les airs?

L'or de son pavillon jouait avec le vent.

Un guerrier reçoit-il un coup dans les yeux?
Et la nuit lui survint par les portes du jour.

Un enfant est-il venu au monde en donnant la mort à sa mere?

Je sortis d'une morte et je naquis sans mere.

Parle-t-il de guerriers dont la fureur étincelle dans leurs regards?

Leur cœur monte à lears yeux et par leurs yeux menace.

Un autre tombe-t-il en défaillance?

Il a la nuit aux yeux et la mort au visage.

Un auteur de nos jours a imité heureusement cette heureuse tournure, en disant d'une femme

La perle aux dents, la neige au sein.

Voilà comme le bon goût se perpétue.

Ce

Ce sont ces erreurs et ces travaux que Boileau combattait, lorsqu'il disait dans son Art poétique:

La plupart emportés d'une fougue insensée,

Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée. Ils croiraient s'abaisser dans leurs vers monstrueux, S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme eux.

Ce sont ces ridicules si long-tems en crédit, dont Moliere se moquait dans son Misantrope.

Ce style figuré dont on fait vanité,

Sort du bon caractere et de la vérité.

Ce n'est que jeu de mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est point ainsi que parle la nature.

Racine et Despréaux avaient ramené la poésie à son véritable esprit : ils avaient écrit parmi nous, comme Horace et Virgile chez les Latins. Rousseau dans ses belles odes, Voltaire dans ses belles tragédies et dans la Henriade, avaient suivi la même route. Les vrais principes du style, fondés sur la nature et le bon sens, sur des modeles avoués dans tous les siecles, semblaient irrévocablement fixés. Il était reconnu que plus on s'en approchait, plus on avait de talent; que plus on s'en éloignait, moins on savait écrire. Mais qu'est-il arrivé? C'est ici le lieu de développer ce que j'ai indiqué plusieurs fois, de démontrer un fait qui doit avoir sa place Cours de littér. Tome IV.

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