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dans l'histoire littéraire, et qui, moins sensible peutêtre aux yeux des gens du monde, pccupés d'autre chose, a dû frapper davantage les gens de l'art, intéressés, comme de raison, à l'objet de leurs études. La littérature a ses tems de schisme et d'hérésie : différentes erreurs ont régné à différentes époques : j'aurai l'occasion de les rappeler successivement. Celle dont je veux parler ici s'est accréditée depuis environ dix ans : on la retrouve érigée en systême dans une foule d'écrits de toute espece, mais surtout dans des compilations périodiques, qui sont malheureusement ce qu'on lit le plus. Cette théorie que je vais combattre, est née de l'impuissance. On a senti la prodigieuse difficulté de produire des beautés nouvelles sans s'écarter du bon sens : les mauvais auteurs, devenus plus forts par leur nombre, par leur réunion, par tous les moyens dont ils disposent, se sont lassés d'avoir toujours devant les yeux cette comparaison des écrivains classiques, qui les mettait à leur place, et cette rigueur des principes reçus qui servait à les juger. Il se sont crus en état de secouer le joug, et au moment de pouvoir risquer une révolte ouverte. Ainsi, d'un côté, én renversant tout l'édifice de notre systême théâtral, élevé par les Corneille', les Moliere, les Racine, les Voltaire, en foulant aux pieds avec mépris toutes les regles qu'ils ont

suivies, on a imprimé ces propres mots : Il flotte enfin dans les airs, le drapeau de la guerre littéraire, etc. et l'on a prédit que cette guerre finirait par l'entiere destruction de notre scene, qui doit tomber pour faire place à un nouveau systême dramatique. D'un autre côté ( et cette autre révolte, moins mal-adroitement concertée, a été beaucoup plus contagieuse), on a dit hautement qu'il fallait substituer une nouvelle poésie à la nôtre, qui était trop timide; et sans examiner si notre langue en comportait une autre et si nos grands écrivains l'avaient bien ou mal connue, on a affecté de répéter sans cesse que le vrai génie poétique consistait dans ce que Racine le fils appelle fort bien des alliances de mots: on a dit que Voltaire en avait peu et qu'il était peu poëte; que Racine et Boileau n'en avaient pas assez en conséquence on a cent fois loué avec profusion, dans de très-mauvais ouvrages, quelques beaux vers qui pourtant n'étaient beaux que parce qu'ils étaient faits suivant les bons principes; et quant à la foule des mauvais, on n'a guere essayé de les défendre en détail, parce qu'on aurait trop choqué l'évidence; mais on a toujours répété que c'était là du génie poétique, et qu'il n'y manquait qu'un peu plus de goût. On n'a pas osé non plus soutenir formellement que des ouvrages tombés

du poids de l'ennui, après avoir été exaltés, étaient de bons ouvrages; mais on ne parlait de leurs fautes mêmes qu'avec le ton d'admiration, qui invite à en commettre de semblables. Il y a des gens qui prétendent que tout cela est indifférent; ils se trompent: c'est là ce qui égare presque tous les jeunes écrivains. Nous en voyons la preuve dans les concours académiques: dans la multitude des pieces dont on ne peut pas lire vingt vers de suite, il y en a quelques-unes dont les auteurs annoncent du talent; mais on voit clairement qu'ils font tous les efforts imaginables pour écrire mal: on y reconnaît une prétention, une recherche continuelle, l'ambition des figures, la manie des métaphores, l'envie d'imiter de mauvais modeles. Il peut donc être utile de détruire leurs erreurs de les ramener à des notions plus justes. Il faut bien revenir alors sur des vérités familieres aux bons esprits; mais on ne peut pas réfuter autrement ceux qui les combattent, ni éclairer ceux qui les oublient; et quand on répond à ce qui est déraisonnable, on est forcé de redire ce qui est connu.

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Les figures par elles-mêmes ne sont point une beauté c'est tout ce qu'il y a de plus facile et : de plus commun. Le langage du bas peuple en est

rempli, et Boileau disait qu'on entendrait aux

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halles plus de métaphores en un jour, qu'il n'y en a dans toute l'Énéide. La beauté consiste donc. dans l'usage et le choix des figures. En effet, quel en est l'objet ? Que veut-on faire quand on passe du propre au figuré? Rendre son idée plus sensible et plus frappante. Eh bien! si l'image est fausse, si la métaphore est forcée, si elle est outrée, l'idée, le sentiment que vous voulez exprimer, n'y perdent-ils pas au lieu d'y gagner? Vous. faites donc tout le contraire de ce que vous vouliez faire. Est-ce là de la force ou de la faiblesse ? Vous voulez me peindre une flotte nombreuse qui vogue à pleines voiles. Vous cherchez une image; fort bien. Vous me dites que jamais plus belles forêts n'ont volé dans l'air. Croyez-vous avoir présenté à mon imagination un tableau fidele? Vous ne m'avez offert qu'une chimere et une image fausse.. Ne dirait-on pas d'abord que les forêts ont coutume de voler dans l'air? Quand même les forêts voleraient dans l'air, elles ne ressembleraient point à une grande flotte. On a dit, même en prose, une forêt de mâts et la métaphore est juste: elle ne montre que les arbres des forêts taillés en mâts, et j'en saisis sur le champ le rapport. On dirait de même d'une flotte en mer, qu'on croit voir une forêt mouvante, parce que le mouvement d'une multitude de mâts peut ressembler en quelque sorte à

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celui des arbres agités par le vent. Ainsi Rousseau a dit, dans une de ses odes:

A l'aspect des vaisseaux que vomit le Bosphore,
Sous un nouveau Xerxès, Thétis croit voir encore
Au travers de ses flots promener les forêts.

lent;

- Observons ici l'art de rendre vraisemblables et naturelles les figures les plus hardies. Certainement les forêts ne se promenent pas plus qu'elles ne vomais voyez comme le poëte nous conduit par degrés jusqu'à l'idée qu'il veut offrir. C'est d'abord Thétis qui croit voir; ce n'est pas une réalité ; c'est au travers de ses flots; voilà l'imagination fixée; il ne reste plus qu'à pouvoir prendre les mâts pour des forêts mouvantes, et nous avons vu que cette figure ne répugnait pas. Mais quand vous dites : Jamais plus belles forêts ne volerent par les airs, vous entassez trois ou quatre figures les unes sur les autres, dont pas une ne me rappelle des vaisseaux, et ce n'est plus une image, mais une énigme, Voltaire, dans sa tragédie d'Alzire, a dit en trèsbeaux vers:

Je montrai le premier aux peuples du Mexique,
L'appareil inoui pour ces mortels nouveaux

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De nos châteaux ailés qui volaient sur les eaux.

Rien n'est plus brillant que cette métaphore, ni

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