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en même tems plus naturel pár la maniere dont elle est placée; car supposons qu'Alvarès, n'ayant point à parler des Mexicains.ni de l'effet que pro2 duisit sur eux la premiere vue des vaisseaux européens, eût dit, en parlant du départ de la flotte espagnole pour toute autre expédition :

Et nos châteaux ailés volerent sur les eaux,

il eût fait de la poésie très-mal-à-propos; il eût abusé des figures; car ce n'est pas à lui à voir dans des vaisseaux des châteaux ailés. Mais le cas est bien différent. Il a montré le premier à des peuples noùveaux un appareil inoui pour eux.....Voilà l'imaġination préparée. En prose il aurait achevé ainsi : De nos vaisseaux, qui leur semblaient des châteaux ailés; mais c'eût été trop languissant en vers. Tout ce qui précede rend le sens suffisamment clair. Il a recours à la figure rapide de l'ellipse: il s'exprime comme si c'était pour lui-même que ces navires fussent des châteaux ailés, parce qu'on ne peut pás s'y méprendre; et conservant la marche poérique sans blesser la vraisemblance, il peut dire : 1

L'appareil inoui pour ces mortels nouveaux,
De nos châteaux ailés qui volaient sur les eaux.

Et cette ellipse qu'on entend très-bien, est une nouvelle beauté et une finesse de l'art. Remarquons

encore la filiation des idées si essentielles au style. S'il eût donné au mot de châteaux toute autre épi→ thete que celle d'ailés, le vers perdrait beaucoup. Mais ailés amene naturellement qui volaient sur les eaux, et c'est ainsi qu'on est tout à la fois naturel pour contenter la raison, et hardi pour satisfaire la poésie.

Je me suis un peu étendu sur cet article, pour faire bien sentir que l'effet des figures dépend toujours de la vérité des rapports physiques ou moraux et de la liaison des idées. On peut juger combien il faut de talent pour y réussir. Aussi les figures bien employées sont une des parties principales du grand écrivain; mais les employer mal est à la portée de tout le monde. En voilà beaucoup à propos d'une métaphore; mais on connaît le mot de Marcel : Que de choses dans un menuet! et en passant du petit au grand (car il faut bien soutenir notre dignité), on nous permettra de dire : Que de choses dans un beau vers!

Mais ce n'est pas assez que les figures soient parfaitement justes, il faut encore qu'elles soient adaptées à la nature du sujet. Ce vers du SaintLouis que j'ai cité tout à l'heure :

L'or de son pavillon jouait avec le vent,

indépendamment de ses autres défauts, a celui de

pécher contre la convenance de ton; car en supposant même que l'or pût jouer avec le vent, et que l'or, qui n'est ici que figuré, puisse, par une autre figure, être personnifié ( ce qui est ridicule), jouer avec le vent serait encore une expression au dessous du style noble, et indigne de l'épopée. Ceci tient aux nuances du langage: se jouer peut entrer dans le style le plus oratoire et le plus poétique : la Fortune se joue des grandeurs, le Zéphyr se joue dans le feuillage, etc. Tout cela est fort bon. Mais jouer peut être difficilement au dessus du familier, parce qu'il rappelle trop l'idée des amusemens puérils.

Ce n'est pas tout encore : quand même les figures seraient toutes excellentes en elles-mêmes, il faut en user avec sobriété; car c'est un ornement, et il faut le ménager; cest un art, et il ne faut pas trop montrer l'art; c'est une partie de l'art, et ce n'est pas à peaucoup près l'art tout entier. Ils .se trompent donc étrangement, ceux qui affectent de vouer à cette espece de beauté une admiration si exclusive, qu'ils semblent ne reconnaître, ne sentir en poésie aucune autre sorte de mérite. Il n'est que trop commun de voir de prétendus juges refuser leur estime à des ouvrages écrits avec la plus heureuse élégance, et qui réunissent l'intérêt de style, la noblesse, l'harmonie et le sage emploi

des figures. Tout cela n'est pas assez pour eux : Il n'y a, disent-ils, rien qui étonne, rien d'extraordinaire ; enfin, point d'alliances de mots. C'est ce que j'ai entendu dire de la Henriade, même à des gens d'esprit ; car la mode se mêle de tout, et l'on parle aujourd'hui des alliances de mots comme si elles n'étaient découvertes que d'hier: il faut donc en parler ici. Ce qu'on appelle alliances de mots est une espece de métaphore plus hardie que les autres ; elle consiste dans le rapprochement de deux idees, de deux mots qui semblent s'exclure, comme dans ce vers de Corneille :

Et monté sur le faîte, il aspire à descendre.

Il desire de descendre serait très-simple. Mais le mot aspire suppose un objet élevé, et pourtant s'applique ici à descendre: de là l'énergie de la pensée et de l'expression. Le vœu de l'ambition, qui est ordinairement celui de monter, est ici de descendre. Racine trouvait ce vers sublime et il s'y connaissait. Lui-même a su employer cette figure, et plus souvent que Corneille. Il dit dans Britannicus :

Dans une longue enfance ils l'auraient fait vieillir.

L'enfance et la vieillesse semblent s'exclure. Elles sont ici réunies, et le sens est trop clair pour être expliqué. L'idée est moins forte, moins profonde

que celle du vers de Corneille; mais vieillir dans une longue enfance est une métaphore bien singu liérement heureuse, et une de ces expressions que Boileau appelait trouvées.

Le pere

du Glorieux dit à son fils qui se jette à

ses pieds, en le priant de ne pas se découvrir :

J'entends, la vanité me déclare à genoux,

Qu'un pere malheureux n'est pas digne de vous.

La vanité à genoux semble offrir deux choses contradictoires. Ce vers est admirable et du très-petit nombre de ceux qui prouvent que la comédie peut quelquefois s'élever au sublime.

Voilà de beaux exemples d'alliances de mots. Il y en a une peut-être au dessus de toutes les autres : elle est de Voltaire, à qui l'on reproche de n'en pas avoir. Gengiskan, dans la tragédie de l'Orphelin de la Chine, veut exprimer le vide. que la grande fortune avait laissé dans son ame avant qu'il aimât Idamé.

Tant d'États subjugués ont-ils rempli mon cœur ?

Ce cœur lassé de tout, demandait une erreur
Qui pût de mes ennuis chas er la nuit profonde,
Et qui me consolât sur le trône du Monde.

Consoler sur le trône du Monde ! quel sentiment à la fois touchant et profond! et comme ces deux idées, qui paraissent si loin l'une de l'autre, sont

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