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les ténebres qui portent le deuil du jour? Il est difficile en effet de prendre à personne de pareilles choses: elles sont trop originales. Ce qui m'étonne, c'est qu'on ne cite pás aussi comme bien hardi et bien poétique le soleil qui se rend à son gite. Cette énorme platitude donne lieu à une derniere observation, c'est qu'à entendre les panégyristes de l'auteur du Saint-Louis, il n'a d'autres défauts que d'abuser de son esprit et de son imagination y úne expression quelquefois outrée et de mauvais goût, dés idées souvent défigurées par trop de recherche toutes choses qu'on pourrait dire d'auteurs estimables d'ailleurs, et dont les beautés racheteraient suffisamment les défauts. La vérité est que, dans ce long fatras dont la lecture est insoutenable, il y a autant de trivialité que d'enflure, autant de prosaïsme bas et dégoûtant que d'extravagante emphase. On en peut juger par ces vers pris au hasard.

Ils suivaient Gargadan, le célebre joûteur,
Dont le harnois, charmé par Emir l'enchanteur,
Sous le fer émoulu, plus ferme qu'une enclume,
S'étonnait aussi peu d'un dard que d'une plume.
Et ailleurs :

Un garde cependant au prince donne avis

Que deux grands étrangers d'un riche train suivis,
Sont venus, députés pour une grande affaire,

De la

part du sultan qui regne sur le Caire.

Cours de littér. Tome IV.

M

Ne reconnaît-on pas là un écrivain qui, gâtant les grands objets par l'exagération, ne sait pas anoblir les petits par un peu d'élégance ?

Le résultat des éditeurs répond à ce qui a précédé, « Tel est le poëme de Saint-Louis, l'ouvrage » peut-être le plus poétique que nous ayons dans notre » langue,» (Ceux qui l'entendent bien, savent que cette formule de doute équivaur à peu près à l'affirmation.....) « malgré ses défauts.» (Remarquez cette expression si réservée, quand il s'agit de l'assemblage de tous les vices les plus monstrueux qui puissent déshonorer le goût, l'esprit et le langage.) Malgré ses défauts, nous croyons qué les ouvrages du P. Lemoine sont une véritable école de poésie, » et qu'une pareille lecture, faite néanmoins avec précaution (c'est quelque chose: on ne parlerait pas autrement de Corneille), peut être utile aux jeunes poëtes, dans un tems surtout où notre poésie, à force de raison, est devenue peut-être » trop timide, et où notre langue a perdu de sa » richesse en s'épurant. »

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Voilà donc ce qu'on imprime à la fin du dixhuitieme siecle! voilà les belles leçons qu'on nous donne! Ainsi donc les ouvrages les plus poétiques de notre langue ne sont pas sans contredit ceux des Boileau et des Rousseau, ceux des Racine et des Voltaire, qu'on lit sans cesse et qu'on sait

par cœur ; c'est peut-être le poëme de Saint-Louis, que personne ne lit ni ne pourrait lire, et dont personne ici peutêtre ne savait un seul vers! Il y en a quelques-uns d'heureux parmi ceux qui sont rapportés dans les Annales poétiques : il y en a même qu'on n'a point cités, et qui m'ont paru plus beaux et moins défectueux, quoiqu'on y aperçoive encore quelque rouille. Tel est cet endroit où le sultan d'Egypte descend dans les souterrains destinés à conserver les corps embaumés de ses ancêtres.

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Sous les pieds de ces monts taillés et suspendus,
Il s'étend des pays ténébreux et perdus,
Des déserts spacieux, des solitudes sombres,
Faites pour le séjour des morts et de leurs ombres.
Là sont les corps des rois et les corps des sultans,
Diversement rangés selon l'ordre des tems.
Les uns sont enchâssés dans de creuses images
A qui l'art a donné leur taille et leurs visages,
Et dans ces vains portraits qui sont leurs monumens
Leur orgueil se conserve avec leurs ossemens.
Les autres embaumés sont posés en des niches
Où leurs ombres, encore éclatantes et riches,
Semblent perpétuer, malgré les lois du sort,
La pompe de leur vie en celle de leur mort.
De

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ce muet sénat, de cette cour terrible,
Le silence épouvante et la face est horrible.
Là sont les devanciers avec leurs descendans ;
Tous les regnes y sont : on y voit tous les toms ;

Ma

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Et cette antiquité, ces siecles dont l'Histoire
N'a pu sauver qu'à peine une obscure mémoire,
Réunis par la mort en cette sombre nuit,

Y sont sans mouvement, sans lumiere et sans bruit.

Si le P. Lemoine avait un certain nombre de pareils morceaux, il y aurait de quoi excuser toutes ses fautes: il mériterait d'être lu, et il le serait.. Mais j'ose assurer qu'on n'en trouverait pas un second, écrit et conçu de cette maniere. Ce qu'il peut avoir de bon d'ailleurs consiste en quelques traits, quelques expressions, quelques vers épars çà et là, le tout noyé dans le galimathias. Et n'est-ce pas tendre un piége aux jeunes gens, que de leur dire: Voilà l'école de la poésie? Quand on n'a parlé de ses fautes innombrables et impardonnables que pour les excuser ou même les exalter, n'est-ce pas dire en quelque sorte: Faites de même, et vous passerez pour avoir du génie? Soyez enflé, et vous paraîtrez hardi soyez insensé, et vous serez poétique. Encore si l'on disait que des écrivains d'un goût formé peuvent trouver dans ces vieux poëtes quelques beautés informes, quelques idées ébauchées dont il est possible de tirer parti, cela ne serait pas dépourvu de vérité. Mais de semblables modeles ne sont-ils pas pour les éleves, infiniment plus dangereux qu'utiles? Il n'y a que ceux qui par état sont à portée de voir et d'entendre tous તે

des jours les jeunes littérateurs, qui sachent combien ils sont infectés de mauvais goût et de faux principes. Convient-il de les y affermir au lieu de les en détourner? Faut-il les rappeler de l'école de Despréaux, pour les envoyer à celle du P. Lemoine ?

Je n'insisterai pas sur l'injure que l'on fait à nos poëtes classiques, en trouvant l'auteur du SaintLouis plus poëte qu'eux. C'est un outrage sans conséquence, auquel ils répondent assez par un siecle de gloire et le suffrage de toutes les nations. Je me contenterai d'affirmer avec tous les connaisseurs, que si l'on donne aux mots leur acception légitime, si la vraie poésie n'est en effet que l'expression de la belle nature, le langage de l'imagination conduite par la raison et le goût, l'accord heureux et soutenu de la force et de la justesse, du sentiment et de l'harmonie, il y a plus de poésie cent fois dans Athalie, dans la Henriade et même dans le Lutrin, que dans les dix-huit mortels chants du Saint-Louis. Qu'il me soit permis, pour sortir de toute cette barbarie, de finir par un morceau de cette Henriade qu'il est de mode aujourd'hui de dénigrer. Il suffit pour faire voir si nous sommes en effet si timides, et si notre poésie, sous la plume d'un grand maître, ne sait pas exprimer

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