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bilet, avait traduit l'Iphigénie en Aulide: aucune de ces pieces ne fut représentée. Jodelle, sans prendre ses sujets chez les Grecs, voulut du moins traiter à leur maniere ceux de Cléopâtre et de Didon ; · il imita leurs prologues et leurs chours; mais il n'avait aucune étincelle de leur génie, aucune idée de la contexture dramatique : tout se passe en déclamations et en récits. Le style est un mélange. de la barbarie de Ronsard et des froids jeux de mots que les Italiens avaient mis à la mode en France. Cependant sa Cléopâtre eut une grande réputation: la difficulté était de la représenter. Les Confreres de la passion et les Bazochiens, alors en possession des spectacles privilégiés, étaient bien éloignés de se prêter à établir un genre de pieces qu'ils regardaient comme étranger, et qui pouvait nuire à leurs trétaux. Dans ces circonstances, Jodelle reçut des gens de lettres, ses confreres et ses rivaux, une marque de zele aussi honorable pour eux que pour lui, et qui prouve qu'au moment de la naissance des arts, l'amour qu'ils inspirent est moins altéré par la jalousie, qu'au tems où les inquiétudes de l'envie et les prétentions de l'amour propre se multiplient en proportion du nombre des concurrens. Jean de la Péruse, Remi Belleau et quelques autres poëtes se réunirent avec l'auteur de Cléopâtre pour jouer sa piece au collége

de Rheims, devant Henri II et toute sa cour. Jodelle, qui était jeune et d'une figure agréable, se chargea du rôle de la reine d'Égypte. Cette représentation eut beaucoup de succès, et ce fut un événement assez considérable pour que Pasquier en fit depuis mention dans ses Recherches historiques. C'est lui qui nous apprend ces détails, et que le roi gratifia l'auteur d'une somme de cinq cents écus de son épargne, d'autant, dit Pasquier, que c'était chose nouvelle et très-belle et très rare. Jodelle, encouragé par ce premier succès, fit une comédie en cinq actes et en vers, intitulée Eugene : c'était encore une nouveauté, et par conséquent une belle chose, du moins pour ceux qui ne connaissaient rien de mieux. Mais comment Ronsard, qui avait lu les Anciens, pouvait-il dire :

Jodelle le premier, d'une plainte hardie,
Françoisement chanta la grecque tragédie,
Puis, en changeant de ton, chanta devant nos rois
La jeune comédie en langage françois,

Et si bien les sonna, que Sophocle et Ménandre,
Tant fussent-ils savans, y eussent pu apprendre.

C'est une preuve que Ronsard n'avait pas plus de goût dans ses jugemens que dans ses vers. Assurément Sophocle et Ménandre n'auraient rien appris à l'école de Jodelle, si ce n'est que celui-ci n'avait pas assez étudié dans la leur.

Cependant les Confreres de la passion, à qui le parlement avait défendu de jouer davantage les

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mysteres de notre religion, et qui avaient pris le nom de comédiens de l'hôtel de Bourgogne, voyant le succès qu'avaient eu les pieces de Jodelle, consentirent à les jouer et y attirerent la foule, en sorte que, du moins sous ce rapport, il peut être regardé comme le fondateur du théâtre. Son ami Jean de la Péruse fit représenter une Médée, traduite de Séneque, qui fut imprimée depuis, et retouchée par Scévole de Sainte-Marthe. SaintGelais traduisit la Sophonisbe du Trissin. Grévin fit jouer au collége de Beauvais une Mort de César, dont la versification est moins mauvaise que celle de Jodelle; il y a même des morceaux de force: tel est celui-ci, dont il ne faut juger que le fond, sans faire attention au langage.

Alors qu'on parlera de César et de Rome,
Qu'on se souvienne aussi qu'il a été un homme,
Un Brute, le vengeur de toute cruauté,

Qui aurait d'un seul coup gagné la liberté.
Quand on dira: César fut maître de l'Empire,
Qu'on sache quand et quand Brute le sut occire.
Quand on dira: César fut premier empereur,
Qu'on dise quand et quand Brute en fut le vengeur.

Qu'on mette ces idées en vers tels qu'on en peut faire aujourd'hui, on verra qu'elles sont grandes et

fortes, et du ton de la tragédie : il n'y a pas dans

Jodelle un seul morceau de ce mérite.

Jean de la Taille imita dans sa tragédie des Gabaonites quelques situations des Troyennes d'Eu ripide. Un autre transporta dans celle de Jephté quelques scenes de l'Iphigénie en Aulide. Mais on empruntait sans devenir plus riche, et toutes ces imitations étaient défigurées par le plus mauvais goût. Le style ne cessait d'être plat que pour être ridiculement affecté.

L'amour mange mon sang, l'amour mon sang demande.

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Votre enfer, dieu d'enfer, pour mon bien je desire,
Sachant l'enfer d'amour de tous enfers le pire.

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Voilà le style de Jodelle et de ses contemporains. Garnier s'éleva au dessus d'eux, sans avoir encore ni pureté ni élégance : sa diction se rapproche davantage de la noblesse tragique, mais de maniere à tomber trop souvent dans l'enflure. Il connaissait les Anciens, et presque toutes ses pieces sont tirées du théâtre des Grecs ou imitées de Séneque; mais il est beaucoup plus voisin des déclamations diffuses et emphatiques du poëte latin, que du naturel et du pathétique des tragiques d'Athenes. Il offre pourtant quelques scenes touchantes par les sentimens qu'ils lui ont fournis, quoiqu'il ne sache

pas les revêtir d'une expression convenable. La langue chez lui tient encore beaucoup de la rudesse de Ronsard, qui servait de modele à la plupart de ses contemporains. Il prodigue comme lui les épithetes néologiques et les adjectifs latinisés. Un autre défaut remarquable dans ses pieces, c'est le mélange des styles: on y trouve les comparaisons de Virgile, les odes d'Horace et le ton de l'églogue: c'est le caractere des imitateurs novices, qui ne savent pas encore bien employer ni bien placer ce qu'ils empruntent. En adoptant les chœurs et quelquefois les prologues du théâtre des Grecs, Garnier méconnaissait la nature du nôtre, et affectant la même simplicité de plan, sans avoir la même éloquence, il fait trop sentir le vide d'action et le défaut d'intrigue. Il s'en faut de beaucoup aussi qu'il connaisse les convenances de mœurs et de caracteres. Il prend la jactance pour la grandeur, et fait parler ses héros en rhéteurs de collége. Un seul morceau cité donnera l'idée de tout ce qui manquait à Garnier, et en même tems de ce qu'il peut y avoir de louable dans sa composition : c'est un monologue de César qui rentre victorieux dans Rome.

O sourcilleuses tours! ô coteaux décorés !
O palais orgueilleux ! ô temples honorés (1)!

(1) Monotone amas d'exclamations et d'épithetes.

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