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qui fit connaître un genre de beauté bien différent. Mairet lui-même appela depuis cette Sylvie, les péchés de sa jeunesse, tant un seul homme peut influer sur ses contemporains! Mais il n'est pas moins vrai que Mairet ne put pardonner à Corneille d'avoir éclairé son siecle, et qu'il fut, à sa honte, un des plus ardens détracteurs du Cid.

Que Sophonisbe ait réussi lorsque l'on ne connaissait rien de mieux, ou plutôt lorsqu'elle était meilleure que tout ce que l'on connaissait, rien n'est plus simple; mais on demandera comment ce succès a pu durer encore cinquante ans après la lumiere apportée par Corneille. C'est ici qu'il faut rendre à Mairet le tribut d'éloges qui lui est dû. Il convenait d'abord de faire voir les vices grossiers qui dominaient dans les ouvrages les plus estimés; mais je dois dire à présent que, dans les deux derniers actes de cette piece, il y a des beautés. A la vérité, le style en est trop faible et trop défectueux pour en citer des morceaux quand nous sommes si près de Corneille; mais il y a dans les sentimens, du pathétique et de l'élévation. La douleur de Massinisse, quand il faut sacrifier Sophonisbe, est touchante, quoiqu'elle ne soit pas toujours assez noble, et qu'il s'abaisse aux supplications beaucoup plus qu'il ne sied au caractere d'un monarque et d'un héros. Son désespoir, tour

à-tour impétueux et tranquille, produit de l'effet, et ce qui dut en faire encore plus, c'est le moment où il montre à Scipion son épouse mourante du poison qu'il lui a donné, étendue sur le lit nuptial. Ce spectacle, qui n'est point une vaine pompe, mais qui fait partie d'une action tragique, ce dénoûment théâtral était fort au dessus de ce qu'on avait vu jusqu'alors. C'est là sans doute ce qui a fait vivre la piece jusqu'au tems où le grand nombre des modeles rendit les spectateurs plus difficiles, et c'est aussi ce qui engagea Voltaire à tenter un dernier effort sur ce sujet, déjà traité sept fois sur la scene française. Il y a plus quand le grand Corneille, dans toute sa gloire, voulut faire une Sophonisbe trente ans après celle de Mairet, il ne put la déposséder du théâtre, et resta au dessous de ce qu'il voulait effacer. Ce n'est pas qu'il fût tombé dans des fautes pareilles à celles qu'on vient de voir : il avait enseigné aux autres à les éviter; mais son intrigue est froide; sa piece est bien moins tragique que les deux derniers actes de Mairet; en un mot, elle a le plus grand de tous les défauts, celui d'être absolument sans intérêt. J'y reviendrai dans l'examen

de

son théâtre; mais avant d'y entrer, il convient de parler d'une autre tragédie qui eut autant de

succès que Sophonisbe, et qui vaut encore moins ce qui est d'autant plus remarquable, qu'elle fut jouée immédiatement avant le Cid. C'est la Mariamne de Tristan, piece long-tems célebre, même après Corneille, et vantée après ses chefs-d'œuvre, tant le bon goût a de peine à s'établir! Le sujet est connu; c'est le même qu'a traité Voltaire, et à plusieurs reprises, sans pouvoir jamais en faire un bon ouvrage ; ce qui prouve qu'en lui-même le sujet n'est pas heureux. Il est tiré de l'historien Josephe, qui raconte avec beaucoup d'intérêt les infortunes de Mariamne, conduite à l'échafaud

par

les fureurs jalouses d'un époux barbare, de cet Hérode, signalé dans l'Histoire par ses talens et ses cruautés. Mais un événement tragique n'est pas toujours une tragédie; il s'en faut de beaucoup. Il faut une action, une intrigue: celle de Tristan ne suppose pas beaucoup d'invention, Salome, la sœur d'Hérode et l'ennemie de Mariamne, sans qu'on dise même pourquoi, corrompt un échan→ son du roi son frere, et l'engage à déposer que Mariamne lui a fait l'horrible proposition d'empoisonner Hérode. Sur cette accusation, destituée d'ailleurs de toute espece de preuves, il prononce la sentence de mort contre une femme qu'il idolâtre; et quand on vient lui apprendre que la

sentence est exécutée, il tombe dans un désespoir qui remplit tout le cinquieme acte, sans que l'auteur ait eu même le soin de faire reconnaître l'innocence de Mariamne et la perfidie de Salome. Toute la piece n'est donc qu'une déclaration dialoguée; elle est absolument sans art, mais non pas cependant sans quelqu'intérêt, puisqu'une femme innocente et mise à mort inspire toujours quelque pitié. Mondory, le premier acteur de ce tems-là, devint fameux par le succès qu'il eut dans le rôle d'Hérode, que sans doute il jouait avec autant d'emphase et d'exagération, qu'il y en a dans les sentimens et les idées. Sa déclamation ne pouvait pas être moins outrée que tout le reste: elle l'était au point que Mondory pensa périr des efforts qu'il faisait dans les fureurs d'Hérode, et fut emporté presque mourant hors de la scene, où il ne put jamais reparaître.

Mais quel était le style et le dialogue de cette tragédie, jouée en même tems que le Cid, et avec de si grands applaudissemens? C'est ce qu'il est curieux de voir, non pas tant pour juger Tristan, que pour apprécier Corneille.

Hérode, à l'ouverture de la piece, est réveillé par un songe effrayant. Il appelle son capitaine des gardes, Phérore, et lui parle de ce songe dont il

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est encore troublé. Phérore l'assure que les songes ne signifient rien du tout.

Et selon qu'un rabbin me fit un jour entendre,
C'est le prendre fort bien que de n'en rien attendre.
HÉR OD E.

Quelles fortes raisons apportait ce docteur,
Qui soutient que le songe est toujours un menteur ?

PHER OR E.

Il disait que l'humeur qui dans nos cœurs domine,
A voir certains objets en dormant nous incline.
Le flegme humide et froid, s'élevant au cerveau,
Y vient représenter des brouillards et de l'eau.
La bile ardente et jaune, aux qualités subtiles,
N'y dépeint que combats, qu'embrâsemens de villes.
Le sang qui tient de l'air et répond au printems,
Rend les moins fortunés dans leurs songes contens, etc.

Après cette dissertation sur les rêves, qui occupe toute la scene, Hérode veut enfin conter le sien, et Salome sa sœur se présente à la porte

en disant :

Vous plaît-il que j'entende aussi cette aventure ?

Hérode conte son aventure, c'est-à-dire, son rêve; ensuite il se plaint à Phérore et à Salome des chagrins que lui donne Mariamne, qui ne répond nullement à l'amour qu'il a pour elle. Les deux confidens s'efforcent de l'aigrir de plus plus en plus contre son épouse.

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