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Chimene; mais le roi n'a permis ce combat qu'à condition qu'elle recevrait la main du vainqueur : combien de contre-poids qui balancent le devoir de fille! Cependant la décence ne permet pas qu'elle accepte la main d'un homme qui dans le même jour a tué son pere: elle la refuse donc, mais elle ne dit pas qu'elle la refusera toujours. La bienséance est satisfaite; le spectateur, à qui l'on permet d'espérer le bonheur du Cid, s'en va content, et le poëte a raison.

Je ne me serais pas permis d'insister sur l'apologie d'un ouvrage que dans sa naissance le public défendit contre l'académie, et dont le tems a consacré les beautés, si ce n'avait été une occasion de développer une théorie qui peut être de quelque utilité, et faire connaître sous quel point de vue il faut considérer l'art dramatique. C'est à quoi peut servir principalement l'analyse des ouvrages célebres depuis long-tems appréciés. Concluons que dans le Cid, le choix du sujet que l'on a blâmé, est un des grands mérites du poëte. C'est à mon gré le plus beau, le plus intéressant que Corneille ait traité. Qu'il l'ait pris à Guilain de Castro, peu importe on ne saurait trop répéter que prendre ainsi aux étrangers ou aux Anciens pour enrichir sa nation, sera toujours un sujet de gloire et non pas de reproche. Mais ce mérite du sujet est-il

le seul? J'ai parlé de la beauté des situations: A
faut joindre celle des caracteres. Le sentiment de
l'honneur et l'héroïsme de la chevalerie respirent
dans le vieux don Diegue et dans son fils, et ont
dans chacun d'eux le caractère déterminé par la
différence d'âge. Le rôle de Chimene, en général
noble et pathétique, tombe de tems en tems dans
la déclamation et le faux esprit, dont la conta-
gion s'étendait encore jusqu'à Corneille, qui com-
mençait le premier à en purger le théâtre ; mais il
offre les plus beaux traits de passion qu'ait fournis à
l'auteur la peinture de l'amour, à laquelle il sem-
ble que son génie
son génie se pliart difficilement. Ils sont
d'ailleurs trop connus pour les rappeler ici. Je ne
m'arrêterai point non plus à discuter-quelques autres
observations de l'académie, que je ne crois
pas plus
fondées que celles qu'on vient de voir, et qui par-
tent du même principe d'erreur. Gelles qui portent
sur la partie dont ce tribunal devait le mieux juger,
la diction, ne sont pas non plus à l'abri de tout
reproche, et marquent une application trop 'rigou-
reuse de la grammaire à la poésie. Je me bornerai.
à deux exemples.

Et ce fer que mon bras ne peut plus soutenir,,
Je le remets au tien pour venger et punir.

Ces deux vers sont admirables. En voici la cri

tique. « Venger et punir est trop vague; car on ne » sait qui doit être vengé ni qui doit être puni.

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J'ose croire cette critique mal fondée, et je louerai ces deux vers, précisément par ce qu'on y censure. D'abord le sens est clair: qui peut se méprendre sur ce qu'on doit venger et sur ce qu'on doit punir? Mais ce qui me paraît digne de louange, c'est cette précision rapide qui est avare des mots, parce que Ja vengeance est avare du tems. Venger et punir: meurs du tue : voilà les mots qui se précipitent dans la bouche d'un homme furieux: il voudrait n'en pas dire d'autres.

Les momens sont trop chers pour les perdre en paroles, dit don Diegue en ce même moment; et c'est pour cela qu'il les ménage.

Cette ardeur que

dans les yeux je porte,

Sais-tu que c'est son sang? le sais-tu ?

« Une ardeur ne peut être appelée sang par » métaphore ni autrement. »

J'en doute: l'on dirait fort bien : Cette ardeur que j'ai dans les yeux, mon pere me l'a transmise avec son sang; et par une figure très-connue, en mettant la cause pour l'effet, je dirais : Cette ardeur 'que vous me voyez, c'est le sang de mon pere, tout le monde m'entendrait. Cette critique est trop vétilleuse.

et

Au reste, rien ne fait plus d'honneur à l'aca démie et ne rachete mieux ses erreurs alors trèspardonnables, que la maniere dont elle s'exprime en finissant un travail dont elle ne s'était chargée 'qu'avec la plus grande répugnance. «La véhémence » des passions, la force et la délicatesse des pensées, et cet agrément inexplicable qui se mêle » dans tous les défauts du Cid, lui ont acquis » un rang considérable entre les poëmes français » de ce genre. Si son auteur ne doit pas toute » sa réputation à son mérite, il ne la doit pas » toute à son bonheur, et la Nature lui a été assez » libérale pour excuser la fortune si elle lui a été prodigue.

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C'est beaucoup qu'un pareil témoignage, si l'on songe au cardinal de Richelieu; c'est trop peu si l'on considere la disproportion immense entre Corneille et tout ce qu'on lui opposait. Mais quel est l'artiste à qui l'on donne d'abord le rang qui lui est dû? Non-seulement le caractere de l'esprit humain s'y oppose on pourrait même dire que cette justice tardive est en quelque sorte fondée en raison. Nos jugemens sont si incertains, si sujets à l'erreur, qu'ils ont besoin de la sanction du tems, et ce seul motif, sans parler de tous les autres, suffit pour rappeler sans cesse à l'homme d'un talent supérieur

:

supérieur cette sentence de Voltaire : « L'or et la » boue sont confondus pendant la vie des artistes, » et la mort les sépare.

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Le sujet des Horaces, qu'entreprit Corneille après celui du Cid, était bien moins heureux et bien plus difficile à manier. Il ne s'agit que d'un combat, d'un événement très-simple, qu'à la vérité le nom de Rome a rendu fameux, mais dont il semble impossible de tirer une fable dramatique. C'est aussi de tous les ouvrages de Corneille celui où il a dû le plus à son seul génie. Ni les Anciens ni les Modernes ne lui ont rien fourni: tout est de création. Les trois premiers actes, pris séparément, sont peut-être, malgré les défauts qui s'y mêlent, ce qu'il a fait de plus sublime, et en même tems c'est là qu'il a mis le plus d'art. Fontenelle, dans ses Réflexions sur l'Art poétique, dont le principal objet est l'éloge de Corneille et la critique de Racine, a très-bien développé cet art employé pát l'auteur des Horaces, pour produire de la variété et des suspensions dans une situation qui est en elle-même si simple, et qui tient à un seul événement, à l'issue d'un combat. Il faut l'entendre; car malgré sa par tialité ordinaire, tout ce qu'il dit en cet endroit est très-vrai.

« Les trois Horaces combattent pour Rome, les trois Curiaces pour Albe: deux Horaces sont Cours de littér. Tome IV.

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