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est si connue. La tuer Alétrit le caractere d'Horace, et de plus commence nécessairement une seconde action, car on ne peut pas finir la piece par un meurtre si révoltant. Et Sabine? Elle n'est pas si importante que Camille; mais il faut donc la laisser aussi pleurant ses trois freres? Rien de tout cela ne comporte un dénoûment convenable, et quoiqu'il y ait de l'art à mettre les personnages dans des situations difficiles, cet art ne suffit pas : l'essentiel est de savoir les en faire sortir, Corneille n'en trouvant pas le moyen, a pris le parti de suivre jusqu'au bout toute l'histoire d'Horace, sans se mettre en peine de la multiplicité d'actions. Ce ne fut pas ignorance des regles; elles étaient connues, et il avait conservé l'unité d'objet dans le Cid, et même à peu près celle de tems et de lieu ce fut impossibilité de faire autrement, et c'est pour cela sans doute que son illustre commentateur pense que ce sujet ne pouvait pas fournir une tragédie. Ce n'est pas tout, et voici ce que Fontenelle, en louant l'invention des personnages de Sabine et de Camille, n'a pas vu ou n'a voulu voir. Ces deux rôles, que l'auteur a pas

:

imaginés pour remplir le vide du sujet, ne laissent

pas

de le faire sentir quelquefois, même dans ces trois premiers actes, si admirables d'ailleurs. Ils occupent la scene, mais plus d'une fois ils la font

pre

languir; enfin, ils n'excitent guere qu'un intérêt de curiosité. Cette langueur se fait sentir dès les micres scenes; par exemple, lorsque Sabine, après avoir ouvert la piece avec sa confidente Julie, la quitte sans aucune raison apparente, en voyant paraître Camille, et dit à celle-ci :

Ma sœur, entretenez Julie;

et lorsque Camille dit à cette confidente,

Qu'elle a tort de vouloir que je vous entretienne!

il est reconnu que des personnages dramatiques ne doivent pas venir sur le théâtre uniquement pour s'entretenir, et que chaque scene doit avoir un motif. Ce défaut est encore plus sensible au troisieme acte, que Sabine commence par un monologue inutile, et dans la quatrieme scene de ce même acte, où Sabine et Camille disputent à qui des deux est la plus malheureuse.

Quand il faut que l'un meure et par les mains de l'autre, C'est un raisonnement bien mauvais que le vôtre.

Il est clair que ces raisonnemens sont nécessairement froids, et qu'une sœur et une amante, pendant que le frere et l'amant sont aux mains, doivent faire autre chose que raisonner. On sent ici le côté faible du sujet. Sabine, quoique plus

liée à l'action que l'Infante du Cid, quoique dans la premiere scene elle dise de très-belles choses, est pourtant un rôle purement passif et qui ne sert essentiellement à rien. Elle ne peut que s'affliger de la guerre qui sépare les deux familles, et l'on est trop sûr qu'elle n'empêchera pas son époux, Horace, d'aller au combat, et que Camille n'aura pas plus de pouvoir sur Curiace son amant. Le caractere de ces deux guerriers est trop prononcé pour qu'on puisse en douter. Les voilà donc réduites à attendre l'événement sans pouvoir y influer en rien; et toutes les fois que l'on établit sur la scene un combat d'intérêts opposés, c'est un principe de l'art, que l'issue doit en être douteuse, et que les contre- poids réciproques doivent se balancer de maniere qu'on ne sache qui des deux l'emportera. Quand Sabine vient proposer à son frere et à son mari de lui donner la mort, et qu'elle leur dit :

Que l'un de vous me tue et que l'autre me venge.

on sait trop qu'ils ne feront ni l'un ni l'autre. Ce n'est donc qu'une vaine déclamation; car Sabine ne doit pas plus le demander, qu'ils ne doivent le faire c'est un remplissage amené par des sentimens peu naturels.

:

D'un autre côté, l'amour de Camille, dans ces

trois premiers actes, ne saurait produire un grand effet. Pourquoi ? D'abord, c'est qu'il est exprimé assez faiblement; ensuite, c'est que les deux Horaces, et surtout le pere, du moment qu'ils paraissent, ont une grandeur qui efface tout, et s'emparent de tout l'intérêt. Tel est le cœur humain : quand il est fortement rempli d'un objet, il n'y a plus de place pour tout le reste, et c'est sur cette grande vérité démontrée par l'expérience, qu'est fondé ce principe d'unité qu'on a si ridiculement combattu, comme si c'eût été une convention arbitraire et non pas le vœu de la nature. Transportons-nous au théâtre; mettons-nous au moment où Horace et Curiace, près d'aller combattre, sont avec Sabine et Camille, qui font de vains efforts pour les retenir voyons arriver le vieil Horace :

:

Qu'est ceci, mes enfans? Écoutez-vous vos flammes,
Et perdez-vous encor le tems avec des femmes ?
Prêts à verser du sang, regardez-vous des pleurs?
Fuyez, et laissez-les déplorer leurs malheurs.

Dès cet instant Sabine et Camille ne sont plus rien. On ne voit plus que Rome, on n'entend plus que le vieil Horace. Les deux femmes sortent sans qu'on y fasse attention, et lorsque le vieux Romain interrompt les adieux des deux jeunes guerriers pat

ces vers:

Ah! n'attendrissez point ici mes sentimens.

Pour vous encourager, ma voix manque de termes;
Mon cœur ne forme point de pensers assez fermes ;
Moi-même en cet adieu j'ai les larmes aux yeux;
Faites votre devoir et laissez faire aux dieux.

zette larme paternelle, qui tombe des yeux de l'inflexible vieillard, touche cent fois plus que les plaintes superflues des deux femmes. On reconnaît la vérité de ce qu'a dit Voltaire, que l'amour n'est point fait pour la seconde place. On est enchanté qu'un critique tel que lui, aussi grand juge que grand modele, rende à Corneille ce témoignage:

« J'ai cherché dans tous les Anciens et dans tous » les théâtres étrangers une situation pareille, un pareil mélange de grandeur d'âme, de douleur » et de bienséance, et je ne l'ai point trouvé. »

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C'est ce rôle étonnant et original du vieil Horace, c'est le beau contraste de ceux d'Horace le fils et de Curiace, qui produit tout l'effet de ces trois premiers actes; ce sont ces belles créations du génie de Corneille qui couvrent de leur éclat les défauts mêlés à tant de beautés, et qui, malgré le hors-d'œuvre absolu des deux derniers actes et la froideur inévitable qui en résulte, malgré le meurtre de Camille, si peu rolérable et si peu fait pour la scene, y conserveront toujours cette piece, moins comme une belle tragédie, que comme un

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