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ouvrage qui dans plusieurs parties fait honneur à l'esprit humain, en montrant jusqu'où il peut s'élever sans aucun modele et par l'élan de sa propre force. Un sentiment intérieur et irrésistible, plus fort que toutes les critiques, nous dit qu'il serait trop injuste de ne pas pardonner, même les plus grandes fautes, à un homme qui montait si haut en créant à la fois la langue et le théâtre. On peut bien l'excuser lorsque, emporté par un vol si hardi, il ne songe pas même comment il pourra s'y soutenir. Il tombe, il est vrai, maist ce n'est pas comme ceux qui n'ont fait que des efforts inutiles pour s'élever : il tombe après qu'on l'a perdu de vue, après qu'il est resté long-tems à, une hauteur où personne n'avait atteint. Des juges séveres, en trouvant tout simple que l'admiration qu'il inspirait ait entraîné les esprits dans la nouveauté de ses ouvrages et dans les premiers beaux jours qu'il fit luire sur la France, s'étonnent que long-tems après, lorsque l'art fut perfectionné et que le théâtre français eut des avantages infiniment plus achevés que les siens, le nombre et la nature de ses fautes n'aient pas nui à l'impression de ses beautés. Ils attribuent cette indulgence à la seule vénération qui est due à son nom je crois qu'il y en a une autre raison plus puissante. Dans un siecle où le goût est formé, on voit toujours avec

une curiosité mêlée d'intérêt ces monumens anciens, sublimes dans quelques parties et imparfaits dans l'ensemble, qui appartiennent à la naissance des arts. La représentation des pieces de Corneille nous met à la fois sous les yeux, et son génie, et son siecle. C'est pour nous un doux plaisir de les voir en présence et de juger ensemble l'un et l'autre. Ses beautés marquent le premier, ses défauts rappellent le second. Celles-là nous disent : Voilà ce qu'était Corneille; celles-ci : Voilà ce qu'étaient tous les autres.

Qu'on ne craigne donc point, par un intérêt mal entendu pour sa gloire, de voir relever des défauts qui ne la ternissent point. Elle est protégée

par

le sentiment légitime de l'orgueil national, qui revendiquera dans tous les tems le nom de cet homme extraordinaire, comme un de ses plus beaux titres d'illustration.

Nous n'en sommes encore qu'à son troisieme Ouvrage; et quoique les Horaces forment un tout infiniment plus défectueux et plus irrégulier que le Cid, quoique l'auteur n'y remplisse pas à beaucoup près la carriere de cinq actes, il y a pourtant, si l'on considere la nature des beautés, un progrès dans son salent. Celles du Cid ne sont pas d'un ordre si relevé que celles des Horaces: c'est ici qu'il atteignit au plus haut degré du sublime, et

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depuis il n'a pas été au-delà, pas même dans Cinna. J'ai parlé du qu'il mourût en expliquant le Traité de Longin; et comment ne l'aurais-je pas cité, puisqu'il s'agissait de sublime? Je n'y ajouterai rien aujourd'hui que la note qu'on trouve à cer endroit dans le Commentaire de Voltaire : « Voilà » ce fameux qu'il mourût, ce trait du plus grand » sublime, ce mot auquel il n'en est aucun de comparable dans toute l'antiquité. Tout l'audi» toire fut si transporté, qu'on n'entendit jamais le vers faible qui suit; et le morceau,

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N'eût-il que d'un moment retardé sa défaite, etc.

» étant plein de chaleur, augmenta encore la force du qu'il mourût. Que de beautés! et d'où naissentelles? D'une simple méprise très-naturelle, sans complication d'événemens, sans aucune intrigue recherchée, sans aucun effort. Il y a d'autres » beautés tragiques; mais celle-là est du premier » rang.

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"

J'oserai, à l'occasion de cette note, proposer un avis contraire à celui de Voltaire, qui trouve faible ce vers:

Ou qu'un beau désespoir alors le secourût.

Je sais que c'est l'opinion commune; mais est-elle

bien fondée ? Je n'appelle faible que ce qui est au dessous de ce qu'on doit sentir ou exprimer. Or, je demande si après ce cri de patriotisme romain qu'il mourût, on pouvait dire autre chose que ce que dit le vieil Horace. Sans doute, en jugeant par comparaison, tout paraîtra faible après le mot qui vient de lui échapper. Mais en ce cas, dès qu'on a été sublime, il faudrait se taire; car on ne peut pas l'être toujours, et nous avons vu derniérement dans Cicéron, qu'il est insensé d'y prétendre. La nature, que l'on doit consulter en tout, exige seulement que l'on suive l'ordre des idées qu'elle prescrit. Horace devait-il s'arrêter sur le mot qu'il mourût? Il est beau pour un Romain; mais il est dur pour un pere, et Horace est à la fois l'un et l'autre : on vient de le voir dans l'adieu paternel qu'il faisait tout à l'heure à son fils. Quelle est donc l'idée qui doit suivre naturellement cet arrêt terrible d'un vieux républicain, qu'il mourût? C'est assurément la possibilité consolante que, même en combattant contre trois, en se résolvant à la mort, il y échappe cependant; et après tout, est-il sans exemple qu'un seul homme en ait vaincu trois? Pourquoi donc Horace n'embrasserait-il pas cette idée, au moins un instant? C'est Rome qui a prononcé qu'il mourût : c'est la

nature, qui, ne renonçant jamais à l'espérance, ajoute tout de suite:

Ou qu'un beau désespoir alors le secourût.

Je veux bien que Rome soit ici plus sublime que la nature cela doit être. Mais la nature n'est pas faible quand elle dit ce qu'elle doit dire. Telles sont les raisons qui m'autorisent à penser que nonseulement ce vers n'est pas répréhensible, mais même qu'il est assez heureux de l'avoir trouvé.

Mais en admirant dans le vieil Horace cette énergie entraînante, cette grandeur de sentimens qui laissent pourtant à la sensibilité paternelle ce qu'elle doit lui laisser, oublierons-nous ce que nous devons d'éloges aux rôles de Curiace et du jeune Horace si habilement contrastés ? Le dernier montre partout cette espèce de rigidité féroce qui dans les premiers tems de la république endurcissait toutes les vertus romaines, et qui convenait d'ailleurs à un guerrier farouche, qu'on voit dans la suite de la piece répandre le sang de sa sœur, pour avoir fait entendre dans le bruit de sa victoire les emportemens d'une amante malheureuse. Curiace au contraire fait voir une fermeté mesurée et même douce, qui n'exclut point les sentimens de l'amour et de l'amitié. C'est avec cette opposition si belle et si dramatique, que Corneille a fait

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