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sité c'est un grand événement entre de grands personnages. La piece est intitulée la Clémence d'Auguste. Il est informé de tout: il a mandé Cinna; il paraît incertain du parti qu'il doit prendre, et violemment agité. On veut voir ce qui arrivera, et tel est l'avantage qui résulte de l'unité d'objet, Le spectateur, que l'on a toujours occupé de la même action, veut en voir la fin. Le poëte, malgré tant de fautes, se soutient donc ici par son art; mais il se soutient aussi par son génie. C'est l'énergique fierté du rôle d'Émilie, qui ne se dément jamais; c'est la scene vive et animée qu'elle a au troisieme acte avec Cinna, le contraste de sa fermeté avec la faiblesse et les irrésolutions de son amant, et sa sortie brillante qui termine l'acte par ces beaux vers:

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· Qu'il dégage sa foi, Et qu'il choisisse après, de la mort ou de moi.

c'est ensuite le monologue d'Auguste au quatrieme acte, rempli de traits de force et de vérité, heureusement imités de Séneque; ce sont ces beautés réelles qui, mêlant par intervalle l'admiration à la curiosité, soutiennent l'attention des spectateurs jusqu'au cinquieme acte, dont le sublime les transporte assez pour leur faire oublier qué jusque-là Cours de littér. Tome IV.

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l'intention et l'intérêt ont souvent faibli et varié.

Je ferai ici, à l'avantage de Corneille, une observation sur ce rôle d'Émilie, qui dans le troisieme et le quatrieme acte est certainement le grand appui de cet édifice dramatique, dont plusieurs parties sont si défectueuses. Voltaire, en avouant qu'il étincelle de traits admirables, en fait la critique de cette maniere. « On demande pourquoi » cette Émilie ne touche point? Pourquoi ce per» sonnage ne fait pas au théâtre la grande impres»sion qu'y fait Hermione? Elle est l'âme de toute d'intérêt. la piece, et cependant elle inspire peu » N'est-ce point parce qu'elle n'est pas malheu reuse? n'est-ce point parce que les sentimens d'un » Brutus, d'un Cassius conviennent peu à une Racine avait en vue » fille?..... C'est Émilie que lorsqu'il dit dans une de ses préfaces, qu'il ne

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» veut pas mettre sur le théâtre, de ces femmes

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qui font des leçons d'héroïsme aux hommes.»

Ces réflexions sont d'un goût fin et délicat; mais ce rapprochement d'Hermione et d'Émilie ne me paraît pas exact, L'une ne devait pas resdeux sembler à l'autre. Il est bien vrai toutes que exigent de leur amant une vengeance et un meurtre; mais leur injure, et par conséquent leur situation, n'est pas la même et ne devait pas produire

même effet. Émilie poursuit la vengeance de son pere Toranius, tué il y a vingt ans, dans le tems des proscriptions, Ce sentiment est légitime; mais personne n'a connu ce Toranius: la perte qu'a faite Émilie est bien ancienne; Auguste même l'a réparée autant qu'il l'a pu, en traitant Émilie comme sa fille adoptive; elle a reçu ses bienfaits: sa situation, comme le remarque très bien le commentateur, n'est point à plaindre. Ainsi donc, lorsqu'elle demande la tête d'Auguste, c'est un sentiment tout au moins aussi républicain que filial, anobli surtout par le dessein de rendre la liberté aux Romains: c'est un de ses sentimens auxquels on peut se prêtor, mais que le spectateur n'embrasse pas comme s'ils étaient les siens, qu'il ne partage pas avec toute la vivacité de ses affections ces sortes de rôle sont plutôt des moyens d'action que des mobiles d'intérêt. Il n'en est pas de même d'Hermione. Son injure est récente; elle est sous les yeux du spectateur: c'est une femme, une princesse cruellement outragée et fortement passionnée. L'offense qu'elle reçoit est de celles que tout son sexe partage, et son infortune est de celles qui excitent la pitié du nôtre. Sa vengeance n'est pas un devoir, c'est une passion, et une passion si aveugle et si forcenée, que l'on sent bien

qu'Hermione se fait illusion à elle-même, et qu'elle sera plus à plaindre encore dès qu'on l'aura vengée. Il résulte de cette différence essentielle entre les deux rôles, que celui de Racine est infiniment plus théâtral, mais que Corneille, en faisant l'autre pour un plan différent, n'était pas obligé de produire la même impression. Il ne faut donc pas exiger qu'Émilie nous touche, mais seulement qu'elle nous attache, et c'est à quoi l'auteur a réussi en lui donnant le mérite qui lui est propre, celui d'une noblesse d'âme que rien ne peut abaisser, d'une résolution intrépide que rien ne peut ébranler. De ce côté, ce me semble, Corneille a bien connu son art, en ce qu'il a senti, ce qu'on peut poser pour principe, que toutes les fois qu'un caractere ne peut pas nous émouvoir par des sentimens que nous partagions, il ne peut nous subjuguer que par une énergie et une grandeur qui nous impose. Un pareil personnage ne peut pas vouloir trop décidément ce qu'il veut; car ce n'est que par cette volonté forte qu'il peut suppléer à l'intérêt qui lui manque. C'est à quoi Corneille a réussi dans le rôle d'Émilie, et s'il voulait en offrir le contraste dans celui de Cinna, les principes de l'art exigeaient qu'il le peignît, dès le commencement, balancé entre le pouvoir que sa maîtresse a sur lui, et

l'horreur d'un assassinat, comme dans la tragédie/ de Brutus, le jeune Titus est continuellement tagé entre son amour et son devoir.

par

Je ne parle pas du rôle de Livie, que l'on a retranché à la représentation, comme l'Infante dans le Cid. Il était non-seulement inutile, mais il affaiblissait le mérite de la clémence d'Auguste, en lui faisant suggérer par les conseils d'autrui une belle action que la générosité doit seule lui dicter. Ici l'exactitude historique trompa l'auteur, qui ne s'aperçut pas que ce conseil de Livie était du nombre des faits que le poëte dramatique est le maître de supprimer.

A l'égard du cinquieme acte, un siecle et demi de succès l'a consacré. La beauté des vers et la simplicité sublime du style font voir que si l'auteur est redevable à Séneque de tout le fond de cette scene immortelle, il avait dans son âme le sentiment de la vraie grandeur, et en connaissait l'expression. Il n'y avait qu'Auguste, mis en scene par Corneille, qui pût dire :

Je suis maître de moi comme de l'Univers.

Je le suis, je veux l'être : ô siecles! ô mémoire !
Conservez à jamais ma derniere victoire.
Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux,
De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous.
Soyons amis, Cinna : c'est moi qui t'en convie.
Comme à mon ennemi je t'ai donné la vie;

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