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Et malgré la noirceur de ton lâche dessein,
Je te la donne encor comme à mon assassin.

Ces paroles à jamais mémorables font couler des larmes d'admiration et d'attendrissement, et ce mélange est une des émotions les plus douces que notre âme puisse éprouver.

Lorsqu'un moment auparavant, Auguste dit à Cinna:

Apprends à te connaître et descends en toi-même.
On t'honore dans Rome, on te courtise, on t'aime.
Chacun tremble sous toi, chacun t'offre des vœux ;
Ta fortune est bien haut: tu peux ce que tu veux ;
Mais tu ferais pitié même à ceux qu'elle irrite,
Si je t'abandonnais à ton peu de mérite.

Voltaire rapporte à ce sujet le mot connu du maréchal de la Feuillade: Tu me gâtes, le soyons amis, Cinna. Si le roi m'en disait autant, je le remercierais de son amitié. Cette remarque fait honneur à la délicatesse et au goût du courtisan; elle est certainement fondée. Mais comme il faut toujours que la saine critique considere les objets sous toutes les faces, pourquoi ne nous apercevons-nous pas que cet endroit nuise en rien au plaisir que nous fait toute la scene? C'est qu'au fond le spectateur n'est pas fâché de voir Cinna humilié devant Auguste, qui devient alors si grand,

qu'il attire à lui tout l'intérêt : disons plus, il attire toute l'attention, et tant qu'il parle, à peine prend on garde à celui qui l'écoute. De plus, Cinna lui-même a parlé de lui précédemment dans les mêmes termes; il a dit d'Auguste:

Ce prince magnanime,

Qui du feu que je suis fait une telle estime.

Depuis la fin du second acte on s'est accoutumé à n'avoir pas une grande idée de Cinna. On n'est donc pas étonné que l'empereur ne fasse pas de lui plus de cas qu'il n'en fait lui-même. On ne voit que la bonté qui pardonne, et l'on oublie tout le reste. Sans doute la bienséance dramatique eût été mieux observée si ces vers n'y étaient pas; mais ce n'est pas un de ces défauts qui blessent les convenances essentielles, tant il y a de nuances dans les fautes comme dans les beautés !

Voltaire remarque, en parlant du grand succès de Cinna, que les idées qui dominent dans cet ouvrage, les discussions politiques sur la meilleure forme de gouvernement, l'espece de gloire attachée à l'habileté et au courage des conspirateurs, devaient plaire à des esprits occupés des factions et des troubles qui avaient éclaté pendant le ministere de Richelieu, et produit des révoltes et

des

guerres civiles. On peut

dire aussi de Polyeucte

qui suivit Cinna, que les maximes sur la grace divine, qui reviennent en plus d'un endroit de cette piece, pouvaient avoir un intérêt particulier à cette époque où les querelles du jansénisme commençaient à diviser la France. Néarque, dès la premiere scene, dit, en parlant du Dieu des Chrétiens :

Il est toujours tout juste et tout bon; mais sa grace,

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Ne descend pas toujours avec même efficace.

Après certains momens que perdent nos longueurs,
Elle quitte ces traits qui pénetrent les cœurs.
Le nôtre s'endurcit, la repousse, s'égare;
Le bras qui la versait en devient plus avare,
Et cette sainte ardeur qui nous portait au bien,
Tombe sur un rocher ou n'opere plus rien.

Personne n'ignore que le christianisme, qui fait le fond de cet ouvrage, était une des choses qui l'avaient fait condamner par l'hôtel de Rambouillet. Il est également concevable qu'on y ait regardé le morceau qu'on vient d'entendre et beaucoup d'autres du même genre, comme plus faits pour la chaire que pour le théâtre, et que la multitude qui entendait parler tous les jours de ces mêmes matieres, se soit trouvée par avance familiarisée avec ces discussions théologiques, et n'ait été blessée de les retrouver dans une trapas

gédie. Mais ce qui est certain, c'est est certain, c'est que la disposition des esprits, soit par rapport à la politique, soit par rapport à la religion, ne fit ni le succès de Cinna ni celui de Polyeucte. Nous avons vu ce qui fit réussir l'un: voyons ce qui procura la même gloire à l'autre.

Corneille a dit dans l'examen de Polyeucte : « Je n'ai point fait de piece où l'ordre du théâtre » soit plus beau et l'enchaînement des scenes » mieux ménagé. » Il dit vrai : c'est de toutes ses intrigues la mieux menée; c'est aussi une de celles où il a mis le plus d'invention, et cette invention est en partie très-heureuse. Il s'en faut de beaucoup pourtant que cette tragédie soit sans défauts : elle en a d'assez grands. L'intrigue, nouée avec art, ne l'est pas toujours avec la dignité convenable au genre, et le choix des ressorts n'est pas toujours tragique, parce qu'il y a un personnage qui ne l'est pas; et comme toutes les parties d'un drame réagissent réciproquement les unes sur les la disconvenance d'un caractere forme un défaut dans l'intrigue. C'est ce qu'il y a de plus important à observer dans cet ouvrage, et ce que je vais développer.

autres,

Le martyre de Saint Polyeucte, rapporté par Surius, n'a fourni à Corneille que la liaison étroite jeune néophyte avec Néarque, qui l'avait

de ce

converti au christianisme; son mariage avec Pauline, fille de Félix, proconsul romain, qui avait ordre de l'empereur Déce de poursuivre les Chrétiens; l'action hardie de Polyeucte, qui déchire en public l'édit de l'empereur contre le christianisme, et brise les idoles que portaient les prêtres ; et la vengeance qu'en tira Félix, qui, après avoir inutilement employé les prieres de Pauline pour ramener son gendre à la religion de son pays, fut obligé de le condamner à la mort : tout le reste appartient au poëte.

Sa fable, quoiqu'en général bien conçue, est fondée sur quelques invraisemblances assez fortes, mais qui heureusement portent sur l'avant-scene plus que sur l'action même qui se passe sur le théâtre, et ce sont celles que le spectateur excuse toujours le plus aisément. Sans doute il est peu vraisemblable que Sévere arrive jusque dans le palais du gouverneur d'Arménie, et jusque dans l'appartement de Pauline, sans savoir qu'elle vient d'être mariée à Polyeucte quinze jours auparavant, sans qu'un événement si récent, et qui l'intéresse plus que personne, soit parvenu jusqu'à lui. Il ne l'est pas non plus que l'empereur, après sa victoire sur les Perses, dont il lui est redevable, l'envoie en Arménie, comme on le dit, pour faire an sacrifice aux dieux. Il ne l'est pas davantage

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