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que le style de Corneille, quoi qu'on en ait dit, est ordinairement analogue à ses idées. Quand il pense bien, il s'exprime bien. Quand sa pensée est mauvaise, sa diction l'est encore plus. Toute cette scene fait voir dans Félix un homme aussi bas que mal-adroit; bas, parce qu'il ne se résoud à faire périr son gendre que dans la crainte de perdre sa place; mal-adroit, parce qu'il se persuade sans raison tout le contraire de la vérité. Il est impossible de ne pas concevoir du mépris pour un homme qui va commettre une cruauté par des vues si petites, et qui se pique d'être fin lorsqu'il se trompe si lourdement. Ce caractere n'est pas digne de la tragédie, et le langage ne l'est pas non plus. On voir la même chose dans Maxime, et l'on

a pu

peut faire la même épreuve sur toutes les pieces de Corneille. C'est l'âme, a dit un Ancien, qui nous fait éloquens : pectus est quod disertum facit. Il l'est toutes les fois que son âme l'inspire bien. Quand son esprit s'égare, il ne l'est plus.

Je ne prétends pas relever toutes les fautes du morceau que je viens de citer: elles sont assez sensibles. Mais il y a dans les termes mêmes, à huit vers de distance, une contradiction choquante, qui prouve combien l'auteur mettait de négligence dans cette partie de sa composition.

L'artifice

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Si l'artifice est trop lourd, comment le piége est-il bien tendu? C'est une étrange inadvertance. Voltaire, que l'on accuse de relever trop minutieusement de petites fautes, n'a pourtant rien dit de celle-là, et il en a passé bien d'autres.

Mais en supposant que les motifs de Félix fussent naturels, sont-ils suffisans? Non. Il manque ici cette proportion nécessaire entre les moyens et l'action. Il s'agit de savoir si Félix fera mourir un des personnages les plus importans de la piece, s'il enverra son gendre à l'échafaud: il y répugne, car on ne le peint ni cruel ni fanatique. Quel est donc le contre-poids qui le fera pencher vers la rigueur? Il n'y en a point d'autre que le calcul erroné d'une très-mauvaise et très-lâche politique, et la possi-, bilité très - incertaine de perdre le gouvernement d'Arménie. Ce n'est pas là un ressort suffisant pour la tragédie, où il faut toujours que chaque personnage ait un degré d'intérêt proportionnel, relative. ment à l'intérêt général.

Si les motifs de Félix ne sont ni naturels ni suffisans, ils ne sont pas plus tragiques. Un personnage

Cours de littér. Tome IV.

V

qui dans tout le cours d'une piece, placé entre sa fille et son gendre, dont il faut envoyer l'un à la mort, et laisser l'autre dans le deuil, ne s'occupe que de savoir s'il sera plus ou moins grand seigneur, ne peut inspirer aucun des sentimens que demande la tragédie. Quand il dit:

Polyeucte est ici l'appui de ma famille ;

Mais si par son trépas l'autre épousait ma fille,
J'acquerrais bien par-là de plus puissans appuis,

Qui me mettraient plus haut cent fois que je ne suis:

Quand il parle ainsi, il paraît vil; et lorsqu'il dit :

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Je sais des courtisans la plus fine pratique.....

Et moi, j'en ai tant vu de toutes les façons,
Qu'à lui-même au besoin j'en férais des leçons

:

le spectateur, qui n'a rien aperçu qui puisse excuser la méprise, qui le voit juger si mal ce Sévere que tout le monde connaît si bien, et se vanter de son habileté quand il manque de sens, trouve ici ce qu'il y a de pis, le ridicule joint à la bassesse.

Voltaire pense que Corneille aurait dû peindre Félix comme un Païen entêté de sa religion, et vengeant sur un sacrilége la cause des dieux de l'Empire. Je crois qu'il a entiérement raison, et

que cette idée aurait fait disparaître de la tragédie de Polyeucte un défaut très-considérable, qui gâte une piece, d'ailleurs la mieux conduite de celles de

l'auteur.

Elle a encore un autre mérite, c'est celui du dialogue, en général plus naturel que ne l'est ordinairement celui de Corneille, et souvent d'une rapidité et d'une vivacité qui lui sont particulieres. Voyez la scene entre Polyeucte et Néarque.

Ce zele est trop ardent : souffrez qu'il se modere.
On n'en peut avoir trop pour le Dieu qu'on révere.

Vous trouverez la mort.

Et si ce cœur s'ébranle ?

Je la cherche pour lui.

Il sera mon appui.

Il ne commande point que l'on s'y précipite.
Plus elle est volontaire et plus elle mérite.
Il faut sans la chercher, l'attendre et la souffrir.
On souffre avec regret quand on n'ose s'offrir.
Mais dans ce temple enfin la mort est assurée.
Mais dans le ciel déjà la palme est préparée, etc.,

Et la scene entre Félix et sa fille, quand elle lui demande la grace de son époux.

Ne l'abandonnez pas aux fureurs de sa secte.
Je l'abandonne aux lois qu'il faut que je respecte.
Est-ce ainsi que d'un gendre un beau-pere est l'appui ?

Qu'il fasse autant pour moi comme je fais

pour lui.

Mais il est aveuglé.....

Mais il se plaît à l'être.

Qui chérit son erreur, ne la veut pas connaître.

Mon

pere, au nom des dieux.....

Ne les réclamez pas.

Ces dieux dont l'intérêt demande son trépas.

Ils écoutent nos vœux.

Eh bien ! qu'il leur en fasse. Au nom de l'empereur dont vous tenez la place..... J'ai son pouvoir en main, mais il me l'a commis; C'est pour le déployer contre ses ennemis.

Polyeucte l'est-il ?

Tous Chrétiens sont rebelles. N'écoutez point pour lui ces maximes cruelles. En épousant Pauline, il s'est fait notre sang. Je regarde sa faute et ne vois pas son rang. Quand le crime d'État se mêle au sacrilége, Le sang ni l'amitié n'ont plus de privilége. Quel excès de rigueur!

Moindre que son forfait, etc. Si le rôle de Félix était fait de maniere que l'on pût croire qu'il est de bonne foi, l'effet de la scene répondrait à la beauté du dialogue; mais dans les scenes avec son confident il s'est montré à découvert, et l'on ne peut pas s'y tromper.

Un dialogue encore supérieur à tout ce que j'ai cité, c'est celui qui termine la scene où Polyeucte ne quitte le théâtre que pour être mené au supplice.

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