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pour son fils et pour Rodogune, et se flattant encore de vivre assez pour les voir périr avec elle, forme un dénoûment admirable. Il faut bien qu'il le soit, puisqu'il a fait pardonner les étranges invraisemblances sur lesquelles il est fondé, et qui ne peuvent pas avoir d'autre excuse. Ceux qui ont cru bien mal-à-propos que la gloire de Corneille était intéressée à ce qu'on justifiât ces fautes, ont fait de vains efforts pour pallier celles du plan de Rodogune. Pour en venir à bout, il faudrait pouvoir dire: Il est dans l'ordre des choses vraisemblables,

que

d'un côté une mere propose à ses deux fils, à deux princes reconnus sensibles et vertueux, d'assas siner leur maîtresse, et que d'un autre côté, dans le même jour, cette même maîtresse, qui n'est point représentée comme une femme atroce, propose à deux jeunes princes dont elle connaît la vertu, d'assassiner leur mere. Comme il est impossible d'accorder cette assertion avec le bon sens, il vaut beaucoup mieux abandonner une apologie insoutenable, et laisser à Corneille le soin de se défendre lui-même. Il s'y prend mieux que ses défenseurs : il a fait le cinquieme acte. Souvenonsnous donc une bonne fois et pour toujours, que sa gloire n'est pas de n'avoir point commis de fautes,

mais d'avoir su les racheter : elle doit suffire à ce créateur de la scene française.

Il prit des Espagnols le sujet d'Héraclius, comme celui du Cid, mais en y faisant beaucoup plus de changemens, et empruntant moins dans les détails. Ces vers si connus :

O malheureux Phocas! ô trop heureux Maurice!
Tu retrouves deux fils pour mourir après toi,
Et je n'en puis trouver pour régner après moi,

sont en effet de Calderon, mais ce sont les seuls qu'il ait fournis à son imitateur. L'intrigue d'ailleurs est fort différente: la fable de l'auteur espagnol est chargée d'épisodes: celle de Corneille est une. Il est vrai que les ressorts sont d'une co complication qui va jusqu'à l'obscurité. C'est à propos d'Héraclius que Boileau, dans son Art poétique, censure l'auteur,

Qui débrouillant mal une pénible intrigue, D'un divertissement nous fait une fatigue.

Ceux qui ont pris leur parti d'admirer tout dans un auteur illustre, ont prétendu, malgré Boileau, que cette multiplicité de ressorts dont il est difficile de suivre le jeu, prouve une très-grande force de composition. Ce peut être; je ne veux pas les démentir; mais je crois qu'il y en a davantage à produire de grands effets avec des moyens trèssimples, comme dans les trois premiers actes des

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Horaces. C'est là, ce me semble, la véritable force et le premier mérite d'une intrigue dramatique. La raison en est sensible; c'est que plus l'esprit est occupé, moins le cœur est ému. Le tems est précieux au théâtre : quand il en faut tant pour l'attention, il n'y en a pas assez pour l'intérêt. Le spectateur n'est pas là pour deviner, mais pour

sentir.

Ce qu'on a blâmé principalement dans Héraclius, c'est, 1°. que l'auteur représentant les deux princes également vertueux, également dignes du trône, il devient assez indifférent que ce soit celui-ci ou celui-là qui soit Héraclius : il n'y a que l'amour de Pulchérie pour l'un des deux, qui puisse y mettre quelque différence; mais cet amour est si peu de chose dans la piece, qu'il ne supplée pas au défaut d'un contraste entre les deux princes, qui aurait pu marquer des nuances entre le fils d'un tyran et celui empereur vertueux, et amener, ce me semble, de nouvelles beautés.

d'un

C'est du fils d'un tyran que j'ai fait ce héros,

est un beau vers dans la bouche de Léontine; mais deux héros dans une piece se nuisent un peu l'un à l'autre, à moins qu'ils ne le soient d'une maniere différente, comme, par exemple, César et Brutus, De plus, on aime assez au théâtre que la naturé

l'emporte sur l'éducation, quoique dans le fait

cela ne soit pas toujours vrai.

2o. Cette Léontine, qui plaît par sa fermeté et par la perplexité cruelle où elle jette Phocas lorsqu'elle dit ce beau vers de situation:

Devine si tu peux, et choisis si tu l'oses,

ne laisse

pour

pas d'avoir de grands défauts. Le plus considérable n'est pas d'avoir sacrifié son fils pour sauver celui de l'empereur ce sacrifice, à la vérité, devrait être bien puissamment motivé s'il faisait partie de l'action : il est si loin du cœur d'une mere, qu'il serait bien difficile de le faire supporter; mais il n'est que dans l'avant-scene, dans cette partie du drame, où nous avons vu que le spectateur permet assez volontiers à l'auteur tout ce dont il a besoin fonder sa fable. Un reproche plus grave, c'est que Léontine, annoncée dans les premiers actes comme le principal mobile de l'intrigue, y prend en effet très-peu de part. Tout se fait sans elle : c'est un personnage subalterne, c'est Exupere, qu'elle traite avec le dernier mépris; c'est lui qui fait le dénoûment; c'est lui qui sauve et qui couronne Héraclius et fait périr Phocas, autre défaut contraire aux principes de l'art, qui exige que catastrophe soit toujours amenée par les personnages qui ont attiré l'attention des spectateurs. En

la

général cette tragédie, pendant les trois premiers actes, n'excite guere que de la curiosité; mais dans les deux derniers la situation de Phocas entre les deux princes, dont aucun ne veut être son fils, est belle et théâtrale. Ce qui n'est pas moins beau, c'est le péril où ils sont ensuite, c'est le combat de générosité qui s'éleve entre eux, à qui portera un nom qui n'est qu'un arrêt de mort; c'est aussi le moment où Héraclius voit le glaive levé sur le

prince son ami, et consent, pour le sauver, Martian :

ser pour

Je suis donc, s'il faut que je le die,

Ce qu'il faut que je sois pour lui sauver la vie.

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pas

Voltaire avait sans doute oublié cette scene, quand il a dit que l'amitié des deux princes ne produisaitrien. Sans cette amitié, la scene ne subsistait pas. Il n'y avait que ce motif qui pût forcer Héraclius, qui se connaît très-bien, à renoncer à être ce qu'il est, et cet effort qui prolonge l'erreur de Phocas, est une des beautés de la piece.

Après Héraclius, le talent de Corneille commence à baisser. Il ne s'était pourtant écoulé que l'espace de dix ans entre cette tragédie et celle du Cid, et l'auteur n'en avait encore que quarante. C'est l'âge où l'esprit est dans sa plus grande force : c'est depuis cet âge que Voltaire a fait le plus grand

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