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mement l'autre par la beauté de ses ouvrages, » sont néanmoins égaux en mérite, s'ils se sont également élevés chacun au dessus de son siecle. » Il est vrai que l'un a été plus haut que l'autre ; » mais ce n'est pas qu'il ait eu plus de force, c'est » seulement qu'il a pris son vol d'un lieu plus » élevé..... Pour juger du mérite d'un ouvrage, il » suffit de le considérer en lui-même; mais pour juger du mérite de l'auteur, il faut le comparer » à son siecle. »

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Rien n'est plus juste, et dès-lors on voit combien il serait difficile de dire précisément auquel des deux il a fallu plus de force, d'esprit et de talent, à l'un, pour faire le premier de belles choses; à l'autre, pour en faire ensuite de beaucoup plus parfaites. Il entre nécessairement de l'arbitraire dans cette appréciation, et les bons esprits ne prononcent jamais que sur ce qui peut être rigoureusement démontré. Ils marqueront différentes qualités dans les deux hommes que l'on oppose l'un à l'autre, mais ils ne marqueront point de rang. Il y a une autre raison pour s'en abstenir, et celle-ci est générale. Quand deux hommes, travaillant dans le même genre, ont un mérite supérieur et pourtant d'une nature différente, il est extrêmement difficile de prouver que l'un doit être au dessus de l'autre. Je l'ai déjà dit ailleurs:

la préférence alors est au choix de tout le monde. Quand on est d'accord qu'Homere et Virgile sont tous deux de grands poëtes, Cicéron et Démosthene tous deux de grands orateurs, comment s'y prendration pour m'empêcher de préférer celui-ci ou celuilà? Quoi que vous puissiez dire, celui des deux qui aura le plus de rapports avec ma maniere de penser et de sentir, sera toujours pour moi le plus grand. Aussi lorsque Quintilien préfere Cicéron à Démos thene, il ne donne cette préférence que comme son propre sentiment, et non pas comme une décision: de même quand Fénélon préfere Démosthene, il dit simplement : J'aime mieux; il ne dit pas : It faut aimer mieux. Voltaire, sans rien prononcer sur Corneille, semble pencher pour Racine; mais jamais il n'a rien décidé; jamais il n'a dit : L'un est plus grand-homme que l'autre.

S'agit-il donc de décider qui des deux avait le plus de génie? Je crois que personne ne peut le savoir, si ce n'est Dieu, qui leur en avait donné beaucoup à tous deux. Mais s'agit-il des ouvrages? demande-t-on quels sont les meilleurs, les plus beaux, les plus parfaits? Ceci est différent et peut se réduire en démonstration; car il y a des principes reconnus et des effets constatés. Le bon sens, la nature, l'expérience, le cœur humain, voilà les arbitres infaillibles qui ont ici le droit de juger;

et de ce que je viens de dire il suit que la grandeur personnelle de Corneille n'est nullement intéressée dans ce jugement. J'ajoute qu'autant la premiere question est oiseuse, autant l'autre est utile, parce qu'elle est une source d'instruction, parce que l'on peut y procéder avec méthode, clarté, certitude; parce qu'il importe de montrer, et à tous ceux qu'on veut éclairer, et à tous ceux qu'il faut confondre, que l'exemple d'un homme tel que Corneille, quand il s'est trompé, n'est point une autorité; que les fautes sont partout des fautes; que s'il à fait beaucoup, il n'a pas tout fait; qu'après lui l'on a été dans des parties essentielles infiniment plus loin que lui, et que l'art est plus étendu que l'esprit d'un homme. Et voilà, puisque le tems est venu de tout dire, ce qui souleva toute la populace littéraire au moment où le Commentaire parut. Voilà ce qui excita ces clameurs insensées, qui, répétées par tant d'échos, au milieu de la multitude qui n'examine point produisirent une commotion si vive et presqu'universelle qui ne se calma qu'avec le tems, qui n'est plus aujourd'hui qu'un ébranlement faible et sourd, comme le murmure des flors, qui fait souvenir de la tempête. Ces secousses passageres, ces convulsions épidémiques, lorsque les causes secretes en sont bien connues, peuvent fournir

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pas

un jour des Mémoires curieux; car l'histoire litté taire, comme toutes les autres, est celle des sions humaines, et la postérité sait gré à celui qui ne les a pas ménagées : elles sont aussi trop méprisables. Quel était donc le motif de ce grand soulévement de tant d'auteurs ou d'aspirans? Ce n'est pas que la gloire de Corneille leur fût bien chere, et d'ailleurs ils savaient bien qu'elle n'était pas attaquée; mais ils s'efforçaient de le faire croire, parce que ses défauts leur étaient précieux. Il résultait du Commentaire, que Corneille, hors dans deux ou trois pieces, avait fait de beaux morceaux plutôt que de belles tragédies, et sans cesse le commentateur lui opposait la perfection de Racine, et la présentait aux poëtes comme le modele dont il fallait s'approcher; et c'était là précisément ce qu'on ne voulait pas. Pourquoi? C'est que, sans égaler Corneille, il est plus aisé, surtout aujourd'hui, de faire quelques beaux mor ceaux, qu'une belle tragédie; c'est qu'il n'y a personne qui ne se flatte intérieurement d'avoir assez de beautés pour faire excuser beaucoup de fautes. Ce sont là de ces choses qu'on n'avoue pas au public, mais qui n'échappent pas à ceux qui sont dans le cas d'y voir de près. Il fallait bien en imposer à ce public; et que faisait-on ? L'on mettait en avant l'honneur de Corneille, qui

Mais

n'y était pour rien. On n'essayait pas la discussion: la partie n'était pas soutenable. Mais on criait: Il a manqué de respect à Corneille. Non, assurément. On ne peut le louer davantage ni mieux ; car on n'a loué que ce qui devait l'être. il releve cent défauts pour une beauté. -Il fallait les relever, puisque tant de gens sont tentés de les prendre ou intéressés à les faire prendre pour des beautés. Ces défauts existent-ils ou n'existent-ils pas? N'importe. Quand il dirait la vérité, il ne fallait pas la dire.

-

Ce dernier raisonnement, qui paraît à peine concevable, était celui d'hommes qui se piquent en littérature d'une profonde politique. J'avoue, quant à moi, que je ne puis la comprendre ni m'y accoutumer. Il faudrait une bonne fois s'expliquer et dire ce qu'on prétend. Y a-t-il des mysteres en littérature? y a-t-il des traditions à la fois erronées et respectables, qu'il faille conserver sous un voile que personne ne peut déchirer sans être sacrilége? Quoi ! les opinions de l'esprit sur les arts de l'esprit ne sont pas libres? Je conçois que les vérités qui peuvent blesser les vivans, soient délicates et dangereuses; mais celles qui ne regardent que les morts, faut-il aussi nous les défendre ? Et dans les disputes purement littéraires, où il semble que le seul danger doit être d'avoir tort,

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