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le danger le plus grand de tous sera-t-il d'avoir raison?

Ce qu'il y a de pis, c'est que le public, qui a autre chose à faire que de s'initier dans les mysreres de la politique des gens de lettres, ne s'est que trop souvent, sans le savoir, rendu le complice de la médiocrité, qui a besoin de préjugés et d'erreurs, et qui combat sans cesse celui qui ose dire la vérité. Qu'en arrive-t-il? C'est que rien n'est si rare parmi ceux qui écrivent, que de parler de bonne foi à ceux qui lisent, et ce même public est trompé sans cesse par ceux qui devraient l'éclairer. Les uns, par animosité et par passion, tâchent de lui faire croire ce qu'ils ne croient pas eux-mêmes, les autres, par dissimulation ou par faiblesse, souscrivent à ce qu'ils ne pensent pas. C'est à propos de ce commerce de mensonges, qui fait pitié à une âme franche et libre, que Voltaire écrivait dans une lettre particuliere : « Je dans le fond votre ami pense comme » vous sur ce Dante. Il est plaisant que, même sur » ces bagatelles, un homme qui pense, n'ose dire » son sentiment qu'à l'oreille de son ami. Ce » monde-ci est une pauvre mascarade. Je conçois » à toute force comment on peut dissimuler son mais je opinion pour devenir cardinal ou pape; » ne conçois guere qu'on se déguise sur le reste. "

» crois

"

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que

Il ne s'est guere déguisé en effet, et l'une des choses qui dans la postérité donneront le plus de prix à ses ouvrages littéraires, c'est qu'on s'aperçoit, en le lisant, qu'il ne veut pas vous tromper. La vivacité de son imagination fait qu'il a toujours l'air de laisser échapper son secret; il cause avec vous comme s'il était sans témoins, et toutes ses pensées paraissent des premiers mouvemens. Je ne puis pas avoir le même mérite à dire ma pensée, parce qu'elle est infiniment moins de conséquence que la sienne; c'est pour moi une raison de plus de la dire; et quand mes principes m'en font un devoir, et mon caractere un besoin, c'est encore une excuse que j'ai auprès de ceux qui m'écoutent.

Je voudrais, s'il était possible, me rendre compre de ce contraste extraordinaire, de cette étonnante disproportion qui rend le même homme d'un moment à l'autre si différent de lai-même. Tout le monde en a été frappé dans Corneille on a dir et répété que nul n'avait monté si haut et n'était tombé si bas de son tems on l'avait senti. Nous nous souvenons de ce que disait Moliere, que Corneille avait un lutin qui lui dictait de tems en tems de beaux vers, et qui ensuite l'abandonnait. Les visites de ce lutin étaient bien heureuses, mais ses éclipses étaient bien fréquentes. On en convient,

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tout moment

et personne que je sache n'en a cherché les raisons. Il ne s'agit pas de ces inégalités qui se trouvent plus ou moins dans tout ce qui sort de la main des hommes. Ici l'on passe d'une extrémité à l'autre, et il semble que l'esprit de Corneille fût formé de qualités contradictoires; ce qui ne se rencontre dans aucun des grands génies de la Grece, de Rome et de la France. Je hasarderai sur ce sujet quelques aperçus : c'est tout ce que je puis. Il faut d'abord établir les faits.

L'élévation et la force paraissent appartenir naturellement au génie de Corneille. Tout ce qui peut exalter l'âme, le sentiment de l'honneur, dans le vieux don Diegue; celui du patriotisme, dans le vieil Horace; la férocité romaine, dans son fils; l'enthousiasme de religion, dans Polyeucte; l'ambition effrénée, dans Cléopâtre; la générosité, dans Sévere et dans Auguste; l'honneur de venger un époux tel que Pompée par des moyens dignes de lui, dans le rôle de Cornélie, tous ces différens caracteres de grandeur, il les a connus, il les a tracés.

Il est ordinaire à l'homme d'avoir plus ou moins les défauts qui avoisinent ses qualités. Ainsi, que Corneille ait porté quelquefois la grandeur jusqu'à l'enflure, et l'énergie jusqu'à l'atrocité; qu'il passe

du

du sublime à la déclamation, et de la vigueur du
raisonnement à la subtilité sophistique, rien n'est
plus concevable. Mais ce qui l'est beaucoup moins,
c'est que ce même Corneille, qu'on peut appeler
par excellence le peintre de la grandeur romaine,
ait fondé l'intrigue de deux de ses pieces (et je ne
parle que
de celles qui sont restées au théâtre) sur
l'avilissement de tous les plus grands personnages
de l'ancienne Rome, de César, de Pompée et de
Sertorius. Que sera-ce si l'on se rappelle que c'est le
même homme qui se vante en vingt endroits, de
n'avoir jamais peint l'amour que mêlé d'héroïsme,
qui ne le croit digne de la tragédie qu'avec ce mé-
lange, et qui prétend que tout autre amour ne peut
qu'affadir et efféminer Melpomene? Je n'examine
point encore à quel point ces principes sont faux;
mais je demande comment il a pu les contredire à
ce point dans l'application, ou les entendre si mal.
Quel héroïsme a-t-il pu voir dans l'amour de César
pour Cléopâtre, ou de Cléopâtre pour César? Qu'y
a-t-il d'héroïque dans l'une, lorsqu'elle dit (car il
faut absolument citer):

Partout en Italie, aux Gaules, en Espagne,
La fortune le suit et l'amour l'accompagne.

Son bras ne dompte point de peuples ni de lieux,
Dont il ne rende hommage au pouvoir de mes yeux;
Cours de littér, Tome IV.

Y

Et de la même main dont il quitte l'épée,
Fumante encor du sang des amis de Pompée,
Il trace des soupirs, et d'un style plaintif,
Dans son champ de victoire, il se dit mon captif.
Oui, tout victorieux il m'écrit de Pharsale,
Et si sa diligence à ses feux est égale,
Ou plutôt si la Mer ne s'oppose à ses vœux,
L'Égypte le va voir me présenter ses feux.
Il vient, ma Charmion, jusque dans nos murailles,
Chercher auprès de moi le prix de ses batailles,
M'offrir toute sa gloire et soumettre à mes lois,
Et le cœur, et la main qui les donnent aux rois;
Si bien que ma rigueur, ainsi que le tonnerre,
Peut faire un malheureux du maître de la Terre.

Qu'y a-t-il d'héroïque dans l'autre, lorsqu'il dit à la reine :

C'était pour conquérir un bien si précieux,
Que combattait partout mon bras ambitieux,
Et dans Pharsale même il a tiré l'épée,

Plus pour les conserver que pour vaincre Pompée.
Je l'ai vaincu, princesse, et le dieu des combats
M'y favorisait moins que vos divins appas.

Ils conduisaient ma main, ils enflaient mon courage:
Cette pleine victoire est leur dernier ouvrage.
C'est l'effet des ardeurs qu'ils daignaient m'inspirer,
Et vos beaux yeux enfin m'ayant fait soupirer,
Pour faire que votre âme avec gloire y réponde,
M'ont rendu le premier, et de Rome, et du Monde:
C'est ce glorieux titre à présent effectif,
Que je viens anoblir par celui de captif.

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