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Voilà donc le langage que prête à César un homme qui se pique de ne point affadir la tragédie! Et quelle fadeur plus ridicule que celle de César, qui n'a vaincu à Pharsale que pour Cléopâtre ? Quelle coquetterie plus froide que celle de cette reine, qui parle de ses rigueurs comme d'un tonnerre? Et quel roman est écrit d'un plus mauvais style? Expliquez après cela ce qu'il écrit à Saint-Évremond. « Vous '" confirmez ce que j'ai avancé sur la part que l'a» mour doit avoir dans les belles tragédies, et sur » la fidélité avec laquelle nous devons conserver à ces » vieux illustres les caracteres de leur tems et de leur

» humeur. » Eh bien ! il croyait donc que le caractere du tems et de l'humeur de César était de se battre à Pharsale pour Cléopâtre, et de se dire son captif? On a dit quelque part qu'il fallait que Corneille eût eu des mémoires particuliers sur les Romains : ce qu'il y a de sûr, c'est que ceux qui nous restent de César, le représentent sous des traits un peu différens.

Deux autres vieux illustres, Sertorius et Pompée, sont encore bien plus étrangement dégradés. Pourquoi Pompée demande-t-il une entrevue à Sertorius? C'est pour voir sa femme Aristie, qu'il a eu la lâcheté de répudier pour obéir à Sylla; c'est pour lui dire qu'il est désespéré d'avoir pris une autre femme, mais qu'il n'ose ni la quitter ni reprendre

Aristie; c'est pour la supplier de lui être toujours
fidelle, et d'attendre que la mort de Sylla lui per-
mette de revenir à ses premiers liens. Tel est l'objet
d'une très-longue scene entre lui et sa femme, où
celle-ci ne manque pas de lui faire sentir toute son
abjection. Je n'ai
pas le courage d'en rien citer : il
suffit de montrer le grand Pompée dans une situa-
tion pareille, pour faire comprendre qu'il est im-
possible de mettre en scene un héros d'une maniere
plus indigne de lui et de la tragédie. On ne peut lui
comparer que le vieux Sertorius, qui dit :

J'aime ailleurs à mon âge il sied si mal d'aimer,
Que je le cache même à qui m'a su charmer.

Celle qui l'a su charmer, c'est Viriate; mais on peut juger de cet amour par le parti que prend Sertorius au premier mot que lui dit Perpenna de l'amour qu'il ressent de son côté pour cette même Viriate. Il la lui cede sur le champ et le recommande à la reine de Lusitanie, malgré les avances que celle-ci lui fait à lui-même. Il est vrai qu'il finit par lui dire en soupirant :

Je parle pour un autre, et cependant, hélas !
Si vous saviez.....

VIRIATE.

Seigneur, que faut-il que je sache?

Et quel est le secret que ce soupir me cache ?

SERTORIUS.

Ce soupir redoublé.............

VIRIATE.

N'achevez point: allez.

Je vous obéirai plus que vous ne voulez.

Et c'est le grand Corneille qui donne au vieux Sertorius un soupir redoublé ! Voltaire dit en propres termes: « On n'a jamais rien mis de plus mauvais » sur aucun théâtre. » Et il ne dit que trop vrai.

Cherchons maintenant ce qui a pu égarer à ce point un homme qui avait mis tant de force dans la peinture des grands caracteres, et qui fait jouer ensuite aux plus grands-hommes un rôle si ridicule. Je n'en vois point d'autre cause que l'esprit dominant de son siecle qui l'a entraîné. Il était de regle de parler d'amour dans toutes nos pieces, modelées pour la plupart sur les pieces espagnoles et sur les romans de chevalerie qui étaient en vogue. Or, dans ces dangereux modeles, l'amour n'était jamais traité comme une passion qui commande, mais comme une mode qu'il fallait suivre. Il était de bienséance que tout chevalier eût une dame de ses pensées, pour laquelle il soupirait par convenance et se battait par habitude. Lisez dans nos grands romans les conversations amoureuses : c'est un échafaudage de sentimens hors de nature: ce sont des

délicatesses quintessenciées, des scrupules et des respects sans fin et sans bornes, qui devaient ennuyer un peu celles qui en étaient les objets. Et malheureusement, lorsque Corneille écrivit, personne n'avait traité l'amour autrement. Les Grecs, chez qui l'on avait étudié quelques-unes des principales regles de la tragédie, les Grecs n'y faisant point entrer l'amour, n'avaient pu nous servir de guides dans cette partie de l'art; et Corneille, naturellement porté à tout ce qui avait un air de grandeur vrai ou faux, se persuada que l'amour, peint sous ses traits, avait quelque chose de noble et d'héroïque. En ce genre on retrouve à tout moment chez lui l'exagération la plus romanesque. Quand Rodogune vient de demander aux deux princes amoureux d'elle la tête de leur mere, Saleucus s'en plaint avec quelque raison.

Une âme si cruelle

Méritait notre mere et devait naître d'elle.

Mais Antiochus, en amant parfait, lui reproche une révolte qui blesse le respect que l'on doit à sa divinité.

Plaignons-nous sans blasphême....

Il faut plus de respect pour celle qu'on adore.....
Et c'est tenir d'elle bien peu de compte,

Que faire une révolte et si pleine et si prompte.

Cette soumission religieuse, qui craint de blasphémer, n'est-ce pas celle que la princesse Alcidiane exige de Polexandre, lorsqu'elle lui ordonne d'aller dans l'Afrique, à la Chine et dans la grande Tartarie, de là au Thibet et dans les Indes, pour tuer cinq ou six rois ou empereurs assez insolens pour se déclarer amoureux d'elle? Cela nous paraît aujourd'hui fort plaisant; mais au tems du sieur de Gomberville, auteur de Polexandre et membre de l'académie française, cela paraissait fort beau; et combien il est rare de n'être pas plus ou moins asservi par les idées de ses contemporains! Ce fut Boileau qui le premier livra au ridicule ces extravagantes productions: ce fut lui qui enseigna dans son Art poétique quel ton et quel caractere devait avoir l'amour sur la scene tragique.

N'allez pas d'un Cyrus nous faire un Artamene.
Qu'Achille aime autrement que Tircis et Philene.

Mais il faut être juste: avant qu'il donnât le précepte, Racine avait donné le modele, et quand il fit Andromaque, il fit voir un art nouveau que personne ne lui avait appris. C'est là, comme nous le verrons bientôt, un de ses grands titres de gloire. Corneille n'eut pas celle-là, si l'on excepte les scenes du Cid, imitées de Guilain de Castro, et celles de Pauline et de Sévere. D'ailleurs, il n'a

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