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déshonoré son nom en peignant la tendresse? Il me semble que cet excès n'avait pas déshonoré l'auteur des amours de Didon. Quel renversement de toutes les idées reçues! quel oubli de toute bienséance ! Et pourquoi? Pour insinuer que le talent de Racine, qui excelle à peindre l'amour, est peu de chose, qu'il est indigne d'un grand poëte; et afin qu'on n'en doute pas, il cite sur le champ Attila, joué la même année qu'Andromaque. Corneille, nous dit-il, ne pouvait mieux braver son siecle. Non, il ne pouvait mieux braver le bon sens et le bon goût, et quand Boileau disait,`après l'Attila, holà! il parlait comme toute la France. Il ne s'agit pas de le prouver; ce serait, malgré l'autorité de Fontenelle, le seul tort que l'on pût avoir avec lui. S'il est possible à quelqu'un de supporter la lecture de cet incompréhensible ouvrage, il verra que ce qui paraît à Fontenelle une férocité noble, digne du roi des Huns, est une démence risible, indigne non-seulement de l'auteur des Horaces, mais, comme le dit Voltaire, du dernier des versificateurs. Ceux qui savent ce qu'on doit à Corneille, ne se permettent jamais de parler de ces sortes de pieces; mais quand l'esprit de parti va jusqu'à les exalter, il faut le confondre. De nos jours même on a imprimé dans une compilation alphabétique, dont les auteurs, qui prétendent juger

trois siecles, assurément ne seront jamais connus. du leur; on a imprimé qu'Attila, Agésilas et Pulchérie supposaient plus de mérite que Mérope, Alzire et Mahomet. Croit-on que ceux qui ont débité cette sotise, aient voulu honorer Corneille? Non, ils voulaient outrager Voltaire; ils voulaient surtout plaire à ses ennemis, qui n'ont pas manqué de répéter cette ineptie. Il n'y a que l'envie humiliée ou la bassesse voulant flatter la haine, qui puisse s'exprimer ainsi; et comme je les déteste sans les craindre, je ne les rencontre jamais sans les flétrir.

Il demeure prouvé que Corneille, faute d'avoir su traiter l'amour lorsqu'il en mettait partout, a fait des héros de roman de plusieurs de ses principaux personnages, gâté presque tous ses sujets et refroidi même ses meilleures pieces. Si ce défaut est sensible dans les rôles d'hommes, il l'est encore bien plus dans les femmes, qui doivent connaître et exprimer encore mieux que nous toutes les nuances de cette passion, et lui conserver toutes les bienséances du sexe. Corneille les a blessées trop souvent, même dans ses ouvrages les plus estimés: c'est un sentiment qu'il n'avait pas. Chez lui, Pauline dit, en parlant de Polyeucte :

Il est toujours aimable, et je suis toujours femme.

Émilie dit qu'elle a promis à Cinna toutes les douceurs de sa possession, que ses faveurs l'attendent. On pourrait citer beaucoup de traits semblables; mais il suffit d'indiquer le défaut général.

C'en est un bien grand encore, et qui revient bien plus fréquemment, de ne mettre dans la bouche des personnages amoureux que des raisonnemens, des maximes, des sentimens qui ressemblent, comme le remarque Voltaire, au code de la Cour d'Amour; de parler toujours de ce que veut un bel œil, de ce que fait un véritable amant. Racine n'est pas tombé une seule fois dans ce défaut; il est porté dans Corneille au dernier excès: on le trouve à toutes les pages.

Dans d'autres genres même, il procede presque toujours par le raisonnement mis à la place du sentiment, et souvent, au lieu de faire ressortir le caractere dans le discours, il fait dire crûment : J'ai tel caractere, j'ai de la grandeur, j'ai de l'ambition, j'ai de la politique, j'ai de la fierté. L'art consiste au contraire à le faire voir au spectateur sans le lui dire. Cette remarque est de Vauvenargues : elle est très-judicieuse.

Corneille, qui dans Cinna parle avec un grand sens des principes du droit public et des vices attachés aux différentes formes de gouvernement, qui,

dans la scene entre Sertorius et Pompée, et dans la premiere scene d'Othon, développe supérieurement la politique d'un chef de parti, montre ailleurs une affectation de la politique de cour, qui est chez lui un caractere trop marqué pour qu'on puisse n'en pas parler; et cette politique, qui est très fausse, tient beaucoup plus de la rhétorique que de la connaissance des hommes. Ici le siecle où vivait Corneille a visiblement influé sur ses écrits, quoiqu'on ait eu très-grand tort de dire que ce siecle avait déterminé la nature de son talent. Non, ce talent était trop décidé, trop caractérisé pour suivre une impulsion étrangere. Ce ne sont pas les troubles de la Fronde qui lui ont fait faire Cinna et les Horaces; mais accoutumé à entendre parler de factions, de complots et d'intrigues, à voir donner une grande importance à ce qu'on appelait l'esprit de cour, les maximes de cour, il crut devoir en parler comme s'il eût toute sa vie vécu ailleurs que dans son cabinet, et chez lui hommes et femmes se vantent sans cesse de leur politique. Nous avons vu celle de Félix; celle de Cléopâtre dans Rodogune et d'Arsinoë dans Nicomede ne les empêche pas de faire, sans la moindre nécessité, les confidences les plus dangereuses et les plus horribles. Il semble qu'elles

qu'elles ne les fassent que pour avoir occasion de dire: Voyez comme je suis méchante. L'auteur a l'air de croire que lorsqu'à la cour on commet un crime, on se fait gloire de le commettre. Il fait dire à Photin:

Le droit des rois consiste à ne tien épargner.
La timide équité détruit l'art de régner.

Quand on craint d'être injuste, on a toujours à craindre,
Et qui veut tout pouvoir doit oser tout enfreindre,
Fuir comme un déshonneur la vertu qui le perd,
Et voler sans scrupule au crime qui le sert.

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Et Ptolémée, en sortant du conseil, ne manque pas de parler aussi de crime. Allons, dit-il,

Nous immortaliser par un illustre crime.

Comme ces fautes ont été imitées de nos jours, et que les jeunes gens les prennent volontiers pour de la force, il faut leur redire que c'est là précisément une déclamation de rhéteur, et non pas le langage des hommes d'État. Jamais ceux qui commettent ou qui conseillent le crime ne le présentent sous ses véritables traits: ils sont trop hideux. Un homme passionné pourrait dire : Vous m'entraînez au crime, parce qu'alors sa passion même lui sert d'excuse. Mais personne ne dit de sang-froid: Allons commettre un crime. Personne Cours de littér. Tome IV.

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