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» L'invention du dialogue a sans doute été le premier pas de l'art dramatique. Celui qui imagina d'y joindre une action, fit un second pas bien important. Cette action se modifia de différentes manieres, devint plus ou moins attachante, plus ou moins vraisemblable. La musique et la danse vinrent embellir cette imitation. On connut l'illu

sion de l'optique et la pompe théâtrale. Le premier qui, de la combinaison de tous ces arts réunis, fit sortir de grands effets et des beautés pathétiques, mérita d'être appelé le pere de la tragédie. Ce nom était dû à Eschyle, mais Eschyle apprit à Euripide et à Sophocle à le surpasser, et l'art fut porté à sa perfection dans la Grece. Cette perfection était pourtant relative et en quelque sorte nationale. En effet, s'il y a dans les tragiques anciens des beautés de tous les tems et de tous les lieux, il n'en est pas moins vrai qu'une bonne tragédie grecque, fidellement transportée sur notre théâtre, ne suffirait pas à faire une bonne tragédie française; et si l'on peut citer quelque exception à ce principe général, cette exception même prouverait du moins que cinq actes des Grecs ne peuvent nous en donner que trois. Nous avons ordinairement à fournir une tâche plus longue et plus pénible. Melpomene, chez les Anciens, paraissait sur la scene, entourée des attributs de Terpsicore et de

Polymnie. Chez nous, elle est seule et sans autre la ter

secours que son art, sans autres appuis que reur et la pitié. Les chants et la grande poésie des chœurs relevaient l'extrême simplicité des sujets grecs, et ne laissaient apercevoir aucun vide dans la représentation. Ici, pour remplir la carriere de cinq actes, il nous faut mettre en œuvre les ressorts d'une intrigue toujours attachante, et les mouvemens d'une éloquence toujours plus ou moins passionnée. L'harmonie des vers grecs enchantait les oreilles avides et sensibles d'un peuple poëte : ici le mérite de la diction, si important à la lecture, si décisif pour la réputation, ne peut, sur la scene, ni excuser les fautes, ni remplir les vides, ni suppléer à l'intérêt devant une assemblée d'hommes qui tous ont un égal besoin d'émotion, mais qui ne sont pas tous à beaucoup près également juges du style. Enfin, chez les Athéniens, les spectacles donnés en certains tems de l'année, étaient des fêtes religieuses et magnifiques, où se signalait la brillante rivalité de tous les arts, et où les sens, séduits de toutes les manieres, rendaient l'esprit des juges moins sévere et moins exigeant. Ici la satiété qui naît d'une jouissance de tous les jours, doit ajouter beaucoup à la sévérité du spectateur, lui donner un besoin plus impérieux d'émotions fortes et nouvelles ; et de toutes ces considérations, ;;

on peut conclure que l'art des Corneille et des Racine devait être plus étendu, plus varié, plus difficile que celui des Euripide et des Sophocle.

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» Ces derniers avaient encore un avantage que n'ont pas eu parmi nous leurs imitateurs et leurs rivaux ils offraient à leurs concitoyens les grands événemens de leur histoire, les triomphes de leurs héros, les malheurs de leurs ennemis, les infortunes de leurs ancêtres, les crimes et les vengeances de leurs dieux; ils réveillaient des idées imposantes, des souvenirs touchans et flatteurs, et parlaient à la fois à l'homme et au citoyen.

» La tragédie, soumise comme tout le reste. au caractere patriotique, fut donc chez les Grecs leur religion et leur histoire en action et en spectacle. Corneille, dominé par son génie et n'empruntant aux Anciens que les premieres regles de l'art, sans prendre leur maniere pour modele fit de la tragédie une école d'héroïsme et de vertu. Mais combien il y avait encore à faire! combien l'art dramatique, qui doit être le résultat de tant de mérites différens, était loin de les réunir ! combien y avait-il encore, je ne dis seulement à perfectionner, mais à créer ? Car l'assemblage de tant de beautés neuves et tragiques qui étincelerent dans le premier chef-d'œuvre de Racine, dans Andromaque, n'est-il pas une véri

pas

table création? C'est à partir de ce point, que Racine, plus profond dans la connaissance de l'art,' que personne ne l'avait encore été, s'ouvrit une route nouvelle, et la tragédie fut alors l'histoire des passions et le tableau du cœur humain. » Éloge

de Racine.

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Mais il ne faut pas dédaigner de jeter un coup d'œil sur les essais de sa premiere jeunesse. Nous reconnaîtrons, au milieu de tous les défauts qui dominaient encore sur la scene, le germe d'un grand talent poétique, et Racine s'y annonce déjà par un des mérites qui lui sont propres, celui de lá versification. Il n'avait pas vingt-cinq ans lorsqu'il donna les Freres ennemis, commencés long-tems auparavant, sujet traité sur tous les théâtres anciens, et qui ne pouvait guere réussir sur le nôtre. Ni l'un ni l'autre des deux freres ne peut inspirer d'intérêt; tous deux sont à peu près également coupables, également odieux; l'un est un usurpateur du trône, et l'autre est l'ennemi de sa patrie. Leur mere ne peut montrer qu'une douleur impuissante; et des intrigues d'amour ne peuvent se mêler convenablement au milieu des horreurs de la race de Laïus. Tel est le vice du sujet, et la fable de la piece ne valait pas mieux. La maniere du jeune poëte est fidellement calquée sur les défauts de Corneille. Rien ne prouve mieux que le talent commence

presque toujours par l'imitation. C'est en même tems un hommage qu'il rend à ses maîtres, et un écueil où il peut échouer, si le modele n'est pas parfait; car il est de l'inexpérience et de la faiblesse de cet âge de s'approprier d'abord ce qu'il y a de plus aisé à imiter, c'est-à-dire, les fautes. Ainsi l'on voit dans les Freres ennemis un Créon, qui, dans le tems même où il n'est occupé qu'à brouiller ses deux neveux, et à les perdre l'un par l'autre pour leur succéder, est bien tranquillement et bien froidement amoureux de la princesse Antigone, comme Maxime l'est d'Émilie, et rival de son fils Hémon, qu'il sait bien être l'amant préféré. Il finit par faire à cette Antigone, qui le hait et le méprise ouvertement, une proposition tout au moins aussi déplacée et aussi déraisonnable que celle de Maxime à Émilie. Lorsque Étéocle et Polynice sont tués, que leur mere Jocaste s'est donné la mort, qu'Hémon et Menécée, les deux fils de Créon, viennent de périr à la vue des deux armées, Créon, qui est resté tout seul, n'imagine rien de mieux que de proposer à Antigone de l'épouser. On sent qu'une pareille scene, dans un cinquieme acte rempli de meurtres et de crimes, suffirait pour faire tomber une piece. Antigone ne lui répond qu'en le quittant pour aller se tuer comme les

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