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autres personnages de la tragédie. Créon n'a pas le courage d'en faire autant, apparemment pour qu'il soit dit que tout le monde ne meurt pas; mais il jette de grands cris, et finit par dire qu'il va chercher du repos aux enfers.

On retrouve aussi dans les Freres ennemis ces longs monologues sans nécessité, qu'il était d'usage de donner aux acteurs et aux actrices comme les morceaux les plus propres à les faire briller, er jusqu'à des stances dans le goût de celles de Polyeucte et d'Héraclius, espece de hors-d'œuvre qui est depuis long-tems banni de la scene, où il formait une disparate choquante, en mettant trop évidemment le poëte à la place du personnage. On y retrouve les déclamations, les maximes gratuitement odieuses, et même les raisonnemens alambiqués à la place du sentiment; défauts où Racine n'est jamais tombé depuis. Jocaste parle à ses deux fils à peu près comme Sabine dans les Horaces parle à son époux et à son beau-frere. Elle veut leur prouver en forme qu'ils doivent la tuer; et remarquons, en passant, combien il y a quelquefois peu d'intervalle entre le faux et le vrai que Jocaste, au désespoir de ne pouvoir fléchir ses deux fils, leur dise qu'il faudra qu'ils lui percent le sein avant de combattre; qu'elle se

:

jettera entre leurs épées, ce langage est convenable; mais qu'elle dise :

Je suis de tous les deux la commune ennemie,
Puisque votre ennemi reçut de moi la vie.
Cet ennemi sans moi ne verrait pas le jour ;

S'il meurt, ne faut-il pas que je meure à mon tour?
N'en doutez point, sa mort me doit être commune :
Il faut en donner deux ou n'en donner pas une.

ces subtilités sont beaucoup trop ingénieuses. Ce n'est pas le langage de la douleur ; elle n'a pas assez d'esprit pour faire de pareils sophismes : cet esprit paraissait alors quelque chose de brillant; mais il ne faut qu'un moment de réflexion pour sentir

combien il est faux.

par

Les Freres ennemis eurent pourtant quelque succès, et ce coup d'essai n'est pas sans beautés. La haine des deux freres est peinte avec énergie, et la scene de l'entrevue est très-bien traitée. Le poëte a eu l'art de nuancer deux caracteres dominés un même sentiment, et ce mérite seul suffisait pour annoncer le talent dramatique que le judicieux. Moliere aperçut et encouragea dans le premier ouvrage de Racine. Polynice a plus de noblesse et de fierté; Étéocle, plus de férocité et de fureur. Quand Jocaste représente à Polynice qu'Étéocle

s'est fait aimer du peuple depuis qu'il regne dans

Thebes, le prince répond:

C'est un tyran qu'on aime,

Qui par cent lâchetés tâche à se maintenir
Au rang où par la force il a su parvenir,

Et son orgueil le rend, par un effet contraire,
Esclave de son peuple et tyran de son frere.
Pour commander tout seul il veut bien obéir,
Et se fait mépriser pour me faire haïr.

Ce n'est pas sans sujet qu'on me préfere un traître ;

Le peuple aime un esclave, et craint d'avoir un maître; Mais je croirais trahir la majesté des rois

Si je faisais le peuple arbitre de mes droits.

Ces vers, d'une tournure ferme et d'un grand sens, ressemblent aux bons vers de Corneille, et font voir que son jeune rival savait déjà imiter quelquesunes de ses beautés.

D'un autre côté, Étéocle trace avec force cette aversion réciproque qui a toujours régné entre son frere et lui. Il n'était pas aisé d'exprimer noblement cette tradition de la fable, qu'Étéocle et Polynice se battaient ensemble dans le sein de leur mere. Le poëte y réussit, et tout ce morceau, à quelques fautes près, est d'un style tragique.

Je ne sais si mon cœur s'appaisera jamais ;
Ce n'est pas son orgueil, c'est lui seul que je hais.

Nous avons l'un pour l'autre une haine obstinée;
Elle n'est pas, Créon, l'ouvrage d'une année;
Elle est née avec nous, et sa noire fureur,
Aussitôt que la vie, entra dans notre cœur.
Nous étions ennemis dès la plus tendre enfance;
Que dis-je ? nous l'étions avant notré naissance.
Triste et fatal effet d'un sang incestueux !
Pendant qu'un même sein nous renfermait tous deux,
Dans les flancs de ma mere, une guerre intestine
De nos divisions lui marquait l'origine.

Elles ont, tu le sais, paru dans le berceau,
Et nous suivront peut-être encor dans le tombeau.
On dirait que le ciel, par un arrêt funeste,
Voulut de nos parens punir ainsi l'inceste,
Et que dans notre sang
il voulût mettre au jour
Tout ce qu'ont de plus noir et la haine et l'amour.
Et maintenant, Créon, que j'attends sa venue,
Ne crois pas que pour lui ma haine diminue.
Plus il approche, et plus il me semble odieux;
Et sans doute il faudra qu'elle éclate à ses yeux.
J'aurais même regret qu'il me quittât l'empire :
Il faut, il faut qu'il fuie et non qu'il se retire.
Je ne veux point, Créon, le haïr à moitié,
Et je crains son courroux moins que son amitié ;
Je veux, pour donner cours à mon ardente haine,
Que sa fureur au moins autorise la mienne;
Et puisqu'enfin mon cœur ne saurait se trahir,
Je veux qu'il me déteste, afin de le haïr.

Et un moment après, lorsqu'on lui annonce que son frere approche, il s'écrie:

Qu'on hait un ennemi quand il est près de nous!

La description de leur combat, malgré quelques vers de jeune homme, est en général bien écrite et digne du sujet. Mais le talent de l'auteur pour la versification se développe bien davantage dans Alexandre. C'est la premiere de nos pieces qui ait été écrite avec cette élégance qui consiste dans la propriété des termes, dans la noblesse de l'expression, dans le nombre et la cadence du vers. Ce mérite, que l'auteur porta depuis infiniment plus loin, et le caractere de Porus, marquaient déjà un progrès dans sa composition, et la piece eut beaucoup de succès; mais elle manque de cet intérêt qui soutient seul les pieces de théâtre, quand on n'y supplée pas par des beautés d'un autre genre, assez supérieures pour en tenir lieu, comme on en voit des exemples dans quelques-unes des pieces de Corneille. L'esprit d'imitation est ici encore plus marqué que dans les Freres ennemis. Alexandre est aussi froidement amoureux d'une

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reine des Indes, que César de celle d'Égypte. L'amitié sans doute aveuglait Despréaux, quand il met dans la bouche d'un campagnard ces vers en forme de reproche, et dont il veut faire une louange :

Je ne sais pas pourquoi l'on vante l'Alexandre:
Ce n'est qu'un glorieux qui ne dit rien de tendre.

Il n'est pas fort tendre en effet ; mais il est assez galant pour dire à sa maîtresse :

Je

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