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livre de l'Enéide lui firent naître l'idée de son Andromaque. Ils contiennent une partie du sujet, l'amour de Pyrrhus pour Andromaque et le meurtre de ce prince tué de la main d'Oreste aux pieds des autels. Il y a cette différence, que dans Virgile Pyrrhus a abandonné Andromaque pour épouser Hermione dont Oreste est amoureux. Voilà tout ce que la fable a fourni au poëte, et si l'on excepté les sujets absolument d'invention, il y en a peu où l'auteur ait plus mis du sien.

Quel que fût le succès d'Andromaque, Corneille et Racine n'en avaient pas encore appris assez à la nation pour qu'elle pût saisir tout ce qu'un pareil ouvrage avait d'étonnant : Racine était dès-lors ttop au dessus de son siecle et de ses juges. Il faut plus d'une génération pour que les connaissances, s'étendant de proche en proche, répandent un grand jour sur les mouvemens du génie. Il est bien plus prompt à créer que nous ne le sommes à le connaître. Instruits par cent ans d'expérience et de réflexion, nous sentons mieux aujourd'hui quel homme ce serait que Racine, quand il n'aurait fait qu'Andromaque. Quelle marche claire et distincte dans une intrigue qui semblait double! Quel art d'entrelacer et de conduire ensemble les deux branches principales de l'ac

tion, de maniere qu'elles semblent n'en faire qu'une ! Tout se rapporte à un seul événement décisif, au mariage d'Andromaque et de Pyrrhus, er les événemens que produit l'amour d'Oreste pour Hermione, sont toujours dépendans de celui de Pyrrhus pour Andromaque. Ce mérite de la difficulté vaincue suppose une science profonde de l'intrigue: il faut le développer.

Il y a trois amours dans cette piece : celui de Pyrrhus pour Andromaque, celui d'Hermione pour Pyrrhus, et celui d'Oreste pour Hermione. Il fallait que tous trois fussent tragiques, que tous trois eussent un caractere différent, et que tous trois concourussent à lier et à délier le noeud principal du sujet, qui est le mariage de Pyrrhus avec Andromaque, d'où dépend la vie du fils d'Hector.

Le poëte est venu à bout de tout. D'abord l'amour est tragique dans tous les trois, c'est-à-dire, au point où il peut produire de grandes catastrophes et de grands crimes. Si Pyrrhus n'obtient pas la main d'Andromaque, il livrera le fils de cette princesse aux Grecs qui le lui demandent. Ils ont des droits sur leur victime, et il ne peut refuser à ses alliés le sang de leur ennemi commun, à moins qu'il ne puisse leur dire: Sa mere est ma femme, et son fils est devenu le mien. Voilà des

motifs suffisans, bien conçus, et dignes de la tragédie. Quoique ce sacrifice d'un enfant puisse nous paraître tenir de la cruauté, les mœurs connues de ces tems, les maximes de la politique et les droits de la victoire l'autorisent suffisamment. Tout est motivé, tout est vraisemblable; et de peur que l'amour de Pyrrhus ne nous rassurât sur le sort d'Astyanax, le poëte lui a conservé le caractere fier et impétueux qui convient au fils d'Achille, et cette violente passion qui peut devenir cruelle si elle n'est pas satisfaite. Voici comme il est annoncé dès la premiere scene.

Chaque jour on lui voit tout tenter
Pour fléchir sa captive où pour l'épouvanter.
De son fils qu'il lui cache il menace la tête,
Et fait couler des pleurs qu'aussitôt il arrête.
Hermione elle-même a vu plus de cent fois
Cet amant irrité revenir sous ses lois,

Et de ses vœux troublés lui rapportant l'hommage,
Soupirer à ses pieds, moins d'amour que de rage.
Ainsi n'attendez pas que je puisse aujourd'hui
Vous répondre d'un cœur si peu maître de lui.
Il peut, seigneur, il peut, dans ce désordre extrême,
Épouser ce qu'il hait et perdre ce qu'il aime.

Et ces hommes que la passion laisse si peu maures d'eux-mêmes, sont précisément ce qu'il nous faut dans la tragédie. On ne sait pas ce qui arrivera,

mais on peut s'attendre à tout: l'on espere et l'on craint, et c'est tout ce qu'on veut au théâtre. Le langage de Pyrrhus confirme ce que Pylade vient d'en dire. Se flatte-t-il de toucher le cœur de celle qu'il aime? il promet tout, rien ne lui coûte.

Madame, dites-moi seulement que j'espere,
Je vous rends votre fils et je lui sers de pere.
Je l'instruirai moi-même à venger les Troyens;
J'irai punir les Grecs de vos maux et des miens.
Animé d'un regard, je puis tout entreprendre.
Votre llion encor peut sortir de sa cendre;

Je puis, en moins de tems que les Grecs ne l'ont pris,
Dans ses murs relevés couronner votre fils.

Pourquoi ces promesses si singulieres dans la bouche du fils d'Achille, loin de nous blesser, nous paraissent-elles si naturelles? C'est que nonseulement elles tiennent à un caractere déjà annoncé, à la fougue de la jeunesse, à l'enthousiasme de la passion, mais encore c'est qu'elles n'ont rien de contraire à l'héroïsme du guerrier. Ce n'est point un froid compliment de galanterie, comme celui d'Alexandre à la reine Cléophile, quand il lui dit que c'est pour elle qu'il est venu en vainqueur jusque dans les Indes: on sent trop que cela est faux, et qu'Alexandre n'avait pas

besoin de Cléophile pour avoir la fureur de conquérir le Monde. Mais qu'un jeune guerrier qui a renversé Troye, se fasse un plaisir et une gloire de la relever pour y couronner le fils de sa maîtresse, le fils d'Hector, cette idée peut flatter à la fois son amour et sa fierté : on sent qu'il ne promet que ce qu'il pourrait faire, et que la passion parle chez lui le langage de la vérité. Ce que je dis, tout le monde l'a senti comme moi; mais je l'ai détaillé pour répondre à ceux qui font si peu de cas du bon sens, qu'ils le croient même contraire à l'imagination et aux grands effets; pour leur démontrer que la tragédie n'en produit pas un seul qui ne soit fondé sur la raison, que ce qui nous a paru froid et ennuyeux était déraisonnable, que ce qui nous intéresse et nous émeut est vrai et sensé.

Ce même Pyrrhus, un moment après, est-il offensé des refus d'Andromaque? ce n'est plus cet homme qui ne demandait seulement qu'à espérer: il ne connaît plus que les extrêmes.

Eh bien! Madame, eh bien! il faut yous obéir,
Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr.
Qui, mes vœux ont trop loin poussé leur violence,
Pour ne plus s'arrêter que dans l'indifférence.
Songez-y bien. Il faut désormais que mon cœur,
S'il n'aime avec transport,
haïsse avec fureur.

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