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Je n'épargnerai rien dans ma juste colere ;
Le fils me répondra des mépris de la mere.
La Grece le demande; et je ne prétends pas
Mettre toujours ma gloire à sauver des ingrats.

Ce sont là les alternatives et les contrastes naturels de la passion. Heureusement qu'en amour il ne s'agit pas souvent d'événemens de cette importance, mais le fond est le même; les différences sont relatives. Les femmes qui ont rencontré des hommes vraiment amoureux, savent qu'il ne faut qu'un mot pour les faire passer des transports de la joie à ceux de la fureur. Cette vivacité d'imagination, nécessaire pour bien peindre les passions humaines, me rappelle un mot de Voltaire, aussi vrai que plaisant. Il exerçait une actrice, et tâchajt de lui donner plus de feu qu'elle n'en avait; mais, Monsieur, lui dit-elle, si je jouais ainsi, on me croirait le diable au corps.Eh! oui, Eh! oui, Mademoiselle, voilà ce que je vous demande :"pour jouer la tragédie et pour la faire, il faut avoir le diable au

corps.

Si l'amour de Pyrrhus est tragique, celui d'Oreste l'est-il moins? Oreste remplit parfaitement l'idée que nous en donnent toutes les traditions mythologiques. Il semble poursuivi par une fatalité invincible: il paraît pressentir les crimes auxquels il est réservé, et qui sont comme attachés à

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son nom. Sa passion est sombre et forcenée; elle est noircie de cette mélancolie sinistre qui est toujours près du désespoir. Il ne voit, n'imagine rien que de funeste. Il dit à Pylade, au moment où Hermione se croit sûre d'épouser Pyrrhus :

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Mon innocence enfin commence à me peser.
Je ne sais, de tout tems, quelle injuste puissance,
Laisse le crime en paix, et poursuit l'innocence.
De quelque part sur moi que je tourne les yeux,
Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux.
Méritons leur courroux, justifions leur haine,

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L'ingrate, de mes pleurs, jouira-t-elle moins?

Tout lui rirait, Pylade; et moi, pour mon partage,
Je n'emporterais donc qu'une inutile rage?
J'irais loin d'elle encor, tâcher de l'oublier?

Non, non, à mes tourmens je veux l'associer.

C'est trop gémir tout seul; je suis las qu'on me plaigne,
Je prétends qu'à mon tour l'inhumaine me craigne,
Et que ses yeux cruels, à pleurer condamnés,
Me rendent tous les noms que je leur ai donnés.

On plaint en effet ce malheureux Qreste, plus qu'on ne le condamne; et ce qu'on n'a peut-être pas observé, c'est que l'amitié qui l'unit à Pylade, répand sur lui une sorte d'intérêt qui nous porte

encore à excuser son crime. On sent confusément qu'un homme à qui il reste un ami, peut bien être coupable, mais n'est pas déterminément méchant. On est ému lorsqu'au milieu de ses projets sinistres, résolu d'enlever Hermione au péril de sa vie, le seul sentiment doux qui lui reste est en faveur de Pylade.

Mais toi,
, par quelle erreur veux-tu toujours sur toi
Détourner un courroux qui ne cherche que moi?
Assez et trop long-tems mon amitié t'accable:
Évite un malheureux, abandonne un coupable.
Cher Pylade, crois-moi, ta pitié te séduit.
Laisse-moi des périls dont j'attends tout le fruit;
Porte aux Grecs cet enfant que Pyrrhus m'abandonne.
Va-t-en.

Et quelle est la réponse de Pylade? Ce ne sont pas de ces tournures sentencieuses, telles que nous les voyons si souvent dans Corneille. Il ne dit pas : Un véritable ami doit tout sacrifier, jusqu'à son devoir; il ne dit pas : Je sais comme doit agir en pareil cas un ami véritable : l'amitié ne connaît point de dangers, etc. Il montre tout ce qu'il est par un seul mot.

Allons, seigneur, enlevons Hermione.

Un mot tel que celui de Pylade vaut mieux qu'un traité sur l'amitié, comme tous les mots de passion

de nos bonnes tragédies valent mieux que ce qu'en disent tous les moralistes. C'est un des grands avantages du genre dramatique; c'est la supériorité de l'action sur le discours; c'est enfin le mot connu de ce Lacédémonien: Ce qu'il a dit, je le fais.

Que la réponse d'Oreste est touchante!

J'abuse, cher ami, de ton trop d'amitié.

Mais pardonne à des maux dont toi seul as pitié.
Excuse un malheureux qui perd tout ce qu'il aime,
Que tout le monde hait et qui se hait lui-même.

Combien de nuances différentes! et toutes sont intéressances: tout parle au cœur, tout est tragique.

Mais ce qui l'est plus que tout le reste, c'est Hermione. C'est une des plus étonnantes créations de Racine; c'est le triomphe d'un art sublime et nouveau. J'oserai dire à ceux qui refusent à Racine le titre de créateur: Où est le modele d'Hermione? où avait-on vu, avant Racine, ce développement vaste et profond des replis du cœur humain? ce flux et reflux si continuel et si orageux de toutes les passions qui peuvent bouleverser une âme altiere et blessée? ces mouvemens opposés et rapides qui se croisent comme des éclairs ? ce passage şi prompt de toutes les imprécations de la haine à

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toutes les tendresses de l'amour, des effusions de la joie aux transports de la fureur, de l'indifférence et du mépris affectés au désespoir qui se répand en plaintes, en reproches, en menaces, cette rage tantôt sourde et concentrée, et méditant tout bas toutes les horreurs des vengeances, tantôt forcenée et jetant des éclats terribles? Pyrrhus, poussé à bout par les rigueurs d'Andromaque, paraît-il déterminé à épouser Hermione, de quel ton elle en parle à sa confidente!

Pyrrhus revient à nous! Eh bien ! chere Cléone,
Conçois-tu les transports de l'heureuse Hermione?
Sais-tu quel est Pyrrhus ? t'es-tu fait raconter

Le nombre des exploits..... mais qui peut les compter?
Intrépide, et partout suivi de la victoire,

Charmant, fidele enfin, rien ne manque à sa gloire.

Pyrrhus retourne-t-il à Andromaque, elle se tait et n'attend qu'Oreste pour lui demander la tête d'un amant parjure. Il commence, en arrivant, par se répandre en protestations.

Elle l'interrompt:

Vengez-moi : je crois tout.

Oreste se résout, quoiqu'avec peine, à la servir,' et l'on s'aperçoit de tout ce qu'il lui en coûte pour se porter à l'assassinat, même d'un rival. ·

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