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Malgré ses promesses, elle ne se croit pas assez

sûre de lui.

Pyrrhus n'est pas coupable à ses yeux comme aux miens,
Et je tiendrais mes coups bien plus sûrs que les siens.

Quel plaisir de venger moi-même mon injure,
De retirer mon bras teint du sang du parjure,

Et pour rendre sa peine et mes plaisirs plus grands,
De cacher ma rivale à ses regards mourans !
Ah! si du moins Oreste, en punissant son crime,
Lui laissait le regret de mourir ma victime !
Va le trouver dis-lui qu'il apprenne à l'ingrat
Qu'on l'immole à ma haine et non pas à l'État.
Chere Cléone, cours, ma vengeance est perdue
S'il ignore, en mourant, que c'est moi qui le tue.

Elle aperçoit Pyrrhus. Son premier mouvement est celui de l'espérance; son premier cri est l'ordre de courir après Oreste, et de l'empêcher de rien entreprendre jusqu'à ce qu'il l'ait revue. Pyrrhus avoue tous ses torts, et lui confirme la résolution où il est d'épouser Andromaque. Hermione dissimule d'abord ses ressentimens. Elle se croirait humiliée de paraître trop sensible à cette offense: c'est le dernier effort de l'orgueil qui combat contie l'amour. Elle affecte même de rabaisser ce même héros que tout à l'heure elle élevait jusqu'aux nues. Ses exploits ne sont plus que des cruautés : elle lui reproche la mort du vieux Priam. Pyrrhus lui

répond

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répond en homme absolument détaché. Il s'applaudit de la voir si tranquille, et de se trouver beaucoup moins coupable qu'il ne le croyait. Il se plaît à croire que leur mariage n'était en effet qu'un arrangement de politique. Mais Hermione ne lui laisser cette excuse : l'amour irrité

veut pas

ne se contient pas long-tems, et quand Pyrrhus lui dit :

Rien ne vous engageait à m'aimer en effet ; elle éclate et se montre toute entiere.

Je ne t'ai point aimé, cruel! Qu'ai-je donc fait ?
J'ai dédaigné pour toi les vœux de tous nos princes,
Je t'ai cherché moi-même au fond de tes provinces.
J'y suis encor malgré tes infidélités,

Et malgré tous nos Grecs, honteux de mes bontés.
Je leur ai commandé de cacher mon injure;
J'attendais en secret le retour d'un parjure.
J'ai cru que
tôt ou tard, à son devoir rendu,
Tu me rapporterais un cœur qui m'était dû.
Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait, fidelle?
Et même, en ce moment, où ta bouche cruelle
Vient si tranquillement m'annoncer le trépas,
Ingrat, je doute encor si je ne t'aime pas.

Les reproches amenent bientôt l'attendrissement et la priere: c'est la marche de la nature; et comme le changement de ton est marqué !

Mais, seigneur, s'il le faut, si le ciel en colere
Réserve à d'autres yeux la gloire de vous plaire,

Cours de littér. Tome IV.

B b

Achevez votre hymen, j'y consens; mais du moins

Ne foicez pas mes yeux d'en être les témoins.
Pour la derniere fois je vous parle peut-être ;
Différez-le d'un jour, demain vous serez maître.

Il y a dans cette demande plusieurs sentimens à la fois, dont une â me agitée ne se rend pas compte, et qui l'occupent tous sans qu'elle y pense. Elle s'est attendrie, et ne veut pas que Pyrrhus, en épousant Andromaque, s'expose à la vengeance des Grecs. Elle ne demande qu'un jour : ce jour éloigne au moins le plus grand des malheurs, et l'éloigner, c'est peut-être le prévenir : l'espérance n'abandonne jamais l'amour. Mais Pyrrhus paraît insensible à cette priere. Elle ne veut qu'un jour, et il le refuse : il ne reste que le désespoir.

Vous ne répondez point?.... Perfide, je le voi,
Tu comptes
les momens que tu perds avec moi.
Ton cœur, impatient de revoir ta Troyenne,
Ne souffre qu'à regret qu'une autre t'entretienne.
Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux...
Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux.
Va lui jurer la foi que tu m'avais jurée :
Va profaner des dieux la majesté sacrée.
Ces dieux, ces justes dieux n'auront pas oublié
Que les mêmes sermens avec moi t'ont lié.
Porte aux pieds des autels ce cœur qui m'abandonne.
Va, cours; mais crains encor d'y trouver Hermione.

L'amour et la fureur réunis ensemble n'ont ja

mais eu un accent plus vrai ni plus effrayant. Il serait infini de détailler tout ce qu'il y a dans ce morceau. L'analyse de cinq ou six rôles des pieces de Racine, faite dans cet esprit, serait une histoire complete de l'amour jamais on ne l'a ni mieux connu ni mieux peint. Quelle vérité dans ce vers!

Tu comptes les momens que tu perds avec moi.

Comme cette observation est juste! Rien n'échappe à la vue perçante d'une femme qui aime, même dans le trouble de la colere. Elle ne peut se cacher que ses reproches, dès qu'ils sont inutiles, ne font que la rendre importune, et que celui qui en est l'objet, compare involontairement ces momens si tristes et si insupportables, avec ceux qui l'attendent auprès d'une autre. Et cette expression, ta Troyenne! qu'il y a de haine et de dénigrement dans ce mot! Ce ne sont, si l'on veut, que des nuances; mais c'est la réunion des circonstances même légeres, qui fonde l'illusion de l'ensemble : rien n'est petit dans la peinture des passions. Cette autre expression, tu lui parles du cœur, qu'elle est heureuse et neuve ! C'est encore la passion qui en trouve de pareilles. Sauve-toi de ces lieux pourrait ailleurs être familier il est relevé par ce qu'il y a de cruel dans l'empressement de quitter Hermione. On ne finirait pas: je m'arrête, et parmi tant de beautés, cherchez

un mot de trop, un mot à reprendre : il n'y en a point.

Ainsi donc l'amour est vraiment tragique dans Pyrrhus, dans Oreste, dans Hermione; il l'est différemment dans tous les trois, et prend la teinte de leurs différens caracteres : ardent et impétueux dans Pyrrhus, sombre et désespéré dans Oreste, altier et furieux dans Hermione. Jamais dans Corneille il n'avait eu aucun de ces caracteres. Aussi les effets qu'il produit ici sont en proportion de son énergie; et ce qui est de l'essence du drame, les changemens de situation qui se succedent dans la piece, naissent de cette fluctuation naturelle aux âmes passionnées, et produisent de ces coups de théâtre qui ne tiennent pas à des événemens étran gers ou accidentels, mais dont les ressorts sont dans le cœur des personnages. Pyrrhus, croyant que le péril d'un fils doit résoudre Andromaque lui donner sa main, refuse Astyanax aux Grecs. Hermione offensée a promis de partir avec Oreste. Celui-ci s'abandonne à la joie; mais dans l'intervalle du premier au second acte, Andromaque a rejeté les offres de Pyrrhus, et dans le moment où Oreste se croit sûr de sa conquête, arrive Pyrrhus.

Je vous cherchais, seigneur : un peu de violence
M'a fait de la raison combattre la puissance,

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