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Je l'avoue, et depuis que je vous ai quitté,
J'en ai senti la force et connu l'équité.

J'ai songé, comme vous, qu'à la Grece, à mon pere, A moi-même en un mot je devenais contraire ; Que je relevais Troye, et rendais imparfait Tout ce qu'a fait Achille et tout ce que j'ai fait. Je ne condamne plus un courroux légitime, Et l'on vous va, seigneur, livrer votre victime. Oreste demeure frappé de consternation, et le spectateur avec lui. Voilà un coup de théâtre; il est d'un maître. L'intérêt croît avec le péril des principaux personnages, et le nœud capital est la résolution que prendra Andromáque. La conduite de Pyrrhus en dépend; celle d'Hermione dépend de Pyrrhus, et celle d'Oreste d'Hermione. Cette dépendance mutuelle est si distincte, qu'elle ne forme point de complication, et le différent degré d'intérêt qu'inspire chaque personnage, ne nuit point à l'unité d'objet, parce que tout est subordonné à ce premier intérêt attaché au péril d'Andromaque et de son fils; car il faut (je l'ai déjà dit, et je crois devoir le répéter) soigneusement distinguer au théâtre deux sortes d'intérêt que l'on confond trop souvent par une méprise qui a donné lieu à tant de critiques injustes : le premier consiste à desirer le bonheur ou le salut d'un personnage principal; le second, à partager ses malheurs ou

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excuser ses passions en raison de leur violence. C'est le premier qui fait ici le fond de la piece; il tient à la personne d'Andromaque, au péril de son fils qui est sa derniere consolation, à ce grand sentiment de l'amour maternel peint des couleurs les plus touchantes : ce qu'on desire le plus, c'est que son fils soit sauvé. Mais comment pourra-t-elle sauver ce fils, s'il faut que la veuve d'Hector épouse le fils d'Achille? Voilà d'où naît la suspension et l'incertitude, voilà l'intérêt principal. Celui qu'on peut prendre aux passions de Pyrrhus, d'Hermione et d'Oreste est d'une autre espèce; il ne va qu'à les plaindre ou les excuser plus ou moins, et à se prêter à un certain point à tous leurs mouvemens, parce qu'ils sont naturels et vrais; mais on ne desire point que leur amour soit heureux. C'est une regle générale au théâtre, que ce desir n'existe dans le spectateur que lorsque l'amour qu'on lui représente, est réciproque ou qu'il l'a été, parce qu'alors il peut faire le bonheur des deux amans, comme on l'a vu dans le Cid. Ici donc tous les vœux sont pour Andromaque et pour son fils; et il est tems de parler en détail de ce rôle, qui forme un contraste si admirable avec toutes les passions orageuses dont il est environné.

Remarquons d'abord l'avantage des sujets connus.

que

Les noms de Troye, d'Hector, de sa veuve, de
son fils commencent par disposer l'âme à l'attén-
drissement ce sont de grandes et mémorables in-
fortuncs, dont nous avons été occupés dès notre
enfance, et que les ouvrages d'Homere et de Vir-
gile nous ont rendues familieres. Mais il faut
le poëte sache conserver à ces sujets si connus la
couleur qui leur est propre. Et qui jamais y a
mieux réussi que Racine? Quel modele, que ce
rôle d'Andromaque ! Comme il est grec! comme
il est antique! Quelle aimable simplicité ! quelle
modestie noble et douce! quelle tendresse d'épouse
et de mere ! quelle douleur à la fois majestueuse et
ingénue! Comme ses regrets sont touchans et ne
sont jamais fastueux! comme dans ses reproches
et dans ses refus elle garde cette modération et
cette retenue qui sied si bien à son sexe et au mal-
heur ! comme tout ce rôle est plein de nuances dé-
licates que personne n'avait connues jusqu'alors,
plein d'un pathétique pénétrant dont il n'y avait
aucun exemple! Qui est-ce qui n'est pas délicieuse-
ment ému de ces vers simples, qui descendent si
avant dans le cœur et font couler les larmes de la
pitié?

Je passais jusqu'aux lieux où l'on gardé mon fils,
Puisqu'une fois le jour vous souffrez que je voie
Le seul bien qui me reste et d'Hector et de Troye.

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J'allais, seigneur, pleurer un moment avec lui.
Je ne l'ai point encore embrassé d'aujourd'hui.

PYRRH US.

Ah! Madame, les Grecs, si j'en crois leurs alarmes,
Vous donneront bientôt d'autres sujets de larmes.

ANDRO MAQUE.

Et quelle est cette peur dont leur cœur est frappé?
Seigneur, quelque Troyen vous est-il échappé?

Leur haine

PYRRH U S.

pour Hector n'est pas encore éteinte.

Ils redoutent son fils.

ANDRO MAQUE.

Digne objet de leur crainte!

Un enfant malheureux qui ne sait pas encor
Que Pyrrhus est son maître et qu'il est fils d'Hector!

:

On peut comprendre tout ce que peut sur elle l'intérêt de cet enfant lorsque Pyrrhus, las d'être rebuté, revient à l'hymen d'Hermione et a promis de livrer Astyanax, Andromaque ne craint point de s'abaisser aux pieds d'une rivale qui doit la détester; elle ne craint pas de s'exposer à son orgueil et à ses mépris. L'amour maternel peut

porter et tout anoblir.

tout sup

Où fuyez-vous, Madame?" N'est-ce pas à vos yeux un spectacle assez doux, Que la veuve d'Hector pleurante à vos genoux? Je ne viens point ici, par de jalouses laimes, Vous envier un cœur qui se rend à vos charmes.

Par une main cruelle, hélas ! j'ai vu percer
Le seul ou mes regards prétendaient s'adresser!
Ma flamme par Hector fut jadis allumée ;

Avec lui dans la tonbe elle s'est enfermée.

Mais il me reste un fils..... Vous saurez quelque jour,
Madame, pour un fils jusqu'où va notre amour :
Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite,
En quel trouble mortel son intérêt nous jette,
Lorsque de tant de biens qui pouvaient nous flatter,
C'est le seul qui nous reste et qu'on veut nous l'ôter.
Hélas! lorsque lassés de dix ans de misere,
Les Troyens en courroux menaçaient votre mere,
J'ai su de mon Hector lui procurer l'appui :
Vous pouvez sur Pyrrhus ce que j'ai pu sur lui.
Que craint-on d'un enfant qui survit à sa perte?
Laissez-moi le cacher en quelque île déserte.
Sur les soins de sa mere on peut s'en assurer,
Et mon fils avec moi n'apprendra qu'à pleurer.

Hermione la quitte avec dédain. Pyrrhus entre sur la scene. Céphise exhorte sa maîtresse à tâcher de le fléchir. Andromaque en désespere; elle n'ose même jeter les yeux sur lui. Pyrrhus, qui n'attend qu'un regard et ne l'obtient pas, dit avec empor

tement:

Allons aux Grecs livrer le fils d'Hector.

A ce mot elle tombe à ses pieds. Il lui reproche son inflexibilité.

Sa grace à vos desirs pouvait être accordée;
Mais vous ne l'avez pas seulement demandée,
C'en est fait.

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