ANDRO MAQU 2. Ah! seigneur, vous entendiez assez Ce reste de fierté qui craint d'être importune. Ce qu'il y a de plus beau dans cette réponse, c'est qu'on sait bien, que ce n'est point par fierté qu'elle ne s'est pas abaissée devant Pyrrhus. Celle qui a pu supplier Hermione n'aurait pas été plus. fiere avec lui; mais elle tremble d'implorer un homme qui met à ses bienfaits un prix dont elle est épouvantée. Aussi malgré ses dangers et sa douleur, elle ne lui parle pas même de cet amour dont elle ne peut supporter l'idée; elle ne cherche à l'émouvoir que par la pitié et la générosité. Cette observation des bienséances est le comble de l'art. Seigneur, voyez l'état où vous me réduisez. J'ai cru que sa prison deviendrait son asyle. Quelle magie de style! quel charme inexprimable! Jamais le malheur n'a fait entendre une plainte plus touchante. Pyrrhus en est attendri, et consent encore à sauver Astyanax; mais il renouvelle avec plus de force que jamais la résolution de l'abandonner aux Grecs si Andromaque ne consent pas à l'épouser. Il est déterminé à le couronner ou à le perdre : il lui laisse le choix, et c'est alors que la veuve d'Hector ne trouve qu'un moyen de sauver à la fois son fils et sa gloire : elle épousera Pyrrhus, et en quittant les autels elle s'immolera sur le tombeau de son premier époux. Elle recommande son fils à la fidelle Céphise. Fais connaître à mon fils les héros de sa race; Parle-lui tous les jours des vertus de son pere, L'action désespérée d'Oreste et le meurtre de Pyrrhus égorgé dans le temple au moment où il reçoit la main d'Andromaque, empêchent cette princesse d'exécuter son funeste dessein. Son sort et celui d'Astyanax paraissent assurés. Mais quelle catastrophe terrible que celle qui termine la destinée d'Oreste et d'Hermione ! Quel moment que celui où cette femme égarée et furieuse lui demande compte du sang qu'elle-même a fait répandre ! On a cité cent fois ces vers fameux : : Mais parle de son sort, qui t'a rendu l'arbitre? Ce dernier mot est le plus beau peut-être que jamais la passion ait prononcé. Si l'on osait le comparer au qu'il mourût, ce ne serait pas pour rapprocher des choses très-différentes; ce serait pour faire remarquer, dans l'un le sublime d'u grand sentiment, et dans l'autre le sublime d'une grande passion. L'un est sans doute d'un plus grand effet au théâtre; il transporte quand on l'entend; l'autre étonne et confond quand on y réfléchit. Il fallait avoir deviné bien juste à quel excès d'égarement et d'aliénation l'on peut arriver dans une situation comme celle d'Hermione, pour mettre dans sa bouche une pareille question, après qu'elle a employé une scene entiere à déterminer Oreste à cet attentat, et qu'elle-même depuis ce moment n'a pas été occupée d'une autre idée; et cependant ce mot est si vrai, qu'on en est frappé sans en être surpris. Il a d'ailleurs tous les genres de mérite; il fait partie de la catastrophe, il commence la punition d'Oreste, il acheve le caractere d'Hermione: c'est le résultat d'une connaissance approfondie des révolutions du cœur humain! Des situations si fortes doivent nécessairement finir par faire couler le sang, et ce n'est pas là, suivant l'expression de Labruyere, du sang répandu pour la forme. Une femme qui a pu faire assassiner son amant, doit se tuer elle-même : telle est la fin d'Hermione, et Oreste reste en proie aux furies. Ce dénoûment est digne d'un des sujets les plus éminemment tragiques que l'on ait mis sur la scene. Mais n'y a-t-il point quelques fautes dans ce chef-d'œuvre dramatique? Il y en a de bien graves, si nous en croyons les auteurs d'un Dictionnaire historique qui a paru de nos jours. A l'article Racine on lit: Cette tragédie serait admirable si les incertitudes de Pyrrhus, le désespoir d'Oreste, les emportemens d'Hermione n'en ternissaient la beauté. L'arrêt est dur; car c'est précisément ce que nous y avons admiré : il y a plus, c'est que sans ces mêmes choses qui, selon le critique, ternissent la piece, la piece ne subsisterait pas. Voilà comme les' talens sont jugés, même après un siecle! Je ne ferai pas à Racine et à vous, Messieurs, l'injure de réfuter de telles censures. La vérité est qu'on a blầmé dans le rôle de Pyrrhus deux vers dont le sentiment est vrai, mais au dessous de la dignité tragique : Crois-tu, si je l'épouse, Qu'Andromaque en son cœur n'en sera point jalouse? Un autre vers qui est un abus de mots : Brûlé de plus de feux que je n'en allumai. et dans le rôle d'Oreste, cet endroit où il dit à Hermione: Prenez une victime Que les Scythes auraient dérobée à vos coups, Cette comparaison de la cruauté des Scythes et |