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de celle d'Hermione est dans le goût des exagérations romanesques. Otez ce peu de fautes et quelques autres moins marquantes d'ailleurs, on peut affirmer que l'on vit pour la premiere fois dans Andromaque une tragédie où chacun des acteurs était continuellement ce qu'il devait être, et disait toujours ce qu'il devait dire. Racine, en étalant sur la scene des peintures si savantes et si expressives de cette inépuisable passion de l'amour, ouvrit une source nouvelle et abondante pour la tragédie française. Cet art que Corneille avait principalement établi sur l'étonnement et l'admiration, et sur une nature quelquefois trop idéale, Racine le fonda sur une nature toujours vraie et sur la connaissance du cœur humain. Il fut donc créateur à son tour comme l'avait été Corneille, avec cette différence que l'édifice qu'avait élevé l'un, frappait les yeux par des beautés irrégulieres et une pompe informe, au lieu que l'autre attachait les regards par ces belles proportions et ces formes gracieuses que le goût sait joindre à la majesté du génie.

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Que le génie est brillant dans sa naissance! quel éclat jettent ses premiers rayons ! C'est l'astre du jour qui, partant des bornes de l'horizon, inonde d'un jet de lumieres toute l'étendue des cieux. Quel œil n'en est pas ébloui et ne s'abaisse pas comme accablé de la clarté qui l'assaille? Tel est le premier effet du génie; mais cette impression si vive et si prompte s'affaiblit par degrés. L'homme, revenu de son premier étonnement, releve la vue, et ose fixer d'un regard attentif ce que d'abord il n'avait admiré qu'en se prosternant. Bientôt il s'accoutume et se familiarise avec l'objet de son respect : il en vient jusqu'à y chercher des défauts, jusqu'à en supposer même; il semble qu'il ait à se venger d'une surprise faite à son amour propre, et le génie a tout le tems d'expier par de longs outrages ce moment de gloire et de triomphe que ne peut lui refuser l'humanité qu'il subjugue

en se montrant.

» Ainsi fut traité l'auteur d'Andromaque. On l'opposa d'abord à Corneille, et c'était beaucoup, si

l'on

l'on songe à cette admiration si juste et si profonde qu'avait dû inspirer l'auteur du Cid, de Cinna, des Horaces, demeuré jusqu'alors sans rival, maître de la carriere et entouré de ses trophées. Sans doute même les ennemis particuliers de ce grand-homme virent avec plaisir s'élever un jeune poëte qui allait partager la France et la renommée; mais ces ennemis étaient alors en petit nombre. Sa vieillesse, trop malheureusement féconde en productions indignes de lui, les consolait de ces anciens succès. Au contraire, la supériorité de Racine, dès ce moment si décisive et si éclatante, devait jeter l'effroi parmi tous les aspirans à la palme tragique. L'on conçoit aisément combien un succès tel que celui d'Andromaque dut exciter de jalousie et humilier tout ce qui prétendait à la gloire. A ce parti nombreux des écrivains médiocres qui, sans s'aimer d'ailleurs et sans être d'accord sur tout le reste, se réunissent toujours comme par instinct contre le talent qui les menace, se joignait cette espece d'hommes qui, emportés par un enthousiasme exclusif, avaient déclaré qu'on n'égalerait pas Corneille, et qui étaient bien résolus à ne pas souffrir que Racine osât les démentir. Ajoutez à tous ces intérêts qui lui étaient contraires, cette disposition secrete qui même au fond n'est pas toutCours de littér. Tome IV. Cc

à-fait injuste, et qui nous porte à proportionner la sévérité de notre jugement au mérite de l'homme qu'il faut juger voilà quels étaient les obstacles qui attendaient Racine après Andromaque; et quand Britannicus parut, l'envie était sous les

armes.

«L'envie, cette passion şi odieuse et si vile qu'on ne la plaint pas, toute malheureuse qu'elle est, ne se déchaîne nulle part avec plus de fureur que dans la lice du théâtre. C'est là qu'elle rencontre le talent dans tout l'éclat de sa puissance, et c'est là surtout qu'elle aime à le combattre : c'est là qu'elle l'attaque avec d'autant plus d'avantage, qu'elle peut cacher la main qui porte les coups: confondue dans une foule tumultueuse, elle est dispensée de rougir. Elle a d'ailleurs si peu de chose à faire, et l'illusion théâtrale est si frêle et si facile à troubler, les jugemens des hommes rassemblés sont alors dépendans de tant de circonstances dont l'auteur n'est pas le maître, et tiennent quelquefois à des ressorts si faibles, que toutes les fois qu'il y a eu un parti contre un bon ouvrage de théâtre, le succès en a été troublé ou retardé. Les exemples ne me manqueraient pas; mais quand je n'aurais à citer que celui de Bri tannicus abandonné dans sa nouveauté, n'en seraitce pas assez? » Éloge de Racine,

On voit par la préface que l'auteur mit à la tête de la premiere édition de sa piece, qu'il ressentit vivement cette injustice. Il n'est que trop ordinaire de faire aux hommes de talent un crime de cette sorte de sensibilité, quoique peut-être il n'y en ait point de plus excusable, ni qui soit plus dans la nature. Sans doute il y aurait beaucoup de philosophie à se détacher entiérement de ses ouvrages, du moment où on les a composés; mais je demanderai à ceux qui connaissent un peu le cœur humain, comment cette froide indifférence peut être compatible avec la vivacité d'imagination, nécessaire pour produire une belle tragédie. Exiger des choses si contradictoires, c'est être à peu près aussi raisonnable que cette femme dont parle Lafontaine, qui voulait un mari point froid et point jaloux; et de fabuliste ajoute judicieusement: Notez ces deux points-ci. Je connais l'objection vulgaire, qu'un auteur ne peut pas se juger soi-même. Non sans doute, quand un ouvrage vient de sortir de ses mains, et même en aucun tems s'il n'est qu'un homme médiocre : dans ce cas, il n'est pas plus capable de se juger que de bien faire; il ne voit pas au-delà de ce qu'il a fait. Mais une expérience constatée prouve que, passé le moment de la composition, un homme,

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