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des spectateurs. Le mot de politique n'y est jamais prononcé, mais celle qui regne plus ou moins dans les cours, selon qu'elles sont plus ou moins corrompues, n'a jamais été peinte avec des traits si vrais, si profonds, si énergiques, et les couleurs sont dignes du dessin. Boileau et ce petit nombre d'hommes de goût qui juge et se tait quand la multitude crie et se trompe, aperçurent dans ce nouvel ouvrage un progrès, quant à la diction. Dans celle d'Andromaque, quelque admirable qu'elle soit, il y avait encore quelques traces de jeunesse, quelques vers faibles ou incorrects ou négligés. Ici tout porte l'empreinte de la maturité : tout est mâle; tout est fini; la conception est vigoureuse et l'exécution sans aucune tache. Agrippine est, comme dans Racine, avide du pouvoir, intrigante, impérieuse, ne se souciant de vivre que pour gner, employant également à ses fins, les vices,

les

vertus, les faiblesses de tout ce qui l'environne, flattant Pallas pour s'emparer de Claude, protégeant Britannicus pour contenir Néron, se servant de Burrhus et de Séneque pour adoucir le naturel féroce qu'elle redoute dans son fils, et faire aimer son empire qu'elle partage. Si elle s'intéresse pour l'épouse de Néron, c'est de peur qu'une maîtresse n'ait trop de crédit. Elle met en usage jusqu'à la

tendresse maternelle qu'elle ne sent point, pour regagner Néron qui lui échappe.

Je n'ai qu'un fils : ô ciel, qui m'entends aujourd'hui !
T'ai-je fait quelques vœux qui ne fussent pour lui?
Remords, craintes, périls, rien ne m'a retenue.
J'ai vaincu ses mépris ; j'ai détourné la vue
Des malheurs qui dès-lors mé furent annoncés ;
J'ai fait ce que j'ai pu : vous régnez, c'est assez.
Avec ma liberté que vous m'avez ravie,

Si vous le souhaitez, prenez encor ma vie,
Pourvu que par ma mort tout ce peuple irrité,
Ne vous ravisse pas ce qui m'a tant coûté.

Quelle adresse dans ces deux derniers vers! Elle n'ose pas menacer directement Néron : il a déjà pu la faire arrêter; il peut aller plus loin; il vient de s'expliquer de maniere à lui faire entendre qu'il veut secouer le joug: elle craint de mettre le tigre en fureur. C'est à Burrhus qu'elle disait un peu auparavant : Qu'il songe

Qu'en me réduisant à la nécessité
D'essayer contre lui ma faible autorité,

Il hasarde la sienne, et que dans la balance
Mon nom peut-être aura plus de poids qu'il ne pense.

Mais ce n'est pas à Néron qu'elle ose dire: Si vous attentez sur moi, craignez pour vous-même." Elle se contente de le lui faire comprendre sans

qu'il puisse s'en offenser, et donne à la menace le ton de l'intérêt et de l'amitié.

Mais à peine Néron, qui dissimule encore mieux qu'elle, lui a-t-il dit :

Eh bien donc prononcez: que voulez-vous qu'on fasse ?

elle reprend tout son orgueil dès qu'elle se croit sûre de son pouvoir; elle dicté des lois.

De mes accusateurs qu'on punisse l'audace;
Que de Britannicus on calme le courroux ;
Que Junie à son gré puisse prendre un époux.
Qu'ils soient libres tous deux, et que Pallas demeure.

Le ressort n'était que comprimé; il agit et s'échappe avec plus d'impétuosité. C'est ainsi qu'un caractere se montre tout entier sur la scene. Et quand Junie, toujours occupée des alarmes inséparables de l'amour, paraît conserver quelque défiance de la sincérité de Néron, avec quelle hauteur Agrippine le lui reproche?

Doutez-vous d'une paix dont je fais mon ouvrage?

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Il suffit, j'ai parlé, tout a changé de face."

N'est-ce pas là cette politique ordinaire à tous ceux qui jouissent d'un pouvoir emprunté? Un des moyens de le conserver, c'est de faire qu'on y croie. Le détail où elle entre ensuite avec Junie, a un

double effet; il fait connaître au spectateur l'ivresse orgueilleuse où s'abandonne Agrippine dans la joie de sa nouvelle faveur, et la profonde dissimulation dont Néron a été capable. Je ne dis rien du style: il est au dessus des éloges.

Ah! si vous aviez vu par combien de caresses
Il m'a renouvelé la foi de ses promesses!
Par quels embrassemens il vient de m'arrêter!
Ses bras, dans nos adieux, ne pouvaient me quitter.
Sa facile bonté, sur son front répandue,
Jusqu'aux moindres secrets est d'abord descendue.
Il s'épanchait en fils qui vient en liberté
Dans le sein de sa mere oublier sa fierté.
Mais bientôt reprenant un visage sévere,

Tel

que d'un empereur qui consulte sa mere, Sa confidence auguste a mis entre mes mains Des secrets d'où dépend le destin des humains.

Quelles superbes expressions! et comme elles sont faites pour donner une haute idée de sa puissance!

Non, il le faut ici confesser à sa gloire,

Son cœur n'enferme point une malice noire;
Et nos seuls ennemis, altérant sa bonté,

Abusaient contre nous de sa facilité.

Mais enfin, à son tour, leur puissance décline;
Rome, encore une fois, va connaître Agrippine.
Déjà de ma faveur on adore le bruit.

On adore le bruit de ma faveur ! Quelle heureuse hardiesse dans le choix des mots! Et cette

hardiesse est si bien mesurée, qu'elle paraît toute simple; la réflexion seule l'aperçoit le poëte se cache sous le personnage.

:

Enfin, quand Britannicus empoisonné a fait voir tout ce qu'on pouvait attendre de Néron, Agrippine, qui n'a plus rien à ménager, ne songe plus qu'à l'épouvanter de ses fureurs.

Poursuis, Néron: avec de tels ministres,
Par des faits glorieux tu vas te signaler.
Poursuis tu n'as pas fait ce pas pour reculer.
Ta main a commencé par le sang de ton frere;
Je prévois que tes coups viendront jusqu'à ta mere.
Dans le fond de ton cœur je sais que tu me hais.
Tu voudras t'affranchir du joug de mes bienfaits ;
Mais je veux que ma mort te soit même inutile;
Ne crois pas qu'en mourant je te laisse tranquille.
Rome, ce ciel, ce jour que tu reçus de moi,
Partout, à tout moment, m'offriront devant toi.
Tes remords te suivront comme autant de furies;
Tu croiras les calmer par d'autres barbaries.
Ta fureur, s'irritant soi-même dans son cours,
D'un sang toujours nouveau marquera tous tes jours.
Mais j'espere qu'enfin le ciel, las de tes crimes,
Ajoutera ta perte à tant d'autres victimes;

Qu'après t'être couvert de leur sang et du mien,
Tu te verras forcé de répandre le tien ;

Et ton nom paraîtra, dans la race future,

Aux plus cruels tyrans une cruelle injure.

Voilà un exemple de cet art si fréquent dans

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