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Racine, de donner aux idées les plus fortes l'expression la plus simple. Dire à un homme que son nom sera une injure pour les tyrans est déjà terrible, mais pour les plus cruels tyrans une cruelle injure! je ne crois pas que l'invective puisse imaginer rien au-delà, et pourtant il n'y a rien de trop pour Néron: son nom est devenu celui de la

cruauté.

Quelle vérité effrayante dans les peintures de ce monstre naissant! C'est une des productions les plus frappantes du génie de Racine, et une de celles qui prouvent que ce grand-homme pouvait tout faire. Néron, comme l'observe fort bien Racine, n'a pas encore assassiné son frere, sa mere, son précepteur; il n'a pas encore mis le feu à Rome, et pourtant tout ce qu'il dit, tout ce qu'il fait dans le cours de la piece, annonce une âme naturellement atroce et perverse. Mais combien il a fallu de tems pour que l'on reconnût le prodigieux mérite de ce rôle ! C'est une obligation que l'on eut à l'inimitable Lekain; et l'ouvrage d'un grand acteur est de mettre à la portée de la multitude ce qui n'était senti que par les connaisseurs. Comme le nom de Néron semble promettre tout ce qu'il y a de plus odieux, et que, dans la nouveauté de Britannicus, les têtes étaient encore montées au ton que Corneille avait introduit

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dant trente ans, on fut étonné qu'il n'eût pas sans cesse à la bouche des maximes infernales, qu'il ne se glorifiàt pas d'être méchant, qu'il eût quelque honte de passer pour empoisonneur. Enfin, on le trouva trop bon c'est le mot dont Racine se sert dans sa préface. Il est vrai qu'il n'a pas la rhétorique du crime; mais il en a bien l'atrocité tranquille et raffinée, la profondeur réfléchie. Examinons sa conduite. Il entend parler de la beauté de Junie : son premier mouvement est de l'enlever avant même de l'avoir vue; et sur le seul soupçon que Britannicus pourrait bien en être aimé, son premier mot est de dire:

D'autant plus malheureux qu'il aura su lui plaire,
Narcisse, il doit plutôt souhaiter sa colere.

Néron impunément ne sera pas jaloux.

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A peine a-t-il vu Junie un moment, et déjà la mort de son rival et de son frere est prononcée dans son cœur. Mais il lui prépare un autre supplice il veut que Junie elle-même lui dise ou lui fasse entendre qu'il faut renoncer à elle; et pour l'y forcer, il lui déclare que Britannicus est mort si elle n'obéit pas. On a dit que c'était un petit moyen, et peu digne de la tragédie, de faire cacher Néron pendant l'entrevue des deux amans: cela est

vrai; mais je crois qu'ici l'effet releve et justifie le moyen. Le péril est si prochain et si réel, que la scene est tragique, et je n'ai besoin pour le prouver, que d'en appeler à l'effet du théâtre. Ce moment est celui où l'amour de Britannicus et de Junie devient intéressant, parce qu'il y a de la terreur et de la pitié. Leur situation est cruelle, et l'on ne peut s'empêcher de trembler pour eux quand on se souvient de ces vers terribles de Néron:

Caché près de ces lieux, je vous verrai, Madame.
Renfermez votre amour dans le fond de votre âme.
Vous n'aurez point pour moi de langages secrets.
J'entendrai des regards que vous croirez muets
Et sa perte sera l'infaillible salaire

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D'un geste ou d'un soupir échappé pour lui plaire.

Avec ce style et cette situation l'on peut tout anoblir. Observons, en passant, que l'effet théâtral peut faire pardonner des moyens faux, mais ne les justifie pas; au lieu qu'un moyen commun et petit par lui-même peut être relevé par l'art que l'on met à s'en servir, et n'est plus un défaut.

Néron, sûr de l'amour de Junie pour Britannicus, ne médite plus que des vengeances et des crimes. Il fait arrêter son frere; il donne des gardes à sa propre mere, et s'apercevant par Pentretien qu'il a eu avec elle, que les droits de Britannicus

Britannicus à l'Empire peuvent être une arme contré lui, il ne balance pas un moment et donne ordre de l'empoisonner. Mais comment! Avec quel sangfroid odieux et quelle fourbe réfléchie ! C'est en paraissant se réconcilier avec Agrippine et Britannicus, en prodigant les caresses, les soumissions, les embrassemens; en donnant dans son palais une scene de tendresse filiale:

Gardes, qu'on obéisse aux ordres de ma mere.

Voilà de quelle maniere il se prépare au fratricide. Et la voilà bien, cette politique des cours corrompues dont Corneille aimait tant à parler; mais ici elle est en action et non pas en paroles, c'est-àdire, qu'elle est dans l'imitation théâtrale, la même chose qu'en réalité : c'est la perfection de l'art. Néron ne se conduisit pas autrement que Charles IX. A peine Agrippine l'a-t-elle quitté, que sa rage renfermée ne peut plus se contenir : il se croit sûr de Burrhus, parce qu'Agrippine en est mécontente, et c'est devant un homme vertueux qu'il avoue le projet d'un crime, d'un empoisonnement.

Elle se hâte trop, Burrhus, de triompher.
J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer.

C'en est trop il faut que sa ruine

Me délivre à jamais des fureurs d'Agrippine.
Cours de littér. Tome IV.

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Tant qu'il respirera, je ne vis qu'à demi ;
Elle m'a fatigué de ce nom ennemi,

Et je ne prétends pas que sa coupable audace
Une seconde fois lui promette ma place.

Avant la fin du jour, je ne le craindrai plus.

Parler ainsi à Burrhus, c'est montrer tout Néron. Il n'y a qu'un scélérat consommé qui puisse, sans rougir, se montrer tel qu'il est devant un honnête homme c'est une preuve qu'il a tout surmonté, même la conscience. Les autres scélérats se démasquent devant des confidens dignes d'eux : il n'y a que Néron qui puisse se démasquer devant Burrhus. Cet exemple est unique au théâtre, et c'est un trait de génie. Mahomet ne cache pas Zopire sa politique et son ambition; mais il y a de la grandeur dans ses projets, tout criminels qu'ils sont; il espere de gagner Zopire et il en a les moyens. Ici rien de tout cela. Néron avoue le plus Fache des forfaits, et n'a nul besoin de Burrhus l'exécuter. Cette confidence sans nécessité, et faite ainsi dire d'abondance de cœur, sepour rait ailleurs un grand défaut : ici c'est le de coup pinceau d'un grand maître. Il est évident que Néron ne croit pas même faire un crime : c'est à ses yeux la chose du monde la plus simple, que

pour

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