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d'empoisonner son frere ; et ce qui le prouve, c'est qu'il est tout étonné que Burrhus ne l'approuve pas; c'est que, dans la scene suivante, il dit à Nar cisse, comme la seule chose qui l'arrête :

Ils mettront ma vengeance au rang des parricides.

Ce dernier mot n'est pas d'un tyran, mais d'un

monstre.

Ici commence ce grand spectacle si moral, et si dramatique, ce combat du vice et de la vertu, sous les noms de Narcisse et de Burrhus, se disputant l'âme de Néron; et c'est ici que vont se développer ces deux caracteres, aussi parfaitement tracés que ceux de Néron et d'Agrippine. Burrhus est le modele de la conduite que peut tenir un homme vertueux, placé par les circonstances auprès d'un mauvais prince et dans une cour dépravée. Il est entouré de passions, d'intérêts, de vices, et les combat de tous côtés. Il ne prononce pas unė seule sentence sur la vertu, non plus que Néron sur le crime; mais il représente l'une dans toute sa pureté, comme Néron représente l'autre dans toute son horreur. Il résiste à l'ambition inquiete d'A grippine et à la perversité de son maître, et dit la vérité à tous les deux, mais sans ostentation, sans bravade, avec une fermeté noble et modeste, ne cherchant point à offenser et ne craignant point de

déplaire. Il parle à l'un comme à son empereur, à l'autre comme à la mere de César. Il remplit tous ses devoirs et observe toutes les bienséances. Mais lorsque son coupable éleve ose lui découvrir un projet horrible, alors cet homme si calme devient tout de feu sa tranquillité le rendait grand, son indignation le rend sublime. L'éloquence est dans sa bouche ce qu'est la vertu dans son âme, sans faste, sans effort, mais toute pleine de cette chaleur qui pénetre, de cette vérité qui terrasse, de cette véhémence qui entraîne. Il émeut jusqu'à Néron même, et sort plein d'espérance et de joie, pour aller consommer près de Britannicus une réconciliation qu'il croit sûre. A l'instant même entre Narcisse au pathétique, à l'enthousiasme d'une belle âme va succéder tout l'art de la bassesse et de la méchanceté; et dans ces deux peintures contrastées, l'auteur est également admirable. Mais pour les placer ainsi l'une auprès de l'autre, il fallait être bien sûr de sa force. Plus l'effet de la premiere était grand et infaillible, plus l'autre était dangereuse. L'expérience du théâtre apprend combien il y a de danger à remplacer tout de suite des sentimens doux et chers, auxquels le spectateur aime à se livrer, par ceux qu'il hait et qu'il repousse. Ceci ne s'applique pas aux scélérats hardis qui ont de l'énergie et de l'élévation, mais

aux personnages vils et méprisables, et Narcisse est de ce nombre. Ces sortes de caracteres, quelquefois nécessaires dans la tragédie, sont trèsdifficiles à manier. Le spectateur veut bien haïr, mais il ne veut pas que le mépris se joigne à la haine, parce que le mépris n'a rien de tragique. Voltaire, en blâmant sous ce point de vue les rôles de Félix, de Prusias et de Maxime, dans Corneille, cite celui de Narcisse comme le modele qu'il faut suivre quand on a besoin de personnages de cette espece. Il admire la scene de Narcisse avec Néron; mais remarquant le peu d'effet qu'elle produit toujours, il croit qu'elle en ferait davantage si Narcisse avait un plus grand intérêt à conseiller le crime. Je ne sais si cette réflexion est bien juste. Sans doute si Narcisse, pour tenir la conduite qu'il tient, avait à surmonter quelqu'un des sentimens de la nature, comme Félix qui se détermine à faire périr son gendre de peur de pcrdre son gouvernement, la proportion des moyens manquerait. Mais Narcisse, qui cherche à gouverner Néron comme il a gouverné Claude en flattant ses passions, n'a aucun intérêt à sauver Britannicus. Dans son caractere établi, tous les moyens lui doivent être bons; il ne fait que suivre sen naturel bas et pervers; et si la scene entre lui et Néron, malgré la perfection dont elle est, n'est

moyens, et

pas à beaucoup près applaudie comme celle de Burrhus,, c'est que, dans aucun cas, dans aucun cas, dans aucune supposition, elle ne peut faire le même plaisir, et j'en trouve la raison dans le cœur humain. L'âme vient de s'épanouir en écoutant Burrhus; elle se resserre et se flétrit en voyant Narcisse. Le rôle qu'il joue est un de ceux qui ne peuvent être que supportés, et qui ne peuvent jamais plaire. Ne reprochons pas aux hommes assemblés un sentiment qui leur fait honneur, la répugnance invincible pour ce qui est vil. Ces caracteres-là dans le drame peuvent être placés pour les jamais pour les effets. Le plus grand effort de l'artiste, c'est de les faire tolérer au théâtre et admirer du connaisseur qui ne juge que l'exécution; et il ne peut en venir à bout qu'en leur donnant au plus haut degré ce que peut avoir un homme bas et méchant, l'artifice et l'adresse. C'est ce que Racine a fait dans le rôle de Narcisse. Quelle entreprise que celle de ramener Néron après l'impression qu'il vient d'éprouver, et que le spectateur a si vivement partagée ! Quel chemin il y a du moment où il envoie Burrhus près de son frere pour consommer la réconciliation, à celui où il sort avec Narcisse pour aller empoisonner son rival! Et cependant tel est l'art détestable de Narcisse, ou plutôt tel est l'art admirable du poëte,

que cette révolution, l'ouvrage de quelques instans, paraît vraisemblable, naturelle et même nécessaire. Le venin de la malignité est si habilement préparé, qu'il doit pénétrer l'âme du tyran et l'infecter sans remede. Cette scene étonnante mérite d'être détaillée.

Seigneur, tout est prévu pour une mort si juste.
Le poison est tout prêt: la fameuse Locuste
A redoublé pour moi ses soins officieux;
Elle a fait expirer un esclave à mes yeux;

Et le fer est moins prompt pour trancher une vie,
Que le nouveau poison que sa main me confie.

NÉ KON.

Narcisse, c'est assez ; je reconnais ce soin,
Et ne souhaite pas que vous alliez plus loin,

NARCISSE.

Quoi! pour Britannicus votre haine affaiblic
Me défend.....

NÉRON.

Oui, Narcisse, on nous réconcilie.

NARCISSE.

Je me garderai bien de vous en détourner,
Seigneur; mais il s'est vu tantôt emprisonner.
Cette offense en son cœur sera long-tems nouvelle.
Il n'est point de secrets que le tems ne révelc.
11 saura que ma main lui devait présenter
Un poison que votre ordre avait fait apprêter.

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