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Un esclave chargé de quelque ordre secret.
Tout le camp interdit tremblait pour Bajazet.
On craignait qu'Amurat, par un ordre sévere,
N'envoyât demander la tête de son frere.
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A COM A T.

Tel était son dessein: cet esclave est venu;
Il a montré son ordre, et n'a rien obtenu.

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Quoi! seigneur, le sultan reverra son visage
Sans que de vos respects il lui porte de gage à

AC OMA T.

t

Cet esclave n'est plus : un ordre, cher Osmin,
L'a fait précipiter dans le fond de l'Euxia.

OS MIN.

Mais le sultan, surpris d'une trop longue absence,
En cherchera bientôt la cause et la vengeance.
Que lui répondrez-vous ?

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La tête de Bajazet demandée, la mort de cet esclave, la désobéissance formelle d'Acomat, tout fait pressentir la révolution qu'on médite dans le serrail, et prépare en même tems les vengeances d'Amurat, dont Orcan, dans la suite de la piece, sera l'exécuteur. Chaque mot contient le germe des événemens qui doivent éclore, et la politique d'Acomat va se montrer toute entiere.

Peut-être avant ce tems

Je saurai l'occuper de soins plus importans.
Je sais bien qu'Amurat a juré ma ruine;

Je sais, à son retour, l'accueil qu'il me destine.
Tu vois, pour m'arracher du cœur de ses soldats,
Qu'il va chercher sans moi les siéges, les combats:
Il commande l'armée; et moi, dans une ville,
Il me laisse exercer un pouvoir inutile.

Quel emploi, quel séjour, Osmin, pour un visir!
Mais j'ai plus dignement employé ce loisir.
J'ai su lui préparer des craintes et des veilles,
Et le bruit en ira bientôt à ses oreilles.

OS MIN.

Quoi donc ? qu'avez-vous fait?

A COM Α Τ.

J'espere qu'aujourd'hui

Bajazet se déclare, et Roxane avec lui.

OSMIN.

Quoi! Roxane, seigneur, qu'Amurat a choisie
Entre tant de beautés dont l'Europe et l'Asie
Dépeuplent leurs États, et remplissent sa cour?
Car on dit qu'elle seule a fixé son amour ;
Et même il a voulu que l'heureuse Roxane,
Avant qu'elle eût un fils, prît le nom de sultane.

La réponse d'Acomat va faire connaître successivement tous les personnages, leur caractere et leurs intérêts, et cette explication est naturellement amenée; car Osmin, absent depuis longtems, ignore tout ce qui se passe, et Acomat parle

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à son confident intime, à un homme qui lui est dévoué et nécessaire.

Il a fait plus pour elle, Osmin. Il a voulu
Qu'elle eût dans son absence un pouvoir absolu.
Tu sais de nos sultans les rigueurs ordinaires.
Le frere rarement laisse jouir ses freres

De l'honneur dangereux d'être sortis d'un sang
Qui les a de trop près approchés de son rang.
L'imbécile Ibrahim, sans craindre sa naissance,
Traîne, exempt de péril, une éternelle enfance ;
Indigne également de vivre et de mourir,
On l'abandonne aux mains qui daignent le nourrir.

former un

Il n'est pas question d'Ibrahim dans la piece. L'auteur n'a placé ici son portrait que pour contraste qui fasse ressortir davantage le personnage de Bajazet, et ce portrait est fini en quatre vers, qui sont au nombre des plus beaux de notre langue. C'est un modele de la véritable force de style, qui consiste à réunir la plus grande étendue d'idées avec une plus grande précision de mots. Il n'y en a pas un qui ne porte coup. Boileau citait souvent ces quatre vers comme une preuve que Racine possédait encore plus que lui le style satyrique.

L'autre, trop redoutable et trop digne d'envie,
Voit sans cesse Amurat armé contre sa vie,

Car enfin Bajazet dédaigna de tout tems
La molle oisiveté des enfans des sultans.

Il vint chercher la guerre au sortir de l'enfance,
Et même en fit sous moi la noble expérience.
Toi-même tu l'as vu courir dans les combats,
Emporter après lui tous les cœurs des soldats;
Et goûter, tout sanglant, le plaisir et la gloire
Que donne aux jeunes cœurs la premiere victoire.

Il fallait disposer le spectateur en faveur de Bajazet, destiné, dans le plan de la piece, à ne jouer qu'un rôle purement passif. Ce qu'on en dit ici commence à intéresser pour lui; et dans la suite on le verra sans cesse ne demander que des armes et les moyens de s'en servir. Sous ce rapport, le rôle de Bajazet est tout ce qu'il devait être.

Mais, malgré ses soupçons, le cruel Amurat,
Avant qu'un fils naissant eût rassuré l'État,
N'osait sacrifier ce frere à sa vengeance,
Ni du sang ottoman proscrire l'espérance.
Ainsi donc, pour un tems, Amurat désarmé,
Laissa dans le serrail Bajazet enfermé.

Il partit, et voulut que, fidele à sa haine,
Et des jours de son frere arbitre souveraine,
Roxane, au moindre bruit, et sans autres raisons,
Le fît sacrifier à ses moindres soupçons.

Acomat met ici le spectateur dans le secret de la politique sanguinaire des sultans, et des raisons qui ont arrêté quelque tems la cruauté jalouse

d'Amurat. On devine aussi ce que la suite de la piece confirmera, qu'il a été averti des complots qui se tramaient dans le serrail. L'ordre qu'il avait envoyé de faire périr Bajazet en est une preuve; et quand on verra Roxane elle-même tuée par Orcan, l'on concevra sans étonnement que le sultan a été instruit de son infidélité. Tous les ressorts de la piece sont dans cette premiere scene.

Pour moi, demeuré seul, une juste colere
Tourna bientôt mes vœux du côté de son frere.
J'entretins la sultane, et, cachant mon dessein,
Lui montrai d'Amurat le retour incertain,
Les murmures du camp, la fortune des armes.
Je plaignis Bajazet, je lui vantai ses charmes,
Qui, par un soin jaloux, dans l'ombre retenus,
Si voisin de ses yeux, leur étaient inconnus,
Que te dirai-je enfin? La sultane éperdue
N'eut plus d'autres desirs que celui de sa vue.

Ses charmes : cette expression est remarquable. Partout ailleurs que dans cette piece, Racine ne s'en serait pas servi, et je n'en connais même aucun autre exemple, si ce n'est dans la Fable. On dit bien d'un homme, qu'il est charmant, mais on ne parle guere de ses charmes : c'est une expression que notre langue a réservée pour les femmes, tant les nuances du langage tiennent aux mœurs. Celles du serrail autorisent l'expression de Racine : on sentira

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