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Ce même Bajazet, sur le trône affermi,
Méconnaîtra peut-être un inutile ami.
Et moi, si son devoir, si ma foi ne l'arrête,
S'il ose quelque jour me demander ma tête.....
Je ne m'explique point, Osmin; mais je prétends
Que du moins il faudra la demander long-tems.
Je sais rendre aux sultans de fideles services;
Mais je laisse au vulgaire adorer leurs caprices,
Et ne me pique point du scrupule insensé,
De bénir mon trépas quand ils l'ont prononcé.

Combien de vérités historiques dans ces vets! La fin tragique de presque tous les visirs, leur dépouille portée au trésor des sultans, qui ont le droit d'hériter de quiconque a été chargé d'une administration; la coutume d'envoyer le lacet à ces victimes du despotisme, de leur demander leur tête, suivant l'expression du poète, et le dévoûment religieux des Turcs, qui leur fait regarder la volonté du sultan comme un ordre du ciel. Je demande si un homme qui ne connaîtrait cette partie des mœurs turques que par les vers de Racine, n'en aurait pas une idée très-fidelle; et la piece est pleine de morceaux semblables,

Voilà donc de ces lieux ce qui m'ouvre l'entrée,
Et comme enfin Roxane à mes yeux s'est montrée.
Invisible d'abord elle entendait ma voix,

Et craignait du serrail les rigoureuses lois.

Mais

Mais enfin, bannissant cette importune crainte
Qui dans nos entretiens jetait trop de contrainte,
Elle-même a choisi cet endroit écarté,

Où nos cœurs à nos yeux parlent en liberté.
Par un chemin obscur une esclave me guide,
Et..... Mais on vient. C'est elle et sa chere Atalide.

Cette scene est d'une étendue peu ordinaire au théâtre; elle a plus de deux cents vers; elle n'est point passionnée; ce n'est qu'une simple exposition, c'est-à-dire, ce qu'on entend avec le moins d'intérêt et ce que la plupart des spectateurs, aujourd'hui surtout, voudraient qu'on abrégât le plus qu'il est possible; et cependant elle ne paraît pas trop longue, parce qu'il n'y a rien d'inutile. On a vu tout ce qu'elle contient de choses: il serait bien plus long de détailler les beautés de style. Un commentaire fait dans cet esprit, tiendrait plus de place que l'ouvrage.

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Nous retrouverons en poursuivant l'examen de la piece, ce rôle d'Acomat toujours semblable à lui-même. Celui de Roxane, quoique moins original, n'est pas moins beau, ni moins soutenu dans un genre tout différent, ni moins conforme aux mœurs turques. C'est un mélange d'amour et d'ambition, qui tient naturellement à la place qu'elle occupe et aux circonstances où elle

Cours de littér. Tome IV.

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est. Une intrigue d'amour dans le serrail entraîne de si grands dangers, qu'il doit s'y mêler nécessairement une intrigue de politique. Roxane est chargée des ordres d'Amurat contre Bajazet; elle est maîtresse du sort de ce prince; elle l'aime, et voit d'ailleurs dans l'absence du sultan et dans les ressentimens d'un visir tel qu'Acomat, l'occasion et les moyens d'une de ces révolutions si communes à Constantinople. Cette révolution peut la placer sur le trône et la faire monter au rang d'impératrice, qui est l'objet de tous ses desirs, et qui flatte d'autant plus son orgueil, que jusque-là Roxelane seule l'avait obtenu. Elle veut donc couronner Bajazet pour se couronner elle-même ; elle veut le sausous la condition qu'il l'épousera, sinon elle l'abandonne à la mort : c'est faire l'amour le poignard à la main, il est vrai, et un amour de cette espece ne peut pas être très-touchant. Mais le danger qu'elle court elle-même lui sert d'excuse; et toute passion fortement tracée produit de l'effet. La sienne, l'est avec toute l'énergie dont Racine était capable; et il parvient à la faire plaindre au quatrieme acte, lorsqu'elle tient la fatale lettre qui lui découvre sa rivale et l'amour de Bajazet pour Atalide.

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Avec quelle insolence et quelle cruauté
Ils se jouaient tous deux de ma crédulité!

Quel penchant ! quel plaisir je sentais à les croire!
Tu ne remportais pas une grande victoire,
Perfide, en abusant ce cœur préoccupé,
Qui lui-même craignait de se voir détrompé.
Tu n'as pas eu besoin de tout ton artifice,
Et je veux bien te faire encor cette justice;
Toi-même, je m'assure, as rougi plus d'un jour,
Du peu qu'il t'en coûtait pour tromper tant d'amour.
Moi qui, de ce haut rang qui me rendait si fiere,
Dans le sein du malheur t'ai cherché la premiere,
Pour attacher des jours tranquilles, fortunés,
Aux périls dont tes jours étaient environnés ;
Après tant de bonté, de soins, d'ardeurs extrêmes,
Tu ne saurais jamais prononcer que tu m'aimes!
Mais dans quel souvenir me laissé-je égarer?.
Tu pleures, malheureuse! Ah! tu devais pleurer,
Lorsque, d'un vain desir à ta perte poussée,
Tu conçus de le voir la premiere pensée.
Tu pleures! et l'ingrat, tout prêt à te trahir,
Prépare les discours dont il veut t'éblouir.
Pour plaire à ta rivale, il prend soin de sa vie.
Ah traître! tu mourras.

Voilà le cri de la passion : les fureurs de Roxane et le danger de Bajazet rendent la situation tragique. Une scene qui ne l'est pas moins, c'est celle où, lui reprochant son infidélité dont elle a la preuve en main, elle consent encore à lui pardonner, mais à quel prix !

Laissons ces vains discours; et, sans m'importuner,
Pour la derniere fois, veux-tu vivre et régner?

J'ai l'ordre d'Amurat, et je puis t'y soustraire.
Mais tu n'as qu'un moment. Parle.

BAJA ZET.

Que faut-il faire ?

ROXAN E.

Ma rivale est ici. Suis-moi sans différer.
Dans les mains des muets viens la voir expirer ;
Et, libre d'un amour à ta gloire funeste,

Viens m'engager ta foi; le tems fera le reste.
est à ce prix, si tu veux l'obtenir.

Ta

grace

BAJAZE T.

Je ne l'accepterais que pour vous en punir;
Que pour faire éclater, aux yeux de tout l'Empire,
L'horreur et le mépris que cette offre m'inspire.

Bajazet répond comme il doit répondre. La proposition est atroce; mais elle est conforme au caractere, à la situation et aux mœurs. Ce n'est pas dans le serrail qu'on épargne une rivale dont on peut se défaire. Bajazet, qui sait de quoi Roxane est capable, revient bientôt de ce premier mouvement d'in dignation, et s'efforce de la fléchir en faveur d'Atalide: c'est le moyen de hâter sa perte. Aussi la sultane lui répond par un seul mot, sortez; mot terrible: elle vient de dire que s'il sortait, il était mort, et l'on sait que les muets l'attendent.

Le rôle d'Acomat et celui de Roxane sont donc

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