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ce qu'ils doivent être : ils sont dignes, et de la tragédie, et de Racine. Le quatrieme acte et la scene du cinquieme, entre Roxane et le prince, sont tragiques. Mais Bajazet et Atalide le sont-ils ? Dans tout ce que nous avons vu, les mœurs et les convenances sont fidellement observées : nous étions parmi des Turcs et dans le serrail. Nous y retrouvons-nous avec Bajazet et Atalide? Il faut être juste il faut, quoiqu'à regret, dire la vérité, même lorsqu'elle condamne un grand-homme. Ici du moins j'ai pour moi l'avis d'un autre grandhomme, de Corneille, qui peut, il est vrai, ne pas faire loi en matiere de goût, mais dont l'opinion a été sur ce point confirmée par tous les connaisseurs. On sait qu'assistant à une représentation de Bajazet, il dit à Ségrais qui était à côté de lui, et qui rapporte le fait dans ses Mémoires: Avouez que voilà des Turcs bien francisés. Je vous le dis tout bas, car on me croirait jaloux. Homme sublime, qui avez donné tant de grandeur aux Hoà Auguste, à Corneille, non, l'on ne vous croira point jaloux! On croira que vous vous trompiez, quand vous avez conseillé à l'auteur. d'Alexandre de ne pas faire de tragédies (le rôle seul de Porus annonçait qu'il pouvait en faire); quand vous appeliez l'auteur d'Andromaque un dou

races,

cereux qui affadissait la tragédie, tandis que dans le fait il créait un art que vous-même n'aviez pas connu. Mais quand Atalide et Bajazet vous ont paru des Français habillés en Turcs, je crois que vous aviez trop raison; et je dois d'autant plus en convenir, que c'est à mon gré la seule fois que Racine est tombé dans cette faute.

Examinons quel est le noeud de l'intrigue, et rappelons-nous ce grand principe auquel tout doit se rapporter dans un plan dramatique, la nécessité de proportionner les moyens aux effets, principe sur lequel j'insiste d'autant plus souvent, que jamais je ne l'ai vu expliqué dans tout ce qu'on a écrit sur la tragédie en général, encore moins dans les critiques journalieres, où l'ignorance prononce arbitrairement sur tous les ouvrages. Le sujet est le péril de Bajazet, dont la vie, proscrite par Amurat, dépend de la volonté de Roxane, qui peut le perdre ou le couronner. Il ne s'agit donc pour lui de rien moins que de l'Empire et de la vie. Ce qui fait le noeud de la situation, c'est l'amour de Bajazet pour Atalide, amour qui l'empêche de répondre à celui de Roxane. D'abord cer amour est-il assez intéressant lui-même pour par Lalancer les grands intérêts qu'on lui oppose, et qui, supérieurement exposés dans la premiere scene,

s'emparent de toute l'attention du spectateur? Je ne le crois pas c'est une petite intrigue obscure, conduite par la fourberie et la dissimulation; c'est Bajazet qui feint d'aimer Roxane; c'est Atalide qui prête son nom à cet amour prétendu, et qui trompe la sultane, de concert avec Bajazet. Un amour de cette espece n'a aucun des caracteres qui peuvent faire une grande impression sur les spectateurs, surtout près des grands objets placés en opposition; et les incidens qui en sont la suite, démentent trop ouvertement les mœurs connues et les idées établies. Roxane veut que Bajazet l'épouse, et l'on ne peut nier qu'elle n'ait toutes les raisons ́ et tous les droits possibles de l'exiger. Il la refuse en se fondant sur cette raison, que ce n'est pas l'usage des princes ottomans de prendre une épouse. Elle lui répond par l'exemple de Soliman, qui prouve assez que les sultans peuvent, quand ils veulent, se mettre au dessus de cet usage qui n'est point une loi; et si jamais on fut autorisé à s'en dispenser, c'est assurément dans une situation aussi pressante que celle de Bajazet. Aussi quand le visir, justement étonné de sa querelle avec Roxane, lui en demande la raison, et qu'il répond par ce vers, qui fait trop sentir tout le faible de cette intrigue :

Elle veut, Acomat, que je l'épouse!

Acomat ne manque pas de lui dire, avec beaucoup de raison ce me semble :

Eh bien!

L'usage des sultans à ses vœux est contraire;
Mais cet usage enfin est-ce une loi sévere,
Qu'aux dépens de vos jours vous deviez observer?
La plus sainte des lois, ah! c'est de vous sauver,
Et d'arracher, seigneur, d'une mort manifeste
Le sang des Ottomans dont vous faites le reste.

Quelle est la replique de Bajazet ?

Ce reste malheureux serait trop acheré
S'il faut le conserver par une lâcheté.

Pourquoi donc serait-ce une lâcheté d'épouser Roxane, à qui Bajazet devra l'Empire et la vie, et de faire par reconnaissance ce que fit Soliman par caprice ou par un scrupule de religion? Acomat le lui observe fort judicieusement.

Et pourquoi vous en faire une image si noire?
L'hymen de Soliman ternit-il sa mémoire?
Cependant Soliman n'était point menacé
Des périls évidens dont vous êtes pressé.

BAJA ZET.

Et ce sont ces périls et ce soin de ma vie,
Qui d'un servile hymen feraient l'ignominie ?

Ce sont lì de vaines subtilités, plutôt que

des

raisons, surtout devant un homme tel que le visir Acomat, qui doit les trouver bien étranges, dans l'opinion où il est que Bajazet aime la sultane.

Mais vous aimez Roxane?

BAJA ZET.

Acomat, c'est assez :

Je me plains de mon sort moins que vous ne pensez. On voit qu'il ne veut pas avouer la véritable raison de ses refus, son amour pour cette même Atalide, promise au visir en récompense de ses services. Ainsi le même homme qui croirait faire une lâcheté d'épouser Roxane quand il lui doit tout, cet homme qui a des scrupules si déplacés, ne s'en fait aucun de tromper depuis si long-tems, et cette même Roxane, et un serviteur aussi fidele que le visir ! Il faut l'avouer : tout cela est faux et petit.

On le sent encore davantage par le contraste que présente ici le grand sens d'Acomat, et sa politique aussi juste que conforme aux mœurs et aux circonstances. Ce vieux ministre, qui va toujours au fait, insiste auprès du prince.

Promettez : affranchi du péril qui vous presse,
Vous verrez de quel poids sera votre promesse.
Moi!

dit Bajazet avec une sorte d'indignation qui

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