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nous, & on ne vivra pas moins. Il y a beaucoup d'apparence, dit-elle, que quand cela feroit, de longues fuites de fiécles ne produiroient que de bien petites differences. J'en conviens, répondis-je; la conduite de la Nature n'eft pas brufque, & fa methode eft d'amener tout par des degrez qui ne font fenfibles que dans les changemens fort prompts & fort aifez. Nous ne fommes prefque capables de nous appercevoir que de celui des Saifons; pour les autres qui fe font avec une certaine lenteur, ils ne manquent guére de nous échaper. Cependant tout eft dans un branle perpetuel, & par confequent tout change; & il n'y a pas jufqu'à une certaine Demoiselle que l'on a veue dans la Lune avec des Lunettes, il y a peut-être quarante ans, qui ne foit confiderablement vieillie. Elle avoit un affez beau vifage; fes joues fe font eufoncées, fon nez s'eft allongé, fon front & fon menton se font avancez, de forte que tous fes agremens font évanouis, & que l'on craint même pour les jours.

Que me contez-vous là, interrompit la Marquife? Ce n'eft point une plaifanterie, reprisje. On appercevoit dans la Lune une figure particuliére qui avoit de l'air d'une tête de femme qui fortoit d'entre des Rochers, & il eft arrivé du changement dans cet endroit-là. Il eft tombé quelques morceaux de Montagnes qui ont laiflé à découvert trois pointes qui ne peuvent plus fervir qu'à, compofer un front, un nez, & un menton de vieille. Ne femblet-il pas, dit-elle, qu'il y ait une destinée malicieufe quien veuille particuliérement à la beauté? ç'a été juftement cette tête de Demoifel

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le, qu'elle a été attaquer fur toute la Lune. Peut-être qu'en récompenfe, répliquay-je, les changemens qui arrivent fur notre Terre embelliffent quelque vifage que les gens de la Lune y voyent; j'entens quelque vifage à la maniére de la Lune, car chacun tranfporte fur les objets les idées dont il eft rempli. Nos Aftronomes voyent fur la Lune des vifages de Demoifelles, il pourroit être que des Femmes qui obferveroient, y verroient de beaux vifages d'Hommes. Moy, Madame, je ne fçay fi je ne vous y verrois point. J'avoue, dit-elle, que je ne pourrois pas me défendre d'être obligée à qui me trouveroit là; mais je retourne à ce que vous me difiez tout à l'heure; arrive-t-il fur la Terre des changemens confiderables?

Il y a beaucoup d'apparence; répondis-je, qu'il en eft arrivé. Plufieurs Montagnes élevées & fort éloignées de la Mer, ont de grands lits de Coquillages, qui femblent marquer néceffairement que l'Eau les a autrefois couvertes. Quelquefois, affez loin encore de la Mer, on trouve des Pierres, où font des Poiffons petrifiez. Qui peut les avoir mis là, fi la Mer n'y a pas été? Les Fables difent qu'Hercule fepara avec fes deux mains deux Montagnes nommées Calpé & Abila, qui étant fituées entre l'Afrique & l'Espagne, arrêtoient l'Ocean, & qu'auffi-tôt la Mer entra avec violence dans les Terres, & fit ce grand Golfe qu'on appelle la Mediterranée. Les Fables ne font point tout-àfait des Fables, ce font des Hiftoires des temps reculez, mais qui ont été defigurées, ou par l'ignorance des Peuples, ou par l'amour qu'ils avoient pour le Merveilleux, très - anciennes F 7 mala

maladies des hommes. Qu'Hercule ait feparé deux Montagnes avec fes deux mains, cela n'eft pas trop croyable; mais que du temps de quelque Hercule, car il y en a cinquante, l'Ocean ait enfoncé deux Montagnes plus foibles que les autres, peut-être à l'aide de quelque tremblement de Terre, & fe foit jetté entre l'Europe & l'Afrique, je le croirois fans beaucoup de peine. Ce fut alors une belle tache que les Habitans de la Lune virent paroître tout à coup fur notre Terre; car vous fçavez, Madame, que les Mers font des taches. Du moins l'opinion commune eft que la Sicile a été feparée de l'Italie, & Cypre de la Syrie; il s'eft quelquefois formé de nouvelles Ifles dans la Mer; des tremblemens de Terre ont abîmé des Montagnes, en ont fait naître d'autres, & ont changé le cours des Riviéres; les Philofophes nous font craindre que le Royaume de Naples & la Sicile, qui font des terres appuyées fur de grandes voûtes foûterraines remplies de fouphre, ne fondent quelque jour, quand les voûtes ne feront plus aífez fortes pour refifter aux feux qu'e!les renferment, & qu'elles exhalent prefentement par des foupiraux tels que le Vefuve & l'Etna. En voilà affez pour diverfifier un peu le fpectacle que nous donnons aux Gens de la Lune.

J'aimerois bien mieux, dit la Marquife, que nous les ennuyaffions en leur donnant toûjours le même, que de les divertir par des Provinces abîmées.

Cela ne feroit encore rien, repris-je, en comparaifon de ce qui fe paffe dans Jupiter. Il paroît fur fa furface comme des Bandes, dont il

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feroit envelopé, & que l'on diftingue les unes des autres, ou des intervalles qui font entre-elles, par les differens degrez de clarté ou d'obfcurité. Ce font des Terres & des Mers, ou enfin de grandes parties de la furface de Jupiter, auffi differentes entre-elles. Tantôt ces Bandes s'étreciffent, tantôt elles s'élargiffent; elles s'interrompent quelquefois, & fe réuniffent enfuite; il s'en forme de nouvelles en divers endroits, & il s'en efface, & tous ces changemens qui ne font fenfibles qu'à nos meilleures Lunettes, font en eux-mêmes. beaucoup plus confiderables, que fi notre Ocean inondoit toute la Terre ferme, & laiffoit en fa place de nouveaux Continents. A moins que les Habitans de Jupiter ne foient Amphibies, & qu'ils ne vivent également fur la Terre, & dans l'Eau, je ne fçay pas trop bien ce qu'ils deviennent. On voit auffi fur la furface de Mars de grands changements, & même d'un mois à l'autre. En auffi peu de temps, des Mers couvrent de grands Continents, ou fe retirent par un flux & reflux infiniment plus violent que le notre, ou du moins c'eft quelque chofe d'équivalent. Notre Planète eft bien tranquille auprès de ces deux-là, & nous avons grand fujet de nous en loüer, & encore plus s'il eft vray qu'il y ait eu dans Jupiter des Pays grands comme toute l'Europe embrafés. Embrafés! s'écria la Marquife. Vraiment ce feroit là une nouvelle confiderable. Très confiderable, repondis-je. On a veu dans Jupiter, il y a peut-être vingt ans, une longue lumiére, plus éclatante que le refte de la Planète, Nous avons eu ici des Déluges, mais rarement, peut-être que dans Jupiter ils ont rare

ment

ment auffi de grands Incendies, fans préjudice des Déluges, qui y font communs. Mais quoy qu'il en foit, cette lumiére de Jupiter n'eft nullement comparable à une autre, qui felon les apparences, eft auffi ancienne que le monde, & que l'on n'avoit pourtant jamais veuë. Comment une lumiére fait-elle pour se cacher, ditelle? Il faut pour cela une adreffe finguliére.

Celle-là, repris-je, ne paroît que dans le temps des Crepufcules, de forte que le plus fouvent ils font affez longs & affez forts pour la couvrir, & que quand ils peuvent la laiffer paroître, ou les vapeurs de l'horizon la dérobent, ou elle eft fi peu fenfible, qu'à moins que d'être fort exact, on la prend pour les Crepufcules mêmes. Mais enfin depuis trente ans on l'a démêlée feurement, & elle a fait quelque temps les délices des Aftronomes, dont la curiofité avoit befoin d'être réveillée par quelque chofe d'une espèce nouvelle; ils euffent eu beau découvrir de nouvelles Planètes fubalternes, ils n'en étoient prefque plus touchez; les deux derniéres Lunes de Saturne, par exemple, ne les ont pas charmez ni ravis, comme avoient fait les Satellites ou les Lunes de Jupiter; on s'accoûtume à tout. On voit donc un mois devant & après l'Equinoxe de Mars, lors que le Soleil eft couché, & le Crepufcule finy, une certaine lumiére blanchâtre qui reffemble à une queue de Comète. On la voit avant le lever du Soleil, & avant le Crepufcule vers l'Equinoxe de Septembre, & vers le Solftice d'Hiver on la voit foir,& matin; hors de là elle ne peut, comme je viens de vous dire, fe dégager des Crepufcules, qui ont trop de force & de durée; car on fuppo

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