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recevons, nous en gemiffons, & on n'ytroure point d'autre remède que de nous foûtenir que nous fommes invulnerables? Trop heureux encore, fi nous pouvions entrer dans cette illufion & en profiter; mais fi ces vaines idées élevent pour quelques momens, & enflent l'imagination feduite, on eft auffi-tôt rapellé au fentiment de fes maux par la nature plus forte & plus puiffante; & fi l'opiniâtreté du parti dont on a fait choix maintient encore dans l'efprit cette fuperbe fpeculation, le coeur qui fouffre la dément & la condamne. Quand ce Stoïcien preffé par la douleur d'une maladie violente s'écrioit en s'adreffant à elle; Je n'avoueray pourtant pas que tu fois un mal; cet effort qu'il faifoit pour ne le pas avouer, ce defaveu même apparent, n'étoit-ce pas un aveu & le plus fort & le plus fincére qui pût jamais être?

Loin du Chriftianiline une erreur fi contraire aux fentimens naturels, & un orgueil fiindigne d'une raifon éclairée. La patience des Chrétiens n'eft point fondée fur ce qu'ils s'imaginent être au deffas des douleurs; ils fouffrent, ils avoüent qu'ils fouffrent; mais la foûmiffion qu'ils ont pour celuy qui les fait juflement fouffrir, mais le prix qui eft propofé à leurs fouffrances produit cette confiance, ce calme, cette joye qui ont fi fouvent arraché à leurs perfecuteurs de l'admiration & du refpect. Ils ne retiennent point leurs plaintes & leurs gemiffements par la crainte de deshonorer le parti qu'ils font profeffion de fuivre, mais la divine Religion qu'ils fuivent prévient en eux les plaintes & les gemiffements par les faintes penfées dont elle les remplit. Ils font tels au dedans d'eux-mêmes, que les Stoï

ciens avoient beaucoup de peine à paroître au dehors, tranquilles & vainqueurs de la douleur qu'ils endurent. Ils font ce que toute la Philofophie elle-même ne fçauroit affés admirer, auffi fenfibles que tous les autres hommes à toutes les miféres humaines; plus fatisfaits au milieu des plus grandes miféres, que s'ils étoient les plus heureux des hommes.

Il n'y a rien où la patience éclate avec plus d'avantage que dans les injures. Un Stoïcien offenfé ne confervoit un exterieur paifible, que parce qu'il s'élevoit auffi-tôt dans fon cœur au deffus de celuy qui l'avoit offenfé, & quelquefois même par un fuperbe jugement ofoit le dégrader de la qualité d'homme: infulte qu'on fait fans danger à fon ennemy, vengeance impuiffante, qui ne laiffe pas dé confoler l'orgueil. Un Chrétien fe met dans fon cœur au deffous de tous les hommes, & cependant il a au milieu des outrages une heroïque tranquillité qui le met au deffus de fes ennemis. Innocent & heureux artifice que la grace nous enfeigne : fans prendre une fierté mal fondée, fans affecter une fauffe infenfibilité, nous n'avons qu'à nous humilier fous la main du Createur, pour être fuperieurs aux Creatures; nous n'avons qu'à la refpecter dans les inftrumens qu'elle employe, pour être à l'épreuve des plus rudes coups que les hommes puiffent nous porter. Il n'y en a point qui n'ayent affés de pouvoir pour nous faire fouffrir; mais il n'y en a point qui en aient affés pour troubler notre repos. Lors que leurs bras font tournés contre nous, un bras plus puiffant qui les fait agir fe montre aux yeux de notre foy, tient nos douleurs dans le refpect,

& réprime toute l'agitation qu'elles produiroient dans notre ame. Les injuftices que nous avons à effuyer ne fe prefentent plus à nous comme des évenemens qui partent de la méchanceté des hommes, & qui doivent exciter en nous de la haine & de l'indignation, nous remontons plus haut, & d'une veuë plus éclairée, nous découvrons que ces mêmes évenements nous viennent du Ciel, & comme de juftes châtiments qui demandent de la foûmiffion & comme des fujets de merite qui demandent des actions de graces.

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Ce n'étoit pas ainfi qu'en jugeoient la plupart des Philofophes, perfuadés que toutes chofes étoient gouvernées par une fatalité aveugle, immuable, néceffaire, de laquelle partoient indifferemment & les biens & les maux. Il eft vray qu'ils fe foûmettoient à elle dans les malheurs, & quelquefois avec affés de refolution; mais quelle étoit cette efpèce de patience? une patience d'efclaves attachés à leur chaîne, & fujets à tous les caprices d'un maître impitoyable; une patience qui n'étant fondée que fur l'inutilité de la revolte, arrête durement les mouvements de l'ame, & au lieu de la confoler, y laiffe un chagrin fombre & farouche; en un mot, un defefpoir un peu raifonné, plutôt qu'une vraye patience. Graces à notre augufte Religion, nous fçavons que nous ne dépendons point d'un deftin aveugle, qui nous emporte & nous entraîne invinciblement. Nos malheurs ne viennent point de l'arrangement fortuit de ce qui nous environne; une intelligence éternelle, non moins puiffante que le paroiffoit aux Philofo

phes

phes leur fatalité imaginaire, mais de plus fouverainement fage, prefide à tout. Ce bras dont nous refpectons les coups, eft un bras qui nous diftribue les maux mêmes felon nos befoins & felon nos forces, qui, à proprement parler, ne nous envoye que des biens; c'eft le bras d'un pere, nous fouffrons comine des enfans, feurs de la bonté de celuy qui nous fait fouffrir, & non point comme des efclaves affujettis à toutes les rigueurs les plus bizarres & les plus cruelles ce n'eft point l'inutilité de la revolte qui nous arrête, c'en eft l'injuftice, & notre patience eft une veritable foumiffion d'efprit qui répand dans le cœur une confolation prefque auffi douce, fi je l'ofe dire, que la joüiffance même du bien..

Tels font les effets que produit chés les Chrétiens le divin exemple de patience qui leur fut propofé, lorfque le Jufte, le feul Jufte qui l'ait été jamais par lui-même, fevit fur le point d'expier les pechés du genre-humain. Abandonné de toute la Nature, hormis de quelques Difciples, qui n'avoient plus que peu d'instants à luy être fidelles, frappé de l'affreufe idée d'un fupplice également honteux & cruel qui luy étoit deftiné, il s'adreffe à fon Pere celefte, il luy demande que s'il eft poffible les tourmens qu'il envifage luy foient épargnez, & un fouhait que la grandeur de fes tourments déja présents à ses yeux rendoit fi legitime, un fouhait plus legitime. en core par l'innocence de celuy qui le faifoit, un fouhait où la moderation éclate jufque dans les termes qui l'expriment, eft cependant reprimé dans le même moment, par une foumiffion entiere & fans referve aux defleins Dieu. Que ta volonté G 6

foit

foit faite, dit Jefus-Chrift à fon Pere, & quelle volonté! combien fçavoit-il qu'elle étoit févére & rigoureufe à fon égard! il fe voyoit livré à la juftice irritée, il voyoit la bonté entierement fufpenduë cependant pour fatisfaire aux devoirs de l'obéiffance d'un Fils, il foufcrit à la propre difgrace, & fon unique foulagement au inilieu de fes douleurs les plus vives, eft de tourner les yeux fur la main dont il les reçoit.

Il foûpira encore fur la Croix, il fe plaignit d'avoir été abandonné de fon Pere; mais il ne murmuroit pas de cette extrême rigueur, il nous marquoit feulement combien il y étoit fenfible. Les Philofophes prétendoient à une impaffibilité, qui dans l'état où nous fommes, ne peut s'accorder avec la nature humaine, & Jéfus-Chrift ne voulut pas jouir de celle qu'il eût pû recevoir de fa Divinité. Il fouffrit les plus cruels fupplices pour laiffer un exemple qui convint à des hommes néceffairement fujets à la douleur. Il prit toute notre fenfibilité pour nous, porter avec plus de force à l'imitation de fa patience.

Infpirés-nous, Verbe incarné, cette vertuheroïque, fi éloignée de la corruption qui nous eft devenue naturelle, & de la fauffe perfection à laquelle la Philofophie afpiroit. Daignés nous

inftruire dans la fcience de fouffrirgnés nous

toure celefte, & qui n'appartient qu'à vos Difciples. Tout le cours de votre vie nous en donne d'admirables leçons; mais comment les mettre en pratique fans le fecours de votre grace? C'est vous feul fur qui nous pouvons prendre une veritable idée des vertus, & c'eft vous feul encore de qui nous pouvons recevoir la force

de

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