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qu'un Soleil, & une voûte bleue, mais il fe peut que la vûë de toutes ces Etoiles femées confufément, & dipofées au hazard en mille figures differentes, favorife la rêverie, & un certain defordre de penfées où l'on ne tombe point fans plaifir. J'ai toûjours fenti ce que vous me dites, reprit-elle, j'aime les Etoiles, & je me plaindrois volontiers du Soleil qui nous les efface. Ah! m'écriai-je, je ne puis lui pardonner de me faire perdre de vûe tous ces Mondes.Qu'appellez-vous tous ces Mondes, me dit-elle en me regardant, & en fe tournant vers moi? Je vous demande pardon, répondis-je. Vous m'avez mis fur ma folie, & auffi-tôt mon imagination s'eft échappée. Quelle eft donc cette folie, reprit-elle? Helas! repliquai-je, je fuis bien fâché qu'il faille vous l'avoüer; je me fuis mis dans la tête que chaque Etoile pourroit bien être un Monde. Je ne jurerois pourtant pas que cela fût vrai, mais je le tiens pour vrai, parce qu'il me fait plaifir à croire. C'est une idée qui me plaît, & qui s'eft placée dans mon efprit d'une maniére riante. Selon moi, il n'y a pas jufqu'aux Véritez à qui l'agrément ne foit néceffaire. Et bien, reprit-elle, puifque votre folie eft fi agréable, donnez-la moi, je croirai fur les Etoiles tout ce que vous voudrez, pourvû que j'y trouve du plaifir. Ah! Madame, répondis-je bien vîte, ce n'eft par un plaifir comme celui que vous auriez à une Comédie de Moliere; c'en eft un qui eft je ne fçai où dans la raifon, & qui ne fait rire que l'efprit. Quoi donc, reprit-elle, croyez-vous qu'on foit incapable des plaifirs qui ne font que dans la raifon? Je veux tout à l'heure vous faire voir le con

traire,

traire, apprenez-moi vos Etoiles. Non, repliquai-je, il ne me fera point reproché que dans un Bois, à dix heures du Soir, j'aye parlé de Philofophie à la plus aimable perfonne que je connoiffe. Cherchez ailleurs vos Philofophes.

J'eus beau me défendre encore quelque temps fur ce ton là, il fallut ceder. Je lui fis du moins promettre pour mon honneur, qu'elle me garderoit le fecret, & quand je fus hors d'état de m'en pouvoir dédire, & que je voulus parler, je vis que je ne fçavois par où commencer mon difcours car avec une perfonne comme elle, qui ne fçavoit rien en matiére Phyfique, il falloit prendre les chofes de bien-loin, pour lui prouver que la Terre pouvoit être une Planète, & les Planètes autant de Terres, & toutes les Etoiles autant de Soleils qui éclairoient des Mondes. J'en revenois toûjours à lui dire qu'il auroit mieux valu s'entretenir de bagatelles, comme toutes perfonnes raifonnables auroient fait en notre place. A la fin cependant, pour lui donner une idée générale de la Philofophie, voici par où je commençai.

Toute la Philofophie, lui dis-je, n'eft fondée que fur deux chofes, fur ce qu'on a l'efprit curieux & les yeux mauvais: car fi vous aviez les yeux meilleurs que vous ne les avez, vous verriez bien fi les Etoiles font des Soleils qui éclairent autant de Mondes, ou fi elles n'en font pas; "& fi d'un autre côté vous étiez moins curieuse, vous ne vous foucieriez pas de le fçavoir, ce qui reviendroit au même; mais on veut fçavoir plus qu'on ne voit, c'est-là la difficulté. Encore, fi ce qu'on voit, on le voyoit bien, ce feroit toûjours autant de connu, mais on le

voit

voit tout autrement qu'il n'eft. Ainfi les vrais Philofophes paffent leur vie à ne point croire ce qu'ils voyent, & à tâcher de deviner ce qu'ils ne voyent point, & cette condition n'eft pas, ce me femble, trop à envier. Sur cela je me figure toûjours que la Nature eft un grand Spectacle qui reffemble à celui de l'Opera. Du lieu où vous êtes à l'Opera, vous ne voyez pas le Théatre tout-à-fait comme il eft; on a difpofé les Décorations & les Machines pour faire de loin un effet agréable, & on cache à votre vûë ces roues & ces contrepoids qui font tous les mouvemens. Auffi ne vous embaraffez-vous guéres de deviner comment tout cela joue. Il n'y a peut-être que quelque Machinifte caché dans le Parterre, qui s'inquiéte d'un Vol qui lui aura paru extraordinaire, & qui veut abfolument démêler comment ce Vol a été exécuté. Vous voyez bien que ce Machiniste-là eft affez fait comme les Philofophes. Mais ce qui, à l'égard des Philofophes, augmente la difficulté, c'eft que dans les Machines que la Nature pré-fente à nos yeux, les cordes font parfaitement bien cachées, & elles le font fi bien, qu'on a été long-temps à deviner ce qui caufoit les mouvemens de l'Univers. Car repréfentez-vous tous les Sages à l'Opera, ces Pithagores, ces Platons, ces Ariftotes, & tous ces gens dont le nom fait aujourd'hui tant de bruit à nos Oreilles, fuppofons qu'ils voioient le Vol de Phaeton que les Vents enlevent, qu'ils ne pouvoient découvrir les cordes, & qu'ils ne fçavoient point comment le derriére du Theatre étoit difpofé. L'un d'eux difoit, c'est une certaine Vertu fecrete qui enleve Phaeton. L'autre Phaë

ton

ton eft compofé de certains nombres qui le font monter. L'autre, Phaeton a une certaine amitié pour le bant du Théatre; il n'est point à son aife quand il n'y eft pas. L'autre, Phaëton n'étoit pas fait pour voler, mais il aime mieux voler, que de laiffer le haut du Théatre vuide; & cent autres rêveries que je m'étonne qui n'aient perdu de reputation toute l'Antiquité. A la fin Defcartes, & quelques autres Modernes font venus, qui ont dit: Phaeton monte, parce qu'il est tiré par des cordes, & qu'un poids plus pefant que lui defcend. Ainfi on ne croit plus qu'un corps fe remuë, s'il n'eft tiré, ou plutôt pouffé par un autre corps; on ne croit plus qu'il monte ou qu'il defcende, fi ce n'eft par l'effet d'un contrepoids ou d'un reffort; & qui verroit la Nature telle qu'elle eft, ne verroit que le derriére du Théatre de l'Opera. A ce compte, dit la Marquife, la Philofophie eft devenuë bien méchanique? Si méchanique, répondis-je, que je crains qu'on en ait bien-tôt honte. On veut que l'Univers ne foit en grand, que ce qu'une Montre eft en petit, & que tout s'y conduife par des mouvemens réglez qui dépendent de l'arrangement des parties. Avoüez la vérité. N'avez-vous point eu quelque fois une idée plus fublime de l'Univers, & ne lui avez-vous point fait plus d'honneur qu'il ne méritoit? J'ai vu des gens qui l'en eftimoient moins, depuis qu'ils l'avoient connu. Et moi, repliqua-t-elle. je l'en eftime beaucoup plus, depuis que je fçai qu'il reffemble à une Montre. Il eft furprenant que l'ordre de la Nature, tout admirable qu'il eft, ne roule que fur des chofes fi fimples.

Je ne fçai pas, lui répondis-je, qui vous a

donné

donné des idées fi faines; mais en vérité, il n'est pas trop commun de les avoir. Affez de gens ont toûjours dans la tête un faux Merveilleux envelopé d'une obfcurité qu'ils refpectent. Ils n'admirent la Nature, que parce qu'ils la croyent une efpèce de Magie où l'on n'entend rien, & il eft für qu'une chofe eft deshonorée auprès d'eux, dès qu'elle peut être conçue. Mais, Madame, continuai-je, vous êtes fi bien difpofée à entrer dans tout ce que je veux vous dire, que je croi que je n'ai qu'à tirer le rideau, & à vous montrer le Monde.

De la terre où nous fommes, ce que nous voïons de plus éloigné, c'eft ce Ciel bleu, cette grande voûte où il femble que les Etoiles font attachées comme des cloux. On les appelle Fixes, parce, qu'elles ne paroiffent avoir que le mouvement de leur Ciel, qui les emporte avec lui d'Orient en Occident. Entre la Terre & cette derniére voûte des Cieux, font fufpendus à differentes hauteurs, le Soleil, la Lune, & les cinq autres Aftres qu'on appelle des Planètes, Mercure, Venus, Mars, Jupiter & Saturne. Ces Planètes n'étant point attachées à un même Ciel, & ayant des mouvemens inégaux, elles fe regardent diverfement, & figurent diversement enfemble, au lieu que les Etoiles Fixes font toûjours dans la même fituation les unes à l'égard des autres. Le Chariot, par exemple, que vous voyez qui eft formé de ces fept Étoiles, a toûjours été fait comme il eft & le fera encore longtemps; mais la Lune eft tantôt proche du Soleil, tantôt elle en eft éloignée, & il en va de même des autres Planètes. Voilà comme les chofes parurent à ces anciens

Ber

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