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tourmenter tant; mais le malheur eft qu'on n'eft pas affuré qu'on tourne; car enfin, à ne vous rien celer, toutes les précautions que vous prenez pour empêcher qu'on ne s'apperçoive du mouvement de la Terre, me font fufpectes. Eft-il poffible qu'il ne laiffera pas quelque petite marque fenfible à laquelle on le reconnoiffe?:

Les mouvemens les plus naturels, répondis- je, & les plus ordinaires, font ceux qui fe font le moins fentir, cela eft vrai jufques dans la Morale. Le mouvement de l'amour propre nous eft fi naturel, que le plus fouvent nous ne le fentons pas, & que nous croyons agir par d'autres principes. Ah! vous moralifez, ditelle, quand il eft queftion de Phyfique, cela. s'appelle baailler. Retirons-nous, auffi-bien en voila affez pour la premiére fois. Demain nous reviendrons ici, vous avec vos Siftêmes, & moi avec mon ignorance.

En retournant au Château, je lui dis pour épuifer la matiére des Siftêmes, qu'il y en avoit un troifiéme inventé par Ticho-Brahé, qui voulant abfolument que la Terre fût immobile, la plaçoit au centre du Monde, & faifoit tourner autour d'elle le Soleil, autour duquel tournoient toutes les autres Planètes, parce que depuis les nouvelles Découvertes, il n'y avoit pas moien de faire tourner les Planètes autour de la Terre. Mais la Marquife qui a le difcernement vif & prompt, jugea qu'il y avoit trop d'affection à exempter la Terre de tourner autour du Soleil, puis qu'on n'en pouvoit pas exempter tant d'autres grands Corps; que le Soleil n'étoit plus fi propre à tourner autour de la Terre, depuis que toutes les Planètes tour

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noient

noient autour de lui: que ce Siftême ne pouvoit être propre tout au plus qu'à foûtenir l'immobilité de la Terre, quand on avoit bien envie de la foûtenir, & nullement à le perfuader; & enfin il fut refolu que nous nous en tiendrions à celui de Copernic, qui eft plus uniforme & plus riant, & n'a aucun mélange de préjugé. En effet, la fimplicité dont il eft perfuade, & fa hardieffe fait plaifir.

SECOND SOIR.

Que la Lune eft une Terre habitée.

LE lendemain au matin dès que l'on put entrer dans l'Appartement de la Marquife, j'envoyai fçavoir de fes nouvelles, & lui demander fi elle avoit pû dormir en tournant. Elle me fit répondre qu'elle étoit déja toute accoûtumée à cette allure de la Terre, & qu'elle avoit paffé la nuit auffi tranquillement qu'auroit pû faire Copernic lui-même. Quelque temps après il vint chez elle du monde qui y demeura jufqu'au foir, felon l'ennuyeufe coûtume de la Campagne. Encore leur fut-on bien obligé, car la Campagne leur donnoit auffi le droit de pouffer leur vifite jufqu'au lendemain, s'ils euffent voulu; & ils eurent l'honnêteté de ne le pas faire. Ainfi la Marquise & moi nous nous

retrou

retrouvâmes libres le foir. Nous allâmes encore dans le Parc, & la Conversation ne manqua pas de tourner auffitôt fur nos Siftêmes. Elle les avoit fi bien conçus, qu'elle dédaigna d'en parler une feconde fois, & elle voulut que je la menaffe à quelque chofe de nouveau. Et bien donc, lui dis-je, puifque le Soleil, qui eft prefentement immobile, a ceffé d'être Planète. & que la Terre qui fe meut autour de lui, a commencé d'en être une, vous ne ferez pas fi furprise d'entendre dire que la Lune eft une Terre comme celle-ci, & qu'apparemment elle cft habitée. Je n'ai pourtant jamais oui parler de la Lune habitée, dit-elle, que comme d'une folie & d'une vifion. C'en eft peut-être une auffi, répondis-je. Je ne prens parti dans ces chofeslà que comme on en prend dans les Guerres civiles, où l'incertitude de ce qui peut arriver, fait qu'on entretient toûjours des intelligences dans le parti oppofé, & qu'on a des ménagemens avec fes Ennemis même. Pour moi, quoique je croie la Lune habitée, je ne laiffe pas de vivre civilement avec ceux qui ne le croient pas, & je me tiens toûjours en état de me pouvoir ranger à leur opinion avec honneur, fi elle avoit le deffus; mais en attendant qu'ils ayent fur nous quelque avantage confiderable, voici ce qui m'a fait pancher du côté des Habitans de la Lune.

Suppofons qu'il n'y ait jamais eu nul commerce entre Paris & Saint Denys, & qu'un Bourgeois de Paris qui ne fera jamais forti de fa Ville, foit fur les Tours de Notre-Dame, & voye Saint Denys de loin; on lui demandera s'il croit que Saint Denys foit habité comme Pa

ris. Il répondra hardiment que non; car, di-ra-t-il, je vois bien les Habitans de Paris, mais ceux de Saint Denys, je ne les vois point, & on n'en a jamais entendu parler. Il y aura quelqu'un qui lui représentera, qu'à la vérité quand on eft fur les Tours de Notre-Dame, on ne voit pas les Habitans de Saint Denys, mais que l'éloignement en eft caufe; que tout ce qu'on peut voir de Saint Denys reffemble fort à Paris; que Saint Denys a des Clochers, des Maifons, des Murailles, & qu'il pourroit bien encore reffembler à Paris en ce qui eft d'être habité. Tout cela ne gagnera rien fur mon Bourgeois, il s'obftinera toûjours à foûtenir que Saint Denys n'eft point habité, puis qu'il n'y voit perfonne. Notre faint Denys c'eft la Lune, & chacun de nous eft ce Bourgeois de Paris, qui n'eft jamais forti de fa Ville.

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Ah! interrompit la Marquife, vous nous fai-tes tort, nous ne fommes point fi fots que vo--tre Bourgeois, puis qu'il voit que Saint Denys eft tout-à-fait comme Paris, il faut qu'il ait perdu la raison pour ne le pas croire habité; mais la Lune n'eft point du tout faite comme la Terre. Prenez garde, Madame, repris-je, car s'il faut que la Lune reffemble en tout à la Terre, vous voilà dans l'obligation de croire la Lune habitée. J'avoue, répondit-elle, qu'il n'y aura pas moyen de s'en difpenfer, & je vous vois un air de confiance qui me fait déja peur. Les deux mouvemens de la Terre dont je ne me fuffe jamais doutée, me rendent timide fur tout le refte; mais pourtant feroit-il bien poffible que la Terre fût lumineufe comme la Lune? car il faut cela pour leur reffemblance. Helas! Ma

da

dame, repliquai-je, être lumineux n'eft pas fi grand'chote que vous penfez. Il n'y a que le Soleil en qui cela foit une qualité confiderable. Il eft lumineux par lui-même, & en vertu d'une nature particuliére qu'il a; mais les Planètes n'éclairent que parce qu'elles font éclairées de lui. Il envoie fa lumiére à la Lune, elle nous la renvoye, & il faut que la Terre renvoye auffi à la Lune la lumiére du Soleil; il n'y a pas plus loin de la Terre à la Lune, que de la Lune à la Terre.

Mais, dit la Marquife, la Terre eft-elle auffi propre que la Lune à renvoyer la lumiére du Soleil ? je vous vois toûjours pour la Lune, repris-je, un refte d'eftime dont vous ne fçauriez vous défaire. La lumiére eft compofée de petites balles qui bondiffent fur ce qui eft folide, & retournent d'un autre côté, au lieu qu'elles passent au travers de ce qui leur préfente des ouvertures en ligne droite, comme l'air ou leverre. Ainfi ce qui fait que la Lune nous éclaire, c'eft qu'elle eft un corps dur & folide, qui nous renvoye ces petites balles. Or je crois que vous ne contefterez pas à la Terre cette même dureté & cette même folidité. Admirez donc ce que c'eft que d'être pofté avantageusement. Parce que la Lune eft éloignée de nous, nous ne la voyons que comme un Corps lumineux, & nous ignorons que ce foit une groffe maffe femblable à la Terre. Au contraire, parce que la Terre a le malheur que nous la voyons de trop près, elle ne nous paroît qu'une groffe maffe, propre feulement à fournir de la pâture aux Animaux & nous ne nous appercevons pas qu'elle eft lumineufe, faute de nous pou

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