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mon qui a les Griffes fort noires, les étend fur ces Aftres dont il veut fe faifir; & vous voyez pendant ce temps-là les Riviéres couvertes de Têtes d'Indiens qui fe font mis dans l'eau jufqu'au col, parce que c'eft une fituation trèsdevote, felon eux, & très-propre à obtenir du Soleil & de la Lune qu'ils fe défendent bien contre le Demon. En Amerique, on étoit perfuadé que le Soleil & la Lune étoient fâchez quand ils s'éclipfoient, & Dieu fçait ce qu'on ne faifoit pas pour fe raccommoder avec eux. Mais les Grecs qui étoient fi raffinez, n'ontils pas crû long-temps que la Lune étoit enforcelée, & que des Magiciennes la faifoient defcendre du Ciel pour jetter fur les Herbes une certaine écume malfaifante? Et nous, n'eûmesnous pas belle peur il n'y a guéres plus de foixante ans, à une certaine Eclipfe de Soleil qui arriva Úne infinité de Gens ne fe tinrent-ils pas enfermez dans des caves, & les Philofophes qui écrivirent pour nous raffurer, n'écrivirentils pas en vain?

En vérité, reprit-elle, tout cela est trop honteux pour les hommes il devroit y avoir un Arrêt du Genre humain qui défendît qu'on parlât jamais d'Eclipfes, de peur que l'on ne conferve la memoire des fotifes qui ont été faites ou dites fur ce Chapitre-là. Il faudroit donc repliquai-je, que le même Arrêt abolît la memoire de toutes chofes, & défendît qu'on parlât jamais de rien, car je ne fçache rien au monde qui ne foit le monument de quelque fotife des hommes.

Dites-moi, je vous prie, une chofe, dit la Marquife. Ont-ils autant de peur des Eclipfes

dans

dans la Lune que nous en avons ici? Il me paroîtroit tout-à-fait burlefque que les Indiens de ce pays-lâ fe miffent à l'eau comme les notres, que les Americains cruffent notre Terre fâchée contre eux, que les Grecs s'imaginaffent que nous fuffions enforcelez, & que nous allaffions gâter leurs Herbes, & qu'enfin nous leur rendiffions la confternation qu'ils caufent ici bas. Je n'en doute nullement, repondis-je. Je voudrois bien fçavoir pourquoi Meffieurs de la Lune auroient l'efprit plus fort que nous. De quel droit nous feront-ils peur fans que nous leur en faffions? Je croirois même, ajoûtai-je en riant, que comme un nombre prodigieux d'hommes ont été affez foux, & le font encore affez pour adorer la Lune, il y a des Gens dans la Lune qui adorent auffi la Terre, & que nous fommes à genoux les uns devant les autres. Après cela, dit-elle, nous pouvons bien prétendre à envoyer des influences à la Lune, & à donner des crifes à fes Malades; mais comme il ne faut qu'un peu d'efprit & d'habileté dans les Gens de ce Pays-là pour détruire tous ces honneurs dont nous nous flattons, j'avoue que je crains toûjours que nous n'aïons quelque defavantage.

Ne craignez rien, réponds je, il n'y a pas d'apparence que nous foyons la feule fotte effpèce de l'Univers. L'ignorance eft quelque chofe de bien propre à être généralement répandu, & quoique je ne faffe que deviner celle des Gens de la Lune, je n'en doute non plus que des Nouvelles les plus fûres qui nous viennent de là.

Et quelles font ces Nouvelles fûres, interrompit-elle ? Ce font celles, répondis-je, qui

nous

nous font rapportées par ces Sçavans qui y voiagent tous les jours avec des Lunettes d'appro→ che. Ils vous diront qu'ils y ont découvert des Terres, des Mers, des Lacs, de très-hautes Montagnes, des Abîmes très-profonds.

Vous me furprenez, reprit-elle. Je conçois bien qu'on peut découvrir fur la Lune des Montagnes & des Abîmes, cela fe reconnoît apparemment à des inégalitez remarquables; mais comment diftinguer des Terres & des Mers? On les diftingue, répondis-je, parce que les Eaux qui laiffent paffer au travers d'elles-mêmes une partie de la lumiére, & qui en renvoyent moins, paroiffent de loin comme des taches obfcures, & que les Terres qui par leur folidité la renvoyent toute, font des endroits plus brillants. L'illuftre Monfieur

Caffi

ni, l'homme du monde à qui le Ciel eft le mieux connu, a découvert fur la Lune quelque chofe qui fe fepare en deux, fe réunit enfuite, & fe va perdre dans une espèce de Puits. Nous pouvons nous flatter avec bien de l'apparence que c'eft une Riviére. Enfin on connoît affez toutes ces différentes parties pour leur avoir donné des noms, & ce font prefque tous noms de Sçavans. Un endroit s'appelle Copernic, un autre Archimède, un autre Galilée; il y a un Promontoire des Songes, une Mer des Pluyes une Mer de Nectar, une Mer des Crifes; enfin la Description de la Lune eft fi exacte, qu'un Sçavant qui s'y trouveroit prefentement ne s'y égareroit non plus que je ferois dans Paris.

Mais, reprit-elle, je ferois bien-aife de fçavoir encore plus en détail comment eft fait le

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dedans du Pays. Il n'eft pas poffible, repliquai-je, que Meffieurs de l'Obfervatoire vous en inftruifent, il faut le demander à Astolfe, qui fut conduit dans la Lune par faint Jean. Je vous parle d'une des plus agréables folies de l'Ariofte, & je fuis fûr que vous ferez bien-aife de la fçavoir. J'avoue qu'il eût mieux fait de n'y pas mêler faint Jean, dont le nom eft fi digne de refpect; mais enfin c'est une licence Poëtique, qui peut feulement paffer pour un peu trop gaye. Cependant tout le Poëme eft dédié à un Cardinal, & un grand Pape l'a honoré d'une approbation éclatante que l'on voit au devant de quelques Editions. Voici de quoi il s'agit. Roland neveu de Charlemagne étoit devenu fou, parce que la belle Angelique luy avoit préféré Medor. Un jour Aftolfe, brave Paladin, fe trouva dans le Paradis Terreftre qui étoit fur la cime d'une Montagne très-haute, où fon Hippogrife l'avoit porté. Là il rencontra faint Jean, qui luy dît, que pour guérir la folie de Roland, il étoit néceffaire qu'ils fiffent ensemble le Voyage de la Lune. Aftolfe qui ne demandoit qu'à voir du Pays, ne fe fait point prier; & auffitôt voilà un Chariot de feu qui enleve par les airs l'Apôtre & le Paladin. Comme Aftolfe n'étoit pas grand Philofophe, il fut fort furpris de voir la Lune beaucoup plus grande qu'elle ne luy avoit paru de deffus la Terre. Il fut bien plus furpris encore de voir d'autres Fleuves, d'autres Lacs, d'autres Montagnes, d'autres Villes, d'autres Forêts, & ce qui m'auroit bien furpris auffi, des Nymphes qui chaffoient dans ces Forêts. Mais ce qu'il vit de plus rare dans la Lune, c'étoit un Val

lon,

lon, où fe trouvoit tout ce qui fe perdoit fur la Terre de quelque efpèce qu'il fût, & les Couronnes & les Richeffes & la Rénommée, & une infinité d'Efperances, & le temps qu'on donne au Jeu, & les aumônes qu'on fait faire après fa mort, & les Vers qu'on préfente aux Princes, & les Soupirs des Amans.

Pour les Soupirs des Amans, interrompit la Marquife, je ne fçai pas fi du temps de l'Ariofte ils étoient perdus; mais en ce temps-cy, je n'en connois point qui aillent dans la Lune. N'y eût-il que vous, Madame, repris-je, vous y en avez fait aller un affez bon nombre. Enfin la Lune eft fi exacte à recueillir ce qui fe perd icy-bas, que tout y eft, mais l'Ariofte ne vous dit cela qu'à l'oreille, tout y eft jufqu'à la Donation de Conftantin. C'eft que les Papes ont pretendu être Maîtres de Rome & de l'Italie, en vertu d'une Donation que l'Empereur Conftantin leur en avoit faite; & la vérité eft qu'on ne fçauroit dire ce qu'elle eft devenue. Mais devinez de quelle forte de chofe on ne trouve point dans la Lune? de la Folie. Tout ce qu'il y en a jamais eu fur la Terre, s'y eft. très-bien confervé. En récompenfe il n'eft pas croyable combien il y a dans la Lune d'Efprits perdus. Ce font autant de Phioles pleines d'une liqueur fort fubtile, & qui s'évapore aifément fi elle n'eft enfermée; & fur chacune de ces Phioles eft écrit le nom de celuy à qui l'Er prit appartient. Je croy que l'Ariofte les met toutes en un tas, mais j'aime mieux me figurer qu'elles font rangées bien proprement dans de longues Galeries. Aftolfe fut fort étonné de voir que les Phioles de beaucoup de Gens qu'il avoit

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