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fans fe teindre un peu de fa couleur, & perdre autant de celle qui leur eft naturelle. Mais quand même l'Air ne feroit pas coloré de lui-même, il eft certain qu'au travers d'un gros brouillard, la lumiére d'un flambeau qu'on voit un peu de loin, paroît toute rougeâtre, quoique ce ne foit pas fa vraie couleur; & notre Air n'eft non plus qu'un gros brouillard qui nous doit altérer la vraye couleur, & du Ciel, & du Soleil, & des Etoiles. Il n'appartiendroit qu'à la matiére celefte de nous apporter la lumiére & les couleurs dans toute leur pureté, & telles qu'elles font. Ainfi, puifque l'Air de la Lune eft d'une autre nature que notre Air, ou il eft teint en lui-même d'une autre couleur, ou du moins c'est un autre brouillard qui caufe une autre altération aux couleurs des Corps Celeftes. Enfin, à l'égard des Gens de la Lune, cette Lunette au travers de laquelle on voit tout, eft changée.

Cela me fait préferer notre fejour à celuy de la Lune, dit la Marquife, je ne fçaurois croire que l'affortiment des couleurs celeftes y foit auffi beau qu'il l'eft icy. Mettons, fi vous voulez, un Ciel rouge & des Etoiles vertes, l'effet n'eft pas fi agréable que des Etoiles couleur d'or fur du bleu. On diroit à vous entendre, repris-je, que vous affortiriez un habit ou un meuble; mais croyez-moy, la Nature a bien de l'efprit; laiffez-luy le foin d'inventer un affortiment de couleurs pour la Lune, & je vous garantis qu'il fera bien entendu. Elle n'aura pas manqué de varier le Spectacle de l'Univers à chaque point de vue different, & de le varier d'une maniére toûjours agréable.

Je

Je reconnois fon adreffe, interrompit la Marquife, elle s'eft épargné la peine de changer les objets pour chaque point de vûë, elle n'a changé que les Lunettes, & elle a l'honneur de cette grande diverfité, fans en avoir fait la dépense. Avec un Air bleu, elle nous donne un Ciel bleu, & peut être avec un Air rouge, elle donne un Ciel rouge aux Habitans de la Lune, c'eft pourtant toûjours le même Ciel. Il me paroît qu'elle nous a mis dans l'imagination de certaines Lunettes au travers defquelles on voit tout, & qui changent fort les objets à l'égard de chaque homme. Alexandre voyoit la Terre comme une belle place bien propre à y établir un grand Empire. Celadon ne la voyoit que comme le fejour d'Aftrée. Un Philofophe la voit comme une groffe Planète qui va par les Cieux, toute couverte de Fous. Je necroy pas que le Spectacle change plus de la Terre à la Lune, qu'il fait icy d'imagination à imagination..

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Le changement de Spectacle eft plus furprenant dans nos imaginations, repliquay-je, car ce ne font que les mêmes objets qu'on voit fi differemment; du moins dans la Lune on peut voir d'autres objets, ou ne pas voir quelquesuns de ceux qu'on voit ici. Peut-être ne connoiffent-ils point en ce Pays-là l'Aurore ni les Crepufcules. L'Air qui nous environne, & qui est élevé au deffus de nous, reçoit des rayons qui ne pourroient pas tomber fur la Terre; & parce qu'il eft fort groffier, il en arrête une partie, & nous les renvoye, quoi qu'ils ne nous fuffent pas naturellement deftinez. Ainfi l'Aurore & les Crepufcules font une grace que

la.

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la Nature nous fait; c'eft une lumiére que réguliérement nous ne devrions point avoir, & qu'elle nous donne par deffus ce qui nous est dû. Mais dans la Lune, où apparemment l'Air eft plus pur, il pourroit bien n'être pas fi propre à renvoyer en embas les rayons qu'il reçoit avant que le Soleil fe leve, où après qu'il eft couché. Les pauvres Habitans n'ont donc point cette lumiére de faveur, qui en fe fortifiant peu à peu, les prépareroit agréablement à l'arrivée du Soleil, ou qui en s'affoibliffant comme de nuance en nuance, les accoûtumeroit à fa perte. Ils font dans des tenèbres profondes, & tout d'un coup il femble qu'on tire un rideau, voilà leurs yeux frappez de tout l'éclat qui eft dans le Soleil; ils font dans une lumiére vive & éclatante, & tout d'un coup les voilà tombez dans des tenèbres profondes. Le jour & la nuit ne font point liez par un milieu qui tienne de l'un & de l'autre. L'Arc-enCiel eft encore une chofe qui manque aux Gens de la Lune; car fi l'Aurore eft un effet, de la groffiéreté de l'Air & des Vapeurs, l'Arc-en-Ciel fe forme dans les nuages d'où tombent les pluyes, & nous devons les plus belles chofes du monde à celles qui le font le moins. Puis qu'il n'y a autour de la Lune, ni vapeurs affez grofliéres, ni nuages pluvieux, adieu l'Arc-en-Ciel avec l'Aurore, & à quoy reffembleront les Belles de ce Pays-là? Quelle fource de comparaisons perduë?

Je n'aurois pas grand regret à ces comparaifons-là; dit la Marquife, & je trouve qu'on eft affez bien recompenfé dans la Lune, de n'avoir ni Aurore ni Arc-en-Ciel; car on ne doit avoir

pa

par la même raifon ni Foudres ni Tonnerres, puifque ce font auffi des chofes qui fe forment dans les nuages. On a de beaux jours toûjours fereins, pendant lefquels on ne perd point le Soleil de vûë. On n'a point de nuits où toutes les Etoiles ne fe montrent; on ne connoît ni les orages, ni les tempêtes, ni tout ce qui paroît être un effet de la colére du Ciel; trouvez-vous qu'on foit tant à plaindre? Vous me faites voir la Lune comme un fejour enchanté, répondis-je; cependant je ne fçay s'il eft fi delicieux d'avoir toûjours fur la tête, pendant des jours qui en valent quinze des notres, un Soleil ardent dont aucun nuage ne modere la chaleur. Peut-être auffi eft-ce à caufe de cela que la Nature a creufé dans la Lune des espèces de Puits, qui font affez grands pour être apperçus par nos Lunettes; car ce ne font point des Vallées qui foient entre des Montagnes, ce font des creux que l'on voit au milieu de certains lieux plats & en très-grand nombre. Que fçaiton files Habitans de la Lune, incommodez par l'ardeur perpetuelle du Soleil, ne fe refugient point dans ces grands Puits? Ils n'habitent peut être point ailleurs, c'eft-là qu'ils bâtiffent leurs Villes. Nous voyons icy que la Rome foûteraine eft plus grande que la Rome qui eft fur Terre. Il ne faudroit qu'ôter celle-cy, le. refte feroit une Ville à la maniére de la Lune. Tout un peuple eft dans un Puits, & d'un Puits à l'autre il y a des chemins foûterrains pour la communication des peuples. Vous vous moquez de cette vifion, j'y confens de tout mon cœur ; cependant, vous parler très-ferieufement, vous pourriés vous tromper plutôt que

moy.

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moy. Vous croyez que les Gens de la Lune doivent habiter fur la furface de leur Planète, parce que nous habitons sur la furface de la notre: c'est tout le contraire, puisque nous habitons fur la furface de notre Planète, ils pourroient bien n'habiter pas fur la furface de la leur. D'icy là il faut que toutes chofes foient bien differentes.

Il n'importe, dit la Marquife, je ne puis me refoudre à laiffer vivre les Habitans de la Lune dans une obfcurité perpetuelle. Vous y auriez encore plus de peine, repris-je, fi vous fçaviez qu'un grand Philofophe de l'Antiquité a fait de la Lune le fejour des Ames qui ont mérité icy d'être bien-heureufes. Toute leur felicité confifte en ce qu'elles y entendent l'Harmonie que les Corps Celeftes font par leurs mouvemens; mais comme il prétend que quand la Lune tombe dans l'ombre de la Terre, elles ne peuvent plus entendre cette Harmonie, alors, dit-il, ces Ames crient comme des défefperées, & la Lune fe hâte le plus qu'elle peut de les tirer d'un endroit fi fâcheux. Nous devrions donc, repliqua-t-elle, voir arriver icy les Bien-heureux de la Lune; car apparemment on nous les envoye auffi; & dans ces deux Planètes on croit avoir affez pourvû à la felicité des Ames, de les avoir tranfportées dans un autre Monde. Serieufement, repris-je, ce ne feroit pas un plaifir mediocre de voir plufieurs Mondes differens. Ce voyage me rejouit quelquefois beaucoup à ne le faire qu'en imagination, & que feroit-ce, fi on le faifoit en effet? cela vaudroit bien mieux que d'aller d'icy au Japon, c'est-àdire de ramper avec beaucoup de peine d'un

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