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point de la Terre fur un autre, pour ne voir que des Hommes. Et bien, dit-elle, faifons le Voyage des Planètes comme nous pourrons, qui nous en empêche? Allons nous placer dans tous ces differens points de vûë, & de là confiderons l'Univers. N'avons-nous plus rien à voir dans la Lune? Ce monde-là n'est pas encore épuifé, répondis-je. Vous vous fouvenez bien que les deux mouvemens, par lefquels la Lune tourne fur elle-même & autour de nous, étant égaux, l'un rend toûjours à nos yeux ce que l'autre leur devroit dérober, & qu'ainfielle nous préfente toûjours la même face. Il n'y a donc que cette moitié-là qui nous voye; & comme la Lune doit être cenfée ne tourner point fur fon centre à notre égard, cette moitié qui nous voit, nous voit toûjours, & toûjours attachez au même endroit du Ciel. Quand elle eft dans la nuit, & ces nuits-là valent quinze de nos jours, elle voit d'abord un petit coin de la Terre éclairé, enfuite un plus grand, & prefque d'heure en heure la lumiére luy paroît fe répandre fur la face de la Terre jufqu'à ce qu'enfin elle la couvre entiére; au lieu que ces mêmes changemens ne nous paroiffent arriver fur la Lune que d'une nuit à l'autre, parce que nous la perdons long-tems de vûë. Je voudrois bien pouvoir deviner les mauvais raifonnemens que font les Philofophes de ce Mondelà, fur ce que notre Terre leur paroît immobile, lorfque tous les autres Corps Celeftes fe levent & fe couchent fur leurs têtes en quinze jours. Ils attribuënt apparemment cette immobilité à fa groffeur; car elle eft foixante fois plus groffe que la Lune, & quand les Poëtes

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veulent louer les Princes oififs, je ne doute pas qu'ils ne fe fervent de l'exemple de ce repos majefteux. Cependant ce n'eft pas un repos parfait. On voit fort fenfiblement de dedans la Lune notre Terre tourner fur fon centre. Imaginez-vous notre Europe, notre Afie, notre Amerique, qui fe préfentent à eux l'une après l'autre, en petit, & differemment figurées, à peu près comme nous les voyons fur les Cartes. Que ce fpectacle doit paroître nouveau aux Voyageurs qui paffent de la moitié de la Lune qui ne nous voit jamais, à celle qui nous voit toûjours! Ah! que l'on s'eft bien gardé de croire les Relations des premiers qui en ont parlé, lors qu'ils ont été de retour en ce grand Pays auquel nous fommes inconnus! Il me vient à l'efprit, dit la Marquife, que de ce Pays-là dans l'autre, il fe fait des efpèces de Pelerinages pour venir nous confiderer, & qu'il y a des honneurs & des priviléges pour ceux qui ont vû une fois en leur vie la groffe Planète. Du moins, repris-je, ceux qui la voient ont le privilége d'être mieux éclairez pendant leurs nuits, l'habitation de l'autre moitié de la Lune doit être beaucoup moins commode à cet égard-là. Mais, Madame, continuons le voyage que nous avions entrepris de faire de Planète en Planète, nous avons affez exactement vifité la Lune. Au fortir de la Lune, en tirant vers le Soleil, on trouve Venus. Sur Venus je reprens le S. Denys. Venus tourne fur elle-même, & autour du Soleil comme la Lune; on découvre avec les Lunettes d'approche, que Venus auffi-bien que la Lune, eft tantôt en Croiffant, tantôt en Décours, tantôt Pleine felon les diverfes fitua

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tions, où elle eft à l'égard de la Terre. La Lune, felon toutes les apparences, eft habitée, pourquoi Venus ne le fera-t-elle pas auffi? Mais, interrompit la Marquife, en difant toûjours, pourquoy non, vous m'allez mettre des Habitans dans toutes les Planètes? N'en doutez pas, repliquai-je, ce pourquoy non a une vertu qui peuplera tout. Nous voions que toutes les Planètes font de la même nature, toutes des Corps opaques qui ne reçoivent de la luiniére que du Soleil, qui fe la renvoyent les uns aux autres & qui n'ont que les mêmes mouvemens, jufques-là tout eft égal. Cependant il faudroit concevoir que ces grands Corps auroient été faits pour n'être point habitez, que ce feroit-là leur condition naturelle, & qu'il y auroit une exception juftement en faveur de la Terre toute feule. Qui voudra le croire, le croie; pour moy, je ne m'y puis pas refoudre. Je vous trouve, dit-elle, bien affermy dans votre opinion depuis quelques inftans. Je viens de voir le moment que la Lune feroit deferte, & que vous ne vous en fouciyez pas beaucoup, & prefentement fi on ofoit vous dire que toutes les Planètes ne font pas auffi habitées que la Terre, je vois bien que vous vous mettriez en colére. Il est vray, répondis-je, que dans le moment où vous venez de me furprendre, fi vous m'euf-. fiez contredit fur les Habitans des Planètes > non feulement je vous les aurois foûtenus, mais je crois que je vous aurois dit comment ils étoient faits. Il y a des momens pour croire, &je ne les ay jamais fi bien crûs que dans celui-là; prefentement même que je fuis un peu plus de fens froid, je ne laiffe pas de trouver qu'il feroit bien

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ge que la Terre fût auffi habitée qu'elle l'eft, & que les autres Planètes ne le fuffent point du tout; car ne croyez pas que nous voyions tout ce qui habite la Terre; il y a autant d'espèces d'Animaux, invifibles que de vifibles. Nous voyons depuis l'Elephant jufqu'au Ciron, là finit notre vûë; mais au Ciron commence une multitude infinie d'animaux, dont il eft l'Elephant, & que nos yeux ne fçauroient appercevoir fans fecours. On a vû avec des Lunettes de très-petites gouttes d'Eau de Pluye, ou de Vinaigre, ou d'autres Liqueurs, remplies de petits Poiffons ou de petits Serpens que l'on n'auroit jamais foupçonnez d'y habiter, & quelques. Philofophes croient que le goût qu'elles font fentir, font les piqueures que ces petits Animaux font à la langue. Mêlez de certaines chofes dans quelques-unes de ces Liqueurs, ou expofez-les au Soleil, ou laiffez-les fe corrompre, voilà auffi-tôt de nouuelles espèces de petits Animaux.

Beaucoup de Corps qui paroiffent folides ne font prefque que des amas de ces Animaux imperceptibles, qui y trouvent pour leurs mouve mens autant de liberté qu'il leur en faut. Une feuille d'Arbre eft un petit Monde habité par des Vermiffeaux invifibles, à quf elle paroît d'une étendue immenfe, qui y connoiffent des Montagnes & des Abîmes, & qui d'un côté de la feüille à l'autre n'ont pas plus de communication avec les autres Vermiffeaux qui y vivent, que nous avec nos Antipodes. A plus forte raifon, ce me femble, une groffe Planète fera-t-elle un Monde habité. On a trouvé jufques dans des efpèces de pierres très-dures de petits Vers fans

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bre, qui y étoient logez de toutes parts dans des vuides infenfibles, & qui ne se nourriffoient que de la fubftance de ces pierres qu'ils rongeoient. Figurez-vous combien il y avoit de ces petits Vers, & pendant combien d'années ils fubfliftoient de la groffeur d'un grain de fable; & fur cet exemple, quand la Lune ne feroit qu'un amas de rochers, je la ferois plutôt ronger par fes Habitans, que de n'y en pas mettre. Enfin tout eft vivant, tout eft animé ; mettez toutes ces espèces d'Animaux nouvellement découvertes, & même toutes celles que l'on conçoit aisément qui font encore à découvrir, avec celles qu'on l'on a toujours vûës, vous trouverez affurément que la Terre eft bien peuplée, & que la Nature y a fi liberalement répandu les Animaux, qu'elle ne s'eft pas mife en peine que l'on en vît feulement la moitié. Croirez-vous qu'après qu'elle a pouffé ici sa fécondité jufqu'à l'excès, elle a été pour toutes les Planètes d'une fterilité à n'y rien produire de vivant?

Ma raison, eft affez bien convaincuë, dit la Marquife, mais mon imagination eft accablée de la multitude infinie des Habitans de toutes ces Planètes, & embaraffée de la diverfité qu'il faut établir entre eux; car je vois bien que la Nature, felon qu'elle eft ennemie des repetitions, les aura tous faits differens; mais comment fe repréfenter cela? Ce n'eft pas à l'magination à prétendre fe le représenter, répondis-je, elle ne peut aller plus loin que les yeux. On peut feulement appercevoir d'une certaine vûe univerfelle, la diverfité que la Nature doit avoir mife entre tous ces Mondes. Tous les vifages

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