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fur luy, & le dépoüilla de tous fes Eftats.

Tu t'eftas vanté dans un autre Oracle rendu à Créfus, dit Oenomaüs à Apollon, que tu fçavois le nombre des grains de fable, tu t'estois bien fait valoir fur ce que tu voyois de Delphes cette Tortue que Créfus faifoit cuire en Lidie, dans le mefme moment. Voilà de belles connoiffances pour en être fi fier! Quand on te vient confulter fur le fuccés qu'aura la Guerre de Créfus & de Cirus, tu demeures court. Car fi tu lis dans l'avenir ce qui en arrivera, pourquoy te fers tu de façons de parler qu'on ne peut entendre? Ne fçais-tu point qu'on ne les entendra pas? Si tu le fçais, tu te plais donc à te jouer de nous; fi tu ne le Isais point, apprens de nous qu'il faut parler plus clairement, qu'on ne t'entend point. te te diray mefme que

tu as voulu te fervir d'équivoques, le mot Grec par lequel tu exprimes que Créfus renverfera un grand Empire, n'eft pas bien choiji, & qu'il ne peut fignifier que la vic toire de Créfus fur Cirus. S'il faut neceffairement que les chofes arrivent, pourquoy nous amufer avec tes ambiguitex? Que fais-tu à Delphes, malheureux; occupé comme tu es, à nous chanter des Propheties inutiles? Pourquoy tous ces Sacrifices que nous te faifons? Quelle fureur nous poffede?

Mais Cenomaüs eft encore de plus mauvaife humeur fur cet Oracle que rendit Apollon aux Atheniens, lors que Xerxes fondit fur la Grece avec toutes les forces de l'Afie. La Pithie leur donna pour réponse, que Minerve, protectrice d'Athenes, tâchoit en vain par toutes fortes de moyens d'appaifer la colere de Jupiter: que cependant Jupiter en faveur de la Fille, vouloit bien fouffrir que les Atheniens fe fauvaffent dans des murailles de bois, & que Salamine verroit la perte de beaucoup d'Enfans chers à leurs Meres, foit quand Cerés feroit difperfée, foit quand elle feroit ramaffée.

Sur cela Oenomaüs perd entierement le refpect pour le Dieu de Delphes. Ce Combat du Pere de la Fille dit-il, fied bien à des Dieux! il est beau qu'il y ait dans le Ciel des inclinations & des interests fi contraires! Ju

piter eft courroncé contre Athenes, il a fait venir contre elle toutes les forces de l'Afie; mais s'il n'a pas pu la ruiner autrement, s'il n'avoit plus de foudres, s'il a efté reduit à emprunter des forces étrangeres, comment-a-t-il eu le pouvoir de faire venir contre cette Ville toutes les forces de Afie? Aprés cela cependant il permet qu'on fe fauve dans des murailles de bois; fur qui donc tombera fa colere? Sur des pierres? Beau Devin, tu ne fçais point a qui feront ces Enfans dont Salamine verra la perte, s'ils feront Grecs ou Perfes; il faut bien qu'ils foient de l'une ou de l'autre Armée; mais ne fçais tu point du moins qu'on verra que tu ne be fçais point? Tu caches le temps de la Bataille fous ces belles expreffions poetiques, foit quand Cerés fera difperfée, foit quand elle fera ramaffée; tu veux nous éblouir par ce langage pompeux. Mais ne fçait on pas bien qu'il faut qu'une Bataille navale fe donne au temps des Semailles, ou de la Moiffon? Apparemment ce ne fera pas en hiver. Quey qu'il arrive, tu te tireras d'affaire par le moyen de ce Zupiter que Minerve tâche d'appaifer. Si les Grecs perdent la Bataille, Jupiter a efté inexorable; s'ils lagagnent, Jupiter s'eft enfin laiffé fléchir. Tudis, Apollon, qu'on fuye dans des murs de bois, tu confeilles, tu ne devines pas. Moy qui ne fçay point deviner, j'en cuffe bien dit autant, j'eusse bien jugé que l'effort de la Geurre feroit tombé fur Athenes, que puis que les Atheniens avoient des Vaif feaux, le meilleur pour eux eftoit d'abandonner leur Ville, de fe mettre fur la Mer.

Telle eftoit la veneration que de grandes Sectes de Philofophes avoient pour les Oracles, & pour les Dieux mêmes qu'on en croyoit les auteurs. Il eft affez plaifant que toute la Religion Payenne ne fuft qu'un Problême de Philofophie. Les Dieux prennent-ils foin des affaires des hommes? N'en prennent ils pas foin Cela eft effentiel, il s'agit de fçavoir fi on les adorera, ou fi on les laiffera là fans aucun culte, tous les Peuples ont déja pris le party d'adorer, on ne voit de tous coftez que Temples, que Sacrifices; cependant une graude Secte de Philofophes foûtient publiquement que ces

Sacrifices, ces Temples, ces Adorations font antant de chofes inutiles, & que les Dieux loin de s'y plaire, n'en ont aucune connoiffance. Il n'y a point de Grec qui n'aille confulter les Oracles fur les affaires, mais cela n'empefche pas que dans trois grandes Ecoles de Philofophie, on ne traite hautement les Oracles d'impostures.

Qu'il me foit permis de pouffer un peu plus loin cette reflexion, elle pourra fervir à faire entendre ce que c'eftoit que la Religion chez les Payens. Lcs Grecs en general avoient extremement de l'efprit; mais ils eftoient fort legers, curieux, inquiets, incapables de fe moderer fur rien; & pour dire tout ce que j'en penfe, ils avoient tant d'efprit, que leur raifon en fouffroit un peu. Les Romains eftoient d'un

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autre caractere; Gens folides, ferieux, appliquez qui fçavoient fuivre un principe, & prévoir de loin une conféquence. Je ne ferois pas furpris que les Grecs, fans fonger aux fuites, euffent traité étourdiment le pour & le contre de toutes chofes, qu'ils euffent fair des Sacrifices, en difputant fi les Sacrifices pouvoient toucher les Dieux, & qu'ils euffent confulté les Oracles, faus eftre affurez que les Oracles ne fuffent pas de pures illufions. Apparemment les Philofophes s'intereffoient affez peu au gouvernement pour ne fe pas foucier de choquer la Religion dans leurs difputes, & peut-eftre le Peuple n'avoit pas affez de foy aux Philofophes pour abandonner la Religion, ny pour y rien changer fur leur parole; & enfin la paffion dominante des Grecs eftoit de difcourir fur toutes les matieres à quelque prix que ce puft eftre. Mais il eft fans doute plus étonnant que les Romains, & les plus habiles d'entre les Romains, & ceux qui fçavoient le mieux combien la Religion tiroit à confequence pour la politique, ayent ofé publier des Ouvrages, où non feulement ils mettoient leur Religion en queftion, mais mefme la tournoient entierement en ridicule. Je parle de Ciceron, qui dans les Livres de la Divination, n'a rien épargné de ce qui eftoit le plus Saint à Rome. Aprés

Aprés qu'il a fait voir aflez vivement à ceux contre qui il difpute, quelle extrême folie c'eftoit que de confulter des entrailles d'Animaux, il les réduit à répondre, que les Dieux qui font tout-puiflans, changent ces entrailles dans le moment du Sacrifice, afin de marquer par elles leur volonté, & l'avenir. Cette réponfe eftoit de Chrifippe, d'Antipater, & de Poflidonius, tous grands Philofophes, & Chefs du Party des Stoïciens. Ah! que dites-vous, reprend Ciceron, il n'y a point de Vieilles fi credules que vous. Croyez vous que le mefme Veau ait le foye bien difpofé, s'il eft choif pour le Sacrifice par une certaine perfonne, mal difpofé, s'il eft choifi par une autre? Cette difpofition de foye peut-elle changer en un inftant, pour s'accommoder à la fortune de ceux qui facrifient? Ne voyez-vous pas que c'eft le hazard qui fait le choix des Victimes? L'experience mefme ne vous l'apprend-elle pas? Car fouvent les entrailles dune Victime font tout-à-fait funeftes, celles de la Victime qu'on immole immediatement aprés, font les plus heureufes du monde. Que deviennent les menaces de ces premieres entrailles? ou comment les Dieux fe font-ils appaifex fi promptement? Mais vous dites qu'un jour il ne fe trouva point de cœur à un Bœuf que Cefar facrifioit, que comme cet animal ne pouvoit pas pourtant vivre fans en avoir un, il faut neceffairement qu'il fe foit rétiré dans le moment du Sacrifice. Eft-il poffible que vous ayez affez d'ef prit pour voir qu'un Bœuf n'a pu vivre fans cœur & › que vous n'en ayez pas affez pour voir que ce cœur n'a pû en un moment s'envoler je ne fçay out? Et un peu aprés il ajoûte; Croyez-moy, vous ruinez toute la Phifique pour défendre Art des Arufpices. Car ce ne fera pas le cours ordinaire de la Nature qui fera naître & mourir toutes chofes, il y aura quelques corps qui viendront de rien, retourneront dans le neant. Quel Phificien a jamais foutenu cette opinion? Il faut pourtant que les Arufpices la foù

tiennent.

Je ne donne ce paffage de Ciceron que comme un exemple de l'extrême liberté avec laquelle il infultoit à

la

la Religion qu'il fuivoit luy-mefme: En mille autres endroits il ne fait pas plus de grace aux Poulets facrez, au vol des Oyfeaux, & à tous les miracles, dont les Annales des Pontifes eftoient remplies.

Pourquoy ne luy faifoit-on pas fon Procés fur fon impicté? Pourquoy tout le Peuple ne le regardoit-il pas avec horreur Pourquoy tous les Colleges des Pref tres ne s'élevoient-ils pas contre luy il y a lieu de croire que chez les Payens la Religion n'eftoit qu'une pratique, dont la fpeculation eftoit indifferente. Faites comme les autres, & croyez ce qu'il vous plaira. Ce principe eft fort extravagant; mais le Peuple qui n'em reconnoifloit pas l'impertinence, s'en contentoit, & les gens d'efprit s'y foumettoient aifément, parce qu'il me les génoit guere.

cœur.

Auffi voit-on que toute la Religion Payenne ne demandoit que des ceremonies, & nuls fentimens du Les Dieux font irritez, tous leurs foudres font prefts à tomber, comment les appaifera-t-on ? Faut-il le repentir des crimes qu'on a commis? Faut-il ren trer dans les voyes de la juftice naturelle qui devroit eftre entre tous les hommes? Point du tout. Il faut feulement prendre un Veau de telle couleur, né en tel temps, l'égorger avec un tel couteau, & cela defarmera tous les Dieux. Encore vous eft-il permis de vous moquer en vous-mefmes du Sacrifice, fi vous voulez, il n'en ira pas plus mal.

pas

Apparemment il en eftoit de mefme des Oracles, y croyoit qui vouloit, mais on ne laiffoit de les confulter. La coûtume a fur les hommes une force qui n'a nullement befoin d'eftre appuyée de la raison.

CHA

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