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toute la queftion en noftre faveur. Il s'agit là d'ar des Miracles du Paganifme, qui eftoit crû le plus univerfellemeut, de ces Victimes que les Dieux prenoient la peine de venir manger eux-mefmes. L'Ecriture attribue-t-elle ce prodige aux Demons? Point du tout, mais à des Preftres impofteurs, & c'est-là la feule fois où l'Ecriture s'étend un peu fur un prodige du Paganifme, & en ne nous avertiffant point que tous les autres n'eftoient pas de la mefme nature, elle nous donne à entendre fort clairement qu'ils en eftoient. Combien aprés tout, devoit-il eftre plus aifé de perfuader aux peuples que les Dieux defcendoient dans des Statuës pour leur parler, & leur donner des inftructions utiles, que de leur perfuader qu'ils venoient manger des membres de Chévres & de Moutons? Et fi les Preftres mangeoient bien en la place des Dieux, à plus forte raifon pouvoient-ils parler auffi-en leur place.

Les voûtes des Sanctuaires augmentoient la voix, & faifoient un retentiffement qui imprimoit de la terreur. Auffi voyez-vous dans tous les Poëtes, que la Pithic pouffoit une voix plus qu'humaine; peut eftre mefme les Trompettes qui multiplient le fon, n'eftoient-elles pas alors tout à-fait inconnuës; peut-eftre le Chevalier Morland n'a-t-il fait que renouveller un fecret que les Preftres Payens avoient feeu avant luy, & dont il avoient mieux aimé tirer du profit en ne le publiant pas, que de l'honneur en le publiant. Du moins le Pere Kirker affeure qu'Alexandre avoit une de ces Trompettes, avec laquelle il fe faifoit entendre de toute fon Armée en mesme temps.

Je ne veux pas oublier une bagatelle, qui peut fervir à marquer l'extrême application que les Preftres avoint à fourber. Du Sanctuaire, ou du fond des Temples, il fortoit quelquefois une vapeur trés-agréable, qui rempliffoit tout le lieu où eftorent les Confultans. C'eftoit l'arrivée du Dieu qui parfumoit tout. Jugez fi des gens qui poufloient jufqu'à ces minuties prefque inuriles

Plut. Dial. des Orack.

inutiles l'exactitude de leurs impoftures, pouvoient rien negliger d'effentiel.

CHAPITRE XIII.

Diftinctions de jours, & autres Misteres des Oracles.

L

Es Preftres n'oublioient aucune forte de précaution. Ils marquoient à leur gré de certains jours où il n'eftoit point permis de confulter l'Oracle. Cela avoit un air mifterieux, ce qui eft déja beaucoup en pareilles matieres; mais la principale utilité qu'ils en retiroient, c'eft qu'ils pouvoient vous renvoyer fur ce prétexte, s'ils avoient des raifons pour ne pas vouloir vous répondre, ou que pendant ce temps de filence ils prenoient leurs mefures; & faifoient leurs preparatifs.

A l'Occafion de ces prétendus jours malheureux, il fut rendu à Alexandre un des plus jolis Oracles qui ait jamais efté. I eftoit allé à Delphes pour confulter le Dieu, & la Preftrefle qui prétendoit qu'il n'eftoit point alors permis de l'interroger, ne vouloit point entrer dans le Temple. Alexandre qui eftoit brufque, la prit par le bras pour l'y mener de force, & elle s'écria, Ah! mon fils, on ne peut te refifter. Je n'en veux. pas davantage, dit Alexandre, cet Oracle me fuffit.

Les Preftres avoient encore un feeret pour gagner du temps, quand il leur plaifoit. Avantque de confulter l'Oracle, il faloit facrifier; & fi les entrailles des Victimes n'eftoient pas heureuses, c'eft que le Dieu n'eftoit pas encore en humeur de répondre. Et qui ju geoit des entrailles des Victimes? Les Preftres: le plus fouvent mefme, ainfi qu'il paroift par beaucoup d'exemples ils eftoient feuls à les examiner, & tel qu'on obligeoit à recommencer le Sacrifice pourtant immolé un animal, dont le cœur & le foye cftoient les plus beaux du monde.

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avoit

Ce

Ce qu'on appelloit les Mifteres & les Ceremonies fecretes d'un Dieu, eftoit fans doute un des meilleurs artifices que les Preftres euffent imaginé pour leur feureté. Ils ne pouvoient fi bien couvrir leur jeu que bien des gens ne foupçonnaffent la fourberie. Ils s'aviferent d'établir de certains Mifteres, qui engageoient à un fecret inviolable ceux qui y eftoient initiez.

Il eft vray qu'il y avoit de ces Mifteres dans des Temples qui n'avoient point d'Oracles, mais il y en avoit auffi dans beaucoup de Temples à Oracles; par exemple, dans celuy de Delphes. Plutarque dans ce Dialogue fi fouvent cité, dit qu'il n'y avoit perfonne à Delphes, n'y dans tout ce païs, qui ne fuft initié aux Mifteres. Ainfi tout eftoit dans la dépendance des Preftres; fi quelqu'un euft ofé ouvrir la bouche contre eux, on euft bien crié à l'Athée & à l'Impie, & on Juy euft fait des affaires dont il ne fe fuft jamais tire.

Sans les Misteres, les Habitans de Delphes n'euffent pas laiflé d'eftre toûjours engagez à garder le fecret aux Preftres fur leurs friponneries: car Delphes eftoit une Ville qui n'avoit point d'autre revenu que ce luy de fon Temple, & qui ne vivoit que d'Oracles; mais les Preftres s'affuroient encore mieux de ces peutples en fe les attachant par le double lien de l'intereft & de la fuperftition. On euft efté bien receu à parler contre les Oracles dans une telle Ville!

Ceux qu'on initioit aux Misteres, donnoient des af furances de leur difcretion; ils eftoient obligez à faire aux Preftres une confeffion de tout ce qu'il y avoit de plus caché dans leur vie, & c'eftoit aprés cela à ces pauvres initiez à prier les Preftres de leur garder le fecret.

dit

Ce fut fur cette confeffion qu'un Lacedemonien qui s'alloit faire initier aux Mifteres de Samothrace brufquement aux Preftres, Si j'ay fait des crimes, les Dieux les fçavent bien.

Un autre répondit à peu prés de la mefme façon. Est-ce à toy, ou au Dieu qu'il faut confeffer fes crimes? C'est au Dieu, dit le Preftre. Et bien, retire-toy done

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reprit le Lacedemonien, & je les confefferay au Dieu. Tous ces Lacedemoniens n'avoient pas extrémement l'efprit de devotion. Mais ne pouvoit-il pas le trouver quelque impie, qui allaft avec une fauffe confeffion le faire initier aux Mifteres, & qui en découvrift enfuite toute l'extravagance, & publiaft la fourberie des Preftres?

fi

De

Je croy que ce malheur a pû arriver, & je croy aufque les Preftres le prévenoient autant qu'il leur eftoit poffible. Ils voyoient bien à qui ils avoient affaire, & je vous garantis que les deux Lacedemoniens dont nous venons de parler, ne furent point receus. plus, on avoit déclaré les Epicuriens incapables d'eftre initiez aux Mifteres, parce que c'eftoient des gens qui faifoient profeffion de s'en mocquer, & je ne croy pas mefme qu'on leur rendift d'Oracles. Ce n'eftoit pas une chofe difficile que de les reconnoiftre; tous ceux d'entre les Grecs qui fe méloient un peu de Litterature, faifoint choix d'une Secte de Philofophie, & le furnom qu'ils tiroient de leur Secte, eftoit prefque ce qu'eft parmy nous celuy qu'on prend d'une Terre. On diftinguoit, par exemple, trois Demetrius, parce que l'un eftoit Demetrius le Cinique; l'autre, Demetrius le Sroïcien; l'autre, Demetrius le Peripateticien.

La coûtume d'exclure les Epicuriens de tous les Mifteres eftoit fi generale, & fi neceffaire pour la feureté des chofes facrées, qu'elle fut prife par ce grand Fourbe, dont Lucien nous décrit fi agreablement la Vie, cet Alexandre qui joua fi long-tems les Grecs avec fes Serpens. Il avoit mefme ajouté les Chreftiens aux Epicuriens, parce qu'à fon égard ils ne valoient pas mieux fes uns que les autres, & avant que de commencer fes Ceremonies, il crioit, Qu'on chaffe d'icy les Chreftiens. A quoy le peuple répondoit comme en une efpece de Choeur, Qu'on chaffe les Epicuriens. Il fit bien pis; car fe voyant tourmenté par ces deux fortes de Gens, qui quoy que pouffez par différens interefts, confpiroient à tourner fes Ceremonies en ridicules, il declara que

le

le Pont où il faifoit alors fa demeure, fe rempliffoit d'Impies, & que le Dieu dont il eftoit le Prophete, ne parleroit plus, fi on ne l'en vouloit défaire: Et fur cela il fit courir fus aux Chreftiens & aux Epicuriens.

L'Apollon de Daphné, Fauxbourg d'Antioche, ef toit dans la mefme peine, lors que du temps de Julien l'Apoftat il répondit à ceux qui lui demandoient le caufe de fon filence, qu'il s'en faloit prendre à de certains Morts enterrez dans le voifmage. Ces Morts eftoient des Martirs Chreftiens, & entre autres faint Babilas. On veut communément que ce fuft la prefence des ces Corps bien-heureux qui oftoit aux Demons le pouvoir de parler dans l'Oracle; mais il y a plus d'apparence que le grand concours de Chreftiens qui fe faifoit aux Sepulchres de ces Martirs, incommodoit les Preftres d'Apollon, qui n'aimoient pas à avoir pour témoins de leurs actions des ennemis clairvoyans, & qu'ils tâcherent par ce faux Oracle d'obtenir d'un Empereur Payen, qu'il fift jetter hors de là ces Corps dont le Dieu fe plaignoit.

Pour revenir prefentement aux artifices dont les Oracles étoient pleins, & pour comprendre en une feule reflexion toutes celles qu'on peut faire là-dessus, je voudrois bien qu'on me dift pourquoy les Demons ne pouvoient prédire l'avenir que dans des lieux obfcurs, & pourquoy ils ne s'avifoient jamais d'aller animer une Statue qui fuft dans un Carrefour, exposée de toutes parts aux yeux de tout le monde ?

On pourra dire que les Oracles qui fe rendoient fur des Billets cachetez, & plus encore ceux qui fe rendoient en Songe, avoient abfolument befoin de Demons; mais il nous fera bien aifé de faire voir qu'ils navoient rien de plus miraculeux que les autres.

CHA

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