AVERTISSEMENT. LES Pieces qui suivent n'ont pas une liaifon nécessaire avec le petit Ouvrage que l'on vient de lire. On a cru cependant qu'elles pourroient en fuppléer l'imperfection à quelques égards. Elles ont à-peu-près le même objet : elles éclairciffent quelques-uns des fujets déja traités ; & enfin elles font fondées fur les mêmes principes. 119 SECONDE PARTIE. FRAGMENS. SUR LE PYRRHONISME. UI I. Qui doute a une idée de la certitude, & par conféquent reconnoît quelque marque de vérité. Mais parce que les premiers principes ne peuvent fe démontrer, on s'en défie; on ne fait pas attention que la démonftration n'eft qu'un raifonnement fondé fur l'évidence. Or, les premiers principes ont l'évidence par eux-mêmes, & fans raifonnement; de forte qu'ils portent la marque de la certitude la plus invincible. Les Pyrrhoniens obfti nés affectent de douter que l'évidence foit figne de vérité: mais on leur demande, quel autre figne en defirezvous donc ? Quel autre croyez-vous qu'on puiffe avoir ? Vous en formezvous quelque idée ? On leur dit auffi, qui doute pense, & qui penfe eft; & tout ce qui eft vrai de fa pensée, l'eft auffi de la chofe qu'elle repréfente, fi cette chose a l'être ou le reçoit jamais. Voilà donc déja des principes irréfutables: Or, s'il y a quelque principe de cette nature, rien n'empêche qu'il y en ait plufieurs. Tous ceux qui porteront le même caractere, auront infailliblement la même vérité : il n'en feroit pas autrement quand notre vie ne seroit qu'un fonge; tous les fantômes que notre imagination pourroit nous figurer dans le fommeil, ou n'auroient pas l'être, ou l'auroient tel qu'il nous paroît. S'il exifte hors de notre imagination une fociété d'hommes foibles, foibles, telle que nos idées nous la représentent; tout ce qui eft vrai de cette fociété imaginaire, le fera de la fociété réelle, & il y aura dans cette fociété des qualités nuifibles, d'autres estimables ou utiles, &c.; & par conféquent des vices & des vertus. Oui, nous difent les Pyrrhoniens, mais peut-être que cette fociété n'est pas; je réponds: Pourquoi ne feroit-elle pas, puifque nous fommes ? Je fuppofe qu'il y eût là-deffus quelque incertitude bien fondée, toujours ferions-nous obligés d'agir comme s'il n'y en avoit pas. Que fera-ce fi cette incertitude eft fenfiblement fuppofée? Nous ne nous donnons pas à nous-mêmes nos fenfations; donc il y a quelque chofe hors de nous qui nous les donne: fi elles font fidelles ou trompeuses; fi les objets qu'elles nous peignent font des illufions ou des vérités; des réalités ou des appaje n'entreprendrai pas de le rences', F démontrer. L'efprit de l'homme qui ne connoît qu'imparfaitement, ne fauroit prouver parfaitement, mais l'imperfection de fes connoiffances n'est pas plus manifeste que leur réalité, & s'il leur manque quelque chofe pour la conviction du côté du raifonnement, l'instinct le fupplée avec ufure. Ce que la réflexion trop foible n'ofe décider, le sentiment nous force de le croire. S'il eft quelque Pyrrhonien réel & parfait parmi les hommes, c'eft dans l'ordre des intelligences un monftre qu'il faut plaindre. Le Pyrrhonisme parfait eft le délire de la raison, & la production la plus ridicule de l'efprit humain. |