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fuffit que de bons hiftoriens & la tradition l'ayent crû après Eufebe, leur exemple ne prouveroit pas moins en faveur des chrétiens, quand ils auroient efté Juifs; car fi les Juifs qui n'avoient que l'ombre de la vertu, avoient poussé la pénitence fi loin, combien les chrétiens auront dû les furpaffer, eux qui ont la vérité en partage : fudai quippe habebant umbram rerum, (chriftiani) veritatem. En effet quelque févérité que les Juifs ayent pû affecter, ils s'accordoient beaucoup plus que ne faifoient les chrétiens: Plus indulgentiæ tunc erat, plus licentia. Car enfin les Juifs fe permettoient certaines viandes, & les chrétiens fe les refufoient toutes; ils jeufnoient quelquefois, & les chrétiens le font toujours: Tunc efus' carnium prædicabatur, nunc abftinentia; tunc in omni vita jejuniorum pauciffimi dies, nunc quasi unum jejunium vita omnis.

Ce jeufne de tous les jours ne fatisfit point le zele des premiers chrétiens, ils en ajoûterent d'extraordinaires en certains temps dès le deuxiéme fiecle de l'Eglife, lefquels parurent fi rigoureux aux payens, que Lucien impie comme il eftoit, en faifoit des railleries.

Le jeufne du Carême qui commença peu de temps après le fiecle des apoftres, fut plus confidérable, & c'est la preuve de l'amour qu'on avoit pour le jeufne; preuve d'autant plus convaincante que celuy-cy eftoit volontaire dans ces temps où le zele & l'amour de la religion tenoient lieu de loy. Il eft vray que d'abord le nombre des jours de jeufne en Carême ne fut pas le même par toute l'Eglife ; mais il falloit que la rigueur en fût bien étrange, puifque lorsqu'on mit le

a Salvian. I. 2. à l'Egl. cathol. b Ibid. c 1bid. d Dialoga Philopatr. p. 1116. On doute que ce dialogue foit de Lucien, mais l'auteur eft de fon temps & auffi impic. Baillet,hifts du Carême,

Carême en regle, & qu'on en fixa la durée, ce qui arriva vers le fepriéme fiecle, dans le concile de Conftantinople on ordonna la xérophagie pour les Grecs. Les occidentaux n'allérent pas i loin à-la-vérité, mais dès avant le cinquiéme fiecle ils fe privoient de viande & de vin. Que fi l'on ajoûte au Carême les jeufnes des ftations', des quatre-temps, de l'avent, des rogations f, car c'estoient autrefois de vrais jeufnes, ceux enfin que les évêques indiquoient pour les befoins de l'Eglife; on reconnoistra que le jeufne parmy les chrétiens eft une pratique tresancienne autorisée par l'Eglife, reçue par tous les fideles, commune à tous les eftats, comme on le verra ailleurs.

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Cette pratique fut fi effentielle à la piété chrétienne, qu'elle parut le moyen le plus fûr pour entretenir le zele parmy les fideles ou pour l'y relever. Par cette raison, on la vit devenir la principale étude des folitaires, des moines & des cénobites, parce qu'ils ne fe croyoient faits que pour pleurer ou leurs péchez, ou ceux des autres Monachus plangentis habet officium ɔ qui vel fe, vel mundum lugeat. Mais cette vertu ne fut pas feulement celle des anciens monafteres, elle a paffé encore en ceux qui fe font établis dans les derniers fiecles. Ainfi le même jeufne qui fit l'honneur des anciennes maifons religieu fes, a confacré la pénitence de toutes celles qui font venues depuis ; témoins les Bénédictins, les Bernardins, les Chartreux, les Feuillans, les Carmes & les Carmélites, &c. qui fe font condamnez à un jeufne non moins pénible & auffi continuel que ceux des anciens temps.

Les particuliers trouvent de pareilles reffour

En 692. b Baillet, p. 122. Thomaff. p. 64. 1. p. 162. Id. p. 171. f Id. p. 174. 5 b Ibid. p. 182. Hieron. epift. p. 134.

Id. p. 136a Ibid. p. 1769

ces dans le jeufne, l'expérience & l'exemple de tant de faintes ames leur ayant fait comprendre que la pénitence fait la fûreté de la vertu, & qu'un chrétien doit moins s'étudier à vivre que s'apprendre à mourir: Chriftiani, expeditum eft morti genus. C'est donc auffi par le jeufne qu'ils expient leurs fautes paffées, & c'est par fon moyen qu'ils fe fortifient contre les dangers à ve nir, parce qu'en luy fur tout fe trouve de quoy foutenir ou préferver la vertu. C'eft pourquoy l'on voit aujourd'huy, comme autrefois, jeufner les pécheurs & les juftes, parce que rien n'honore tant le créateur, & n'humilie fi parfaite ment & fi utilement la créature.

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Mais rien auffi n'intéreffe fi peu la fanté, ou rien pour mieux dire ne luy fera fi peu préjudi ciable, que le jeufne bien entendu, outre que l'ancienne Médecine en fit une de fes principales maximes: les exemples de nos jours & les obfervations modernes en prouvent l'innocence, & en relevent l'utilité. Il ne fera donc pas moins fûr de jeufner aujourd'huy qu'autrefois. L'hiftoi re fameufe de Cornaro qui raffermit fa fanté jufqu'à fe prolonger la vie au-delà des bornes ordinaires, eft l'apologie la plus authentique du jeufne, puifqu'il s'accordoit beaucoup moins de nourriture tous les jours de fa vie, que le Ca rême n'en donne à tous les fideles. Le favant Jéfuite Leffius y trouva le même avantage, & peu d'entre ceux qui ont fagement fuivy leurs maximes s'en font repentis. La longue vie de ceux qui fe font vouez à la pénitence, & qui ont retrouvé au fervice de Dieu la fanté qu'ils avoient perdue en fe livrant au monde, en eft la preuve,

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a Tertull. de fpectac. c. 1. b Hippoc. Ì. epid. f. 4. Gal. I. I. de cib. boni & mali fucci. Régime de vivre, nombr. 5. &c. 11 ne prenoit que 12. onces de folide, & 14. de boiffon, Lessius, régime de vivre, nombr. 4

mais la Médecine moderne le confirme & en montre les raifons.

On a déja apporté plufieurs de ces raifons, mais celle-cy fe préfente à propos.

C'est moins par le volume des alimens que par leur maniere de fe placer dans nos corps & de s'y arranger, que la nourriture fe fait & tourne à profit. Pour le comprendre imaginonsnous que le tiffu des parties qui nous compofent eft un affemblage d'un million de filets creux, imperceptibles aux fens, mais tous capables de fe gonfler, de s'étendre & de s'allonger. La matiere donc qui doit pénétrer & remplir ces tuyaux d'une fineffe immenfe & d'une multiplicité inimaginable, doit eftre par conféquent d'un affinement & d'une fubtilité prefque infinie. C'est donc quelque chofe de moins groffier encore que la plus fine liqueur, que ce qui doit paffer par des voyes fi étroites; ce fera une vapeur tres-déliée, qui feule en fera capable. Or parce qu'on connoift des fubftances comme l'encens & le mufc, lefquelles fous un tres-petit volume rempliffent parfaitement de larges efpaces; on doit aufli concevoir qu'un aliment, quoiqu'en petite quantité, pourra remplir, nourrir par conséquent,. & groffir toutes les parties, pourvû qu'il foit bien digéré & parfaitement broyé. Car enfin fi un atome de mufc grofliérement divifé pénetre toutes les parties de l'air d'une vafte étendue, une petite partie d'alimens broyée & affinée dans nos corps par une force fi confidérable, tant multipliée & fi univerfellement répandue dans tous les organes, pourra fe répandre par tout le corps, & s'infinuer dans tous les filets nerveux qui le compofent. On s'en perfuadera par cette réfléxion, qu'une tres-petite quantité de matiere réduite en fumée reçoit une furface ou une étendue infiniment au deífus de fon volume na

turel. L'étendue donc en ce cas croift à mesure que la matiere eft plus ou moins divifée. Mais parce qu'il n'eft ni art ni force dans la nature qu'on conçoive capable d'affiner une matiere autant que la force qui digere & divife les alimens dans le corps humain, on doit reconnoistre qu'il peut fe nourrir de tres-peu de chofe, parce qu'une petite quantité de matiere peut s'y divifer jufqu'à s'anéantir & s'en aller prefqu'à rien, tant que les forces qui y font deftinées font dans leur entier, comme on le doit fuppofer dans Peftat de fanté ou dans les perfonnes faines, qui font celles qu'on oblige au jeufne. Merveilteufe économie de la nature ! Preuve admirable de la fageffe du créateur ! Qui ne conferve nos corps qu'en les créant prefque tous les jours de nouveau, tant au moyen des loix qu'il a établies, il employe peu de matiere pour les faire vivre. La végétation des plantes confirme ce qu'on vient d'avancer, une rofée legere, un peu de pluye, rend fécondes des campagnes entieres, de gros arbres fubfiftent & croiffent dans des endroits arides & pierreux; & à voir un million de planres qui croiffent, fleuriffent & pullulent dans des rochers & fur des murailles, peut-on imaginer que ce foit à force de fucs nourriciers que les corps s'entretiennent & fe nourriffent? Les hiftoires rapportent quelque chofe de femblable touchant la nourriture de ces faints hermites qui paffoient les journées entieres, fouvent des femaines, fans d'autre aliment que quelques dattes ou femblables fruits fecs dont ils ne faifoient prefque que goûter. Ce n'eft pas cependant qu'on voulût faire revivre ni rappeller ces affreufes auftéritez, mais du moins font-elles des preuves de ce que peut la nature en matiere de reufne, & que nos corps feroient moins bleffez qu'on ne pense de celuy du Carême. En effet

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