페이지 이미지
PDF
ePub

en quelque rencontre, elle ne peut l'être dans l'étendue qu'on lui donne. En effet, combien de fcélérats pour acquérir de l'eftime, & pour s'élever par-là, veulent paroître fideles, défintéreffés, vertueux ? Ils favent en leur cœur ce qu'ils font ;' ils fe font juftice; & le moindre de leurs foins eft d'occuper beaucoup de place dans leur imagination, pour me fervir d'une phrafe fi nouvelle & fi élégante. Bien loin de penfer à augmenter dans leur propre efprit l'opinion qu'ils s'y font formée d'eux-mêmes, ils ne fongent qu'à donner aux autres une impreffion avantageufe de la probité qu'ils n'ont pas, & qu'ils ne veulent point avoir.

دو.

[ocr errors]

Que dis-je, felon le fentiment de Pafcal, qui eft le héros & le modele de l'Auteur dont nous examinons la pensée ? Nous voulons tous vivre dans l'idée d'autrui d'une vie imaginaire. Si nous » avons de la générofité, de la fidélité » de la modération, nous nous empref»fons de le faire favoir, pour attacher » ces vertus à l'être d'imagination par lequel nous fubfiftons hors de nous-mê»mes; nous les détacherions plutôt de »nous, que de ne pas les joindre à ce fan» tôme de vie étrangere, & nous ferions » volontiers poltrons pour avoir la répu tation d'être vaillants.

دو

Il s'enfuit delà que chacun ne tâche pas d'occuper le plus de place qu'il peut dans fon imagination, & que le but de tous les deffeins ambitieux des hommes n'est pas d'augmenter l'idée que chacun forme de foi dans fon propre efprit.

Cela me femble convaincant, dit Philanthe paffon's outre, je vous prie. Ecoutez ceci, pourfuivit Eudoxe :

[ocr errors]
[ocr errors]

رو

:

Quand les ignorants voient ces gran» des bibliotheques que l'on peut appel»ler, à quelque chofe près, le magafin » des fantaifies des hommes, ils s'imagi» nent qu'on feroit bien heureux, ou du » moins bien habile, fi on favoit tout ce qui eft contenu dans cet amas de volu»mes qu'ils confiderent comme des tréfors de lumieres: mais ils en jugent » mal. Quand tout cela feroit réuni dans » une tête, cette tête n'en feroit, ni » mieux réglée, ni plus fage; tout cela ne feroit qu'augmenter fa confufion & obfcurcir fa lumiere.

[ocr errors]
[ocr errors]

L'on peut conclure delà, dit Philanthe, que l'ignorance vaudroit mieux qu'une érudition profonde, & que moins on feroit habile, plus les idées qu'on auroit des chofes feroient nettes & diftinctes. C'eft raisonner jufte fur un faux principe, répondit Eudoxe : je dis fur un faux principe; car il n'eft

pas

vrai que

les diverfes connoiffances qui fe tirent de la lecture, produifent d'elles-mêmes la confufion & l'obfcurité. Ces mauvais effets ne viennent que de la mauvaise difpofition des efprits. Tel favant que nous connoiffons eft un abyme de doctrine; mais un abyme qu'on peut appeller un cahos où toutes les langues & toutes les fciences font brouillées enfemble, parce que c'eft l'efprit le moins méthodique & le moins clair qui fût jamais. D'autres Savants d'un caractere oppofé à 'celui-là, ont dans la tête une infinité d'efpeces bien rangées & parlent nettęment de tout..

<

Ainfi l'homme qui fauroit tout ce que les livres contiennent, jusqu'à devenir. une bibliotheque vivante (ce qu'on a dit d'Origene) n'en feroit pas plus confus, ni plus obfcur dans fes difcours, fi c'étoit une tête bien faite & de bonne trempe : il pourroit même en être plus fage & plus réglé dans fa conduite, s'il faifoit un bon ufage de fes lumieres.

Mais ces exemples fuffifent, continua Eudoxe, pour vous faire voir le foible des penfées morales qui ne font pas vraies. Car je ne dis rien des maximes qui ont quelque chofe de faux; & qui dès-là ne font pas dignes du nom de maximes, dont l'unique but eft de régler les

[ocr errors]

remœurs & de conduire la raison. Les réflexions historiques ne valent guere mieux quand elles font fauffes. La vérité étant, comme vous favez, l'ame de l'histoire, elle doit être répandue dans tout ce que dit l'Hiftorien: mais c'eft dans ces réflexions qu'elle doit briller davantage; & rien n'eft plus irrégulier que de penfer faux fur des événements véritables.

Plutarque, qui étoit un efprit folide, a fenti cela, en condamnant la pensée fameufe d'un Hiftorien, fur l'incendie du Temple d'Ephefe: qu'il ne falloit pas, s'étonner que ce Temple magnifique, confacré à Diane, eût été brûlé la nuit même qu'Alexandre vint au monde ; parce que la Déeffe ayant voulu affifter aux couches. d'Olympias,fut fi occupée, qu'elle ne put éteindre le feu.

Mais, interrompit Philanthe, Cicéron trouve la pensée jolie, lui qui, felon vous, penfe & juge toujours fainement. Je vous avoue de bonne foi, reprit Eudoxe, que je ne comprends pas bien Cicéron là-deffus. Il a regardé fans doute, la pensée de Timée, comme l'imagination d'un Poëte, & non pas comme la réflexion d'un Hiftorien. Cela ne peut fe dire, repartit Philanthe; car Cicéron loue Timée d'avoir penfé fi joliment dans

Plutarch. in Alexandri vita.

fon Hiftoire. a Pour moi je me perfuade que l'Orateur Romain, qui avoit l'efprit tourné naturellement à la raillerie, & qui aimoit les bons mots jufqu'à en dire quelquefois d'affez froids, ainfi que remarque Quintilien, a été touché de ce qu'il y a de plaifant dans la penfée de Timée, fans examiner le reste; au lieu que Plutarque, qui étoit férieux & critique, a confidéré uniquement ce qu'elle a de faux.

Ce n'eft pas en juger trop mal, répondit Eudoxe; mais ne vous femble-t-il pas que ce Cenfeur fi auftere a oublié sa sévérité, en ajoutant que la réflexion de l'Hiftorien eft fi froide qu'elle fuffifoit pour éteindre l'incendie? Pour moi, je trouve la penfée de Plutarque mille fois plus fauffe & plus froide que celle de Timée, & je ne vois qu'un biais pour fauver Plutarque; c'eft de dire qu'il a voulu s'égayer dans l'endroit même où il parle gravement.

Quoi qu'il en foit, dit Philanthe, je conclus des divers jugements de ces deux grands hommes, que ce qui plaît à un bon efprit, ne plaît pas infailliblement

a Concinne ut multa Timæus, qui cùm in historia dixiffet, quia nocte natus Alexander effet, eâdem Dianæ Ephefiæ Templum deflagraviffe; adjunxit minimè id effe mirandum, quòd Diana, cùm impartu Olympiadis adeffe voluiffet, abfuiffe domo. De natura Deor. lib. 2, n. 69.

« 이전계속 »