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Un dictionnaire, même un dictionnaire littéraire et raisonné, n'est pas, à proprement parler, un livre. Ce n'est donc pas un livre, au sens strict du mot, que j'ai la préteution d'offrir au public; mais je crois lui présenter un ouvrage curieux, d'un caractère absolument neuf, et tel que jusqu'à ce jour il n'a son pareil dans aucune langue. On a publié depuis un quart de siècle, dans des conditions d'exécution matérielle superbes, d'excellents dictionnaires de tout genre, consacrés soit à la langue proprement dite, soit aux arts, soit aux sciences, soit à telle ou telle profession; dans le nombre pourtant le théâtre a été négligé, et cela peut surprendre dans un pays comme le nôtre, où l'amour de cet art merveilleux est porté à son extrême puissance et s'étend à toutes les classes de la société.

Cet amour de tout ce qui tient au théâtre n'est pas chez nous un effet du hasard. Il a sa cause et sa source première dans l'incontestable supériorité que nous n'avons jamais cessé d'exercer au point de vue de l'art scénique, tant en ce qui concerne les œuvres qu'en ce qui touche leurs interprètes. C'est en 1629 que Pierre Corneille, âgé seulement de vingt-trois ans, donnait à l'Hôtel de Bourgogne sa première comédie, Mélite, qu'il devait faire suivre de tant de chefs-d'œuvre ; c'est en 1658 que Molière offrait au public du Petit-Bourbon son Étourdi, qu'il avait fait représenter à Lyon cinq ans auparavant. Depuis lors, c'est-à-dire depuis deux siècles et demi, notre théâtre, grâce à une superbe lignée d'écrivains, n'a cessé de s'enrichir de chefs-d'œuvre de tous genres, et l'on peut dire que jamais la production scénique n'a subi chez nous non seulement une éclipse, mais même un temps d'arrêt. Au dix-septième siècle, à côté de Corneille et de Molière, ou après eux, on voit briller, outre Racine, des poètes tels que Rotrou, Quinault, Thomas Corneille, Boursault, Regnard, Hauteroche, Dancourt, Campistron, Montfleury, Dufresny, La Grange-Chancel. Au dix-huitième siècle viennent Crébillon, Voltaire, Guyot de Merville, Marivaux, La Chaussée, Destouches, La Noue, Gresset, Piron, Le Sage, Boissy, Guimond de La Touche, Favart, Colardeau, Lemierre, Saurin, Barthe, La Harpe, Marmontel, De Belloy, Cailhava, Sedaine. Les approches de la Révolution voient surgir Beaumarchais, Ducis, Monvel, Andrieux, Dumaniant, Népomucène Lemercier, Marie-Joseph Chénier, puis Fabre d'Églantine, Fenouillot de Falbaire, Pigault-Lebrun, Arnault, Laya, Picard, Legouvé, Alexandre Duval. Avec le dix-neuvième siècle se produisent Étienne, Casimir Delavigne, Soumet, Scribe, Ancelot, Mazères, Empis, le romantisme voit paraître Alexandre Dumas, Victor Hugo, Frédéric Soulié, Félicien Mallefille, Alfred de Vigny, et enfin l'époque

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contemporaine nous présente Alfred de Musset, George Sand, Ponsard, MM. Émile Augier, Octave Feuillet, Ernest Legouvé, Alexandre Dumas fils, Labiche, Théodore Barrière, Henri Meilhac, Victorien Sardou, Ludovic Halévy, Édouard Pailleron, Edmoud Gondinet... Et je ne parle ici que de ceux qui tiennent la tête du mouvement littéraire dans ses rapports avec le théâtre. Combien, depuis soixante ans, combien de talents tantôt puissants et vigoureux, tantôt charmants, délicats, ingénieux, prime-sautiers, ont brillé sur nos scènes de genre et ont maintenu fidèlement, avec honneur, avec succès, les nobles et saines traditions de leurs devanciers! La France est le seul pays qui, depuis deux cent cinquante ans, n'ait pas un instant, un seul instant, cessé de posséder une grande école théâtrale, elle est sans rivale pour cet art qu'elle chérit et dont elle a le sens le plus exquis, elle est enfin, sous ce rapport, le seul centre actif, inépuisable, de production, et l'on peut dire que les œuvres de ses écrivains défraient pour les neuf dixièmes les théâtres du monde entier. Elle est aussi le seul pays où l'exécution scénique soit accompagnée de tant de perfection : de l'aveu de tous, nos comédiens sont les premiers du monde.

Il peut donc paraître assez singulier qu'en un pays où le théâtre tient une si large place, où il est la grande et universelle distraction, où il est cultivé avec tant de succès et tant de supériorité, suivi par tous avec une attention si passionnée, on n'ait pas encore songé à établir avec certitude, avec précision, la technologie de cet art si généralement aimé, à fixer sa langue de telle façon que le public la puisse bien connaître, ce public, qui ne voit du théâtre que le côté extérieur, que le rendu, et à qui tout le reste doit forcément échapper.

Ce n'est pas que quelques essais n'aient été tentés en ce sens ; mais ces essais étaient ou trop timides, ou trop incomplets, ou renfermés dans un champ trop volontairement circonscrit. Chamfort et l'abbé de Laporte ont publié, en 1776, un « Dictionnaire dramatique, contenant l'histoire des théâtres, les règles du genre dramatique, les observations des maîtres les plus célèbres, et des réflexions nouvelles sur les spectacles, sur le génie et la conduite de tous les genres, avec les notices des meilleures pièces, le catalogue de tous les drames, et celui des auteurs dramatiques ». Mais il s'en faut bien que ce vaste plan ait été exactement suivi et mis à exécution dans les trois gros volumes qui composent cet ouvrage. Tandis que l'abbé de Laporte y accumulait les analyses de pièces, Chamfort se bornait à lui fournir un certain nombre d'articles, souvent fort intéressants d'ailleurs, mais qui n'avaient trait qu'à la poétique théâtrale, à la marche et à la conduite du poème dramatique d'une part, et, de l'autre, à divers renseignements sur les jeux scéniques des anciens. Du théâtre moderne considéré matériellement ou artistiquement, de la représentation scénique, du jeu du comédien, rien, absolument rien! Il fallut attendre un demi-siècle pour voir deux autres écrivains, Jal et Harel, publier (1824) un ouvrage ainsi intitulé : « Dictionnaire théâtral, ou Douze cent trente-trois vérités sur les directeurs, régisseurs, acteurs, actrices et employés des divers théâtres; confidences sur les procédés de l'illusion; examen du vocabulaire dramatique; coup d'oeil sur le matériel et le moral des spectacles, etc., etc., etc. » Ici, nous tombons à peu près en pleine fantaisie, et parfois dans l'inutilité. On en jugera par le premier mot qui se présente dans ce petit volume, et qui n'offre qu'un rapport assurément bien indirect avec le

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sujet choisi par les auteurs : « ABBÉ, ABBESSE. Personnages interdits depuis dix ans aux écrivains dramatiques. Certains ouvrages de l'ancien répertoire, où figurent des abbés, sont cependant encore représentés quelquefois ; mais on ne représente plus les Visitandines. » Quelques mots techniques sont pourtant traités heureusement et avec assez de soin dans ce livre, qui est loin de manquer d'esprit ; mais comment les auteurs auraient-ils pu faire connaître vraiment le théâtre, et d'une façon complète, dans l'espace de 300 pages in-12? Plus fantaisistes encore et bien plus abrégés sont le « Manuel des coulisses ou Guide de l'amateur (1826), » le « Petit Dictionnaire des coulisses, publié par Jacques-le-Souffleur (1835), » et « l'Indiscret, souvenirs des coulisses (1836), » qui tous trois empruntent aussi la forme du dictionnaire, et dans lesquels on ne trouve que quelques définitions facétieuses, accompagnées de certaines plaisanteries d'un goût plus ou moins pur. Fantaisie toujours le vocabulaire de M. Joachim Duflot: les Secrets des coulisses des théâtres de Paris (1865), où l'imagination de l'auteur, aidée de quelques anecdotes amusantes, mais la plupart du temps apocryphes, joue le rôle le plus important. Deux écrivains ont essayé d'aborder la question d'une façon un peu plus sérieuse : l'un, Ch. de Bussy (Charles Marchal), dans son Dictionnaire de l'art dramatique à l'usage des artistes et des gens du monde (1866); l'autre, M. Alfred Bouchard, dans un petit volume attrayant qui porte ce titre : la Langue théâtrale, vocabulaire historique, descriptif et anecdotique des termes et des choses du théâtre (1878). Mais non seulement le travail de l'un et de l'autre est trop écourté, mais, en dépit de certaines qualités, il est facile de s'apercevoir que ni l'un ni l'autre ne connaissait assez le théâtre pour en parler comme il convient (1).

C'est qu'il ne suffit pas, en effet, pour écrire un Dictionnaire du théâtre, de connaître le théâtre historiquement ou littérairement, de l'avoir même beaucoup observé extérieurement, c'est-à-dire d'un point quelconque ou même de tous les points de la salle; s'il en était ainsi, tout homme un peu lettré, qui aurait bien étudié son sujet, pourrait s'acquitter d'une telle tâche, en se bornant à expliquer, à éclairer et à définir ce que chacun voit chaque jour. Mais le côté intime, secret, mystérieux du théâtre, celui qui échappe à l'œil du public et qui excite précisément sa curiosité, c'est là ce qu'il faut dévoiler, et ce dont toutes les lectures du monde ne sauraient donner une idée. Les mœurs des comédiens, leur langage professionnel et particulier, les coutumes intérieures du théâtre, les détails du travail scénique, sa préparation, sa mise au point, en ce qui touche soit l'exécution humaine des œuvres, soit leur représentation matérielle, la vie du théâtre considérée dans ce vaste espace, fermé au spectateur, qui s'étend non seulement derrière le rideau, mais dans les coulisses, dans les dessus, dans les dessous, dans les foyers, dans les loges, dans les couloirs, dans les ateliers, dans les magasins, dans les cabinets de direction et de régie,

(1) Dans son gentil petit volume: Curiosités théâtrales, M. Victor Fournel, qui aime le théâtre avec passion, comme il faut l'aimer pour en parler, a consacré un chapitre à sa technologie spéciale. Mais combien cela est insuffisant! Une centaine de mots à peine, parmi lesquels certaines expressions imaginaires bénévolement empruntées à M. Joachim Duflot.

On ne doit pas, trompé par leur titre, prendre pour des dictionnaires du théâtre certains ouvrages publiés au dix-huitième siècle, tels que le Dictionnaire portatif, historique et littéraire des théâtres de De Léris, et le Dictionnaire des théâtres de Paris des frères Parfait. Ceux-ci ne sont autre chose qu'un catalogue de pièces, d'auteurs et d'acteurs, donnant une analyse raisonnée des unes et des notices biographiques sur les autres.

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voilà ce qui est intéressant, ce qui est curieux, ce qui est digne d'étude et d'attention. Mais je n'étonnerai personne assurément en disant que pour faire connaître cet << envers » du théâtre, pour en pénétrer les mystères, pour en dévoiler les secrets, il faut avoir soi-même pris part à ce travail intérieur, il faut avoir vécu de cette vie fiévreuse et passionnante, il faut avoir été à même de voir tout, d'observer tout de ses propres yeux, de façon à reproduire avec exactitude l'ensemble et les mille détails de ce travail scénique si compliqué, si délicat, si ardu, si difficile, en même temps que si complètement ignoré.

Je crois avoir lieu d'espérer que, sous ce rapport, le présent Dictionnaire sera de nature à satisfaire la curiosité même des plus exigeants. Il n'est pas un des points quelconques du théâtre, pas une de ses parties les plus reculées, pas un de ses recoins les plus obscurs, il n'est pas un détail du travail de chaque jour, de chaque individu, de chaque groupe spécial, qui ne soit ici décrit, mis en lumière, commenté, expliqué de la façon la plus étendue. Qu'il s'agisse du local et de ses dépendances, du matériel employé et mis en œuvre, de l'aménagement de la scène et de la salle, du personnel artistique ou administratif, de la division et de la marche rationnelle des études, de la direction imprimée à toutes choses, des coutumes et des nécessités financières, des rapports du théâtre avec les auteurs, avec le public, avec l'autorité civile, rien n'est négligé, tout est rapporté, analysé, exposé avec une connaissance certaine de la matière et une exactitude que l'on peut, je crois, considérer comme absolue. Il en est de même en ce qui concerne l'histoire littéraire et artistique du théâtre, la théorie, la pratique et l'exercice de l'art du comédien, soit à Paris, soit en province, les conditions matérielles et administratives des entreprises dramatiques, le concours que se prêtent mutuellement tous les arts: poésie, déclamation, musique, chant, danse, peinture, architecture, pour la plus grande splendeur de celui qui sur la scène les réunit tous à son profit. Attribution des emplois, étude des types scéniques les plus célèbres en France on à l'étranger, description des édifices consacrés aux spectacles, mise en scène, décor, costume, machinerie, éclairage, etc., j'ai fait en sorte de ne rien omettre, de ne rien oublier, de ne rien laisser dans l'ombre, même jusqu'aux plus petits détails, en apparence les plus insignifiants.

La besogne n'était pas toujours facile, et les définitions, en particulier, étaient parfois malaisées, d'autant que, dans beaucoup de cas, je n'avais sur quoi m'appuyer, ces définitions n'ayant pas même encore été ébauchées ailleurs. J'espère pourtant que j'ai réussi à les rendre claires, intelligibles, même pour les personnes absolument étrangères au théâtre, de façon à bien faire saisir et comprendre ce que j'avais à expliquer.

Mon plan primitif était fort loin de comporter l'étendue que j'ai fini par donner à cet ouvrage. Je ne songeais tout d'abord qu'au théâtre moderne; mais tout se tient; forcément amené à parler du théâtre antique, du théâtre des Grecs et des Latins, je me suis vu obligé de donner et d'expliquer tous les termes qui y sont relatifs. D'autre part, il me fallait bien faire connaître les origines de l'art théâtral tel que nous le pratiquons aujourd'hui, et par conséquent rappeler le souvenir des jongleurs, des ménestrels, des histrions, des baladins du moyen âge, dont les jeux donnèrent indirectement naissance à ceux des Confrères de la Passion et de leurs congénères, eux

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mêmes prédécesseurs immédiats et instituteurs indirects de nos premiers véritables comédiens; ceci me conduisait naturellement à mentionner les saltimbanques, les acrobates, les farceurs, les bateleurs de tout genre. Une fois sur cette pente, je ne pouvais me dispenser de décrire non seulement tous les genres si divers de spectacles populaires et forains parades, marionnettes et le reste, mais encore toutes les différentes espèces de divertissements publics mascarades, cortèges, carrousels, tournois, joutes, régates, courses de chevaux, combats d'animaux, illuminations, feux d'artifice, etc., etc.

Élargissant ainsi mon cadre, je vonlus m'attacher alors à donner, aussi bien an point de vue pratique que sous le rapport historique, une connaissance complète du théâtre, considéré sous toutes ses formes et sous tous ses aspects. C'est pourquoi, ne pouvant me contenter du vocabulaire technique, qui devenait insuffisant et ne me permettait pas d'aborder certains ordres d'idées souvent fort importants, j'imaginai de faire entrer dans ce Dictionnaire toute une série de locutions composées, grâce auxquelles je pouvais mettre en relief une foule de particularités intéressantes, utiles ou curieuses; on pourra s'en rendre compte en consultant les mots suivants : Acteurs dans la salle, Autorités théâtrales administratives, Bibliographie théâtrale, Boulevard du Temple, Comique (Du) au théâtre, Dimanche (Le) au théâtre, Excuses au public, Feu (Le) au théâtre, For-l'Évêque (Le) et les comédiens, Heure (L') du spectacle, Liberté des théâtres, Mémoires dramatiques, Prix (Le) des places au théâtre, Sifflet (Le) au théâtre, Suzeraineté de l'Opéra, Théâtre (Le) français hors de France, Théâtre (Le) italien hors de l'Italie, etc., etc. De plus, j'ai cru devoir intercaler dans mon vocabulaire français un certain nombre de locutions étrangères, particulièrement certains mots italiens se rattachant surtout à l'art lyrique et qu'il me semblait utile d'expliquer, l'opéra italien, qui a longtemps eu droit de cité en France, ayant amené chez nous l'usage de diverses expressions spéciales, dont tout le monde ne connaît pas la valeur. Si l'on sait généralement ce que c'est qu'un dilettante, un impresario, un libretto, il n'en est pas de même en ce qui concerne les mots accademia, bravura, farsa, ingresso, maestro al cembalo, maestro concertatore, platea, riposo, sinfonia, primo uomo, etc. On en peut dire autant de quelques mots anglais, tels que manager, recital, selection, dont il n'était pas non plus inutile de faire connaître la signification particulière en ce qui concerne le théâtre et la musique (1).

Envisagé de cette façon, le sujet devenait singulièrement vaste et divers; mais il s'en trouvait d'autant plus séduisant, et comme il acquérait du même coup un caractère incontestable de nouveauté, on reconnaîtra sans doute que peu d'écrits offrent un fonds plus attrayant, plus aimable, plus neuf qu'un tel Dictionnaire. Je me suis efforcé, d'ailleurs, d'adapter à chaque mot la forme qui lui convenait, d'assouplir cette forme autant qu'il m'était possible, traitant sérieusement les choses sérieuses et légèrement les choses légères, de telle sorte que la variété qu'offrait le sujet, variété rendue plus sensible encore par les hasards de l'ordre alphabétique, qui fait avoisiner des mots du genre le plus opposé, se retrouvât dans l'allure générale de l'ouvrage, la

(1) Un dictionnaire ainsi conçu exigeait la présence d'une table systématique et analytique, établie par ordre de matières, dans laquelle le lecteur, désireux de se renseigner sur telle ou telle de ces matières, et ne sachant pas toujours quelles expressions les caractérisent et s'y rapportent, pût trouver immédiatement et facilement les mots qui lui sont nécessaires. On trouvera à sa place cette table, que j'ai dressée avec le plus grand soin.

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