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Louvre, son bail était de trois ans ; enfin le 1er octobre 1672, il était déjà dans la rue Richelieu. Molière avait en outre loué une campagne à Auteuil, où il se réunissait souvent avec ses amis : Chapelle, Boileau, La Fontaine, Racine, Mignard, l'abbé Levayer, de Jonzac, de Desbarreaux, de Guilleragues, de Rohault, Lulli, Nantouillet, etc.

Molière était doux, complaisant, généreux, religieux, grave, modeste, civil, honorable dans toutes ses actions, d'une conversation douce et aisée; il avait un grand flegme, beaucoup de présence d'esprit, et le jugement très-sain; il était rangé, fort méthodique, bon Orateur et il aimait haranguer. Enfin, il était comédien depuis les pieds jusqu'à la tête; il semblait avoir plusieurs voix; tout parlait en lui; d'un pas, d'un sourire, d'un clin-d'œil ou d'un remuement de tête, il faisait concevoir plus de choses que le plus grand parleur n'aurait dit en une heure. Toutefois, étant doué d'une grande volubilité de langue, il s'efforçait à parler lentement, ce qui lui donnait comme une espèce de hoquet, et dans ses six dernières années, par suite de deux maladies, il lui était resté une toux qui lui prenait souvent au théâtre; mais il paraît qu'elle ne lui seyait pas mal. Molière lisait ses pièces à sa servante, nommée Laforêt « Parce que « (disait-il), quand un passage ne la fait pas rire, j'ai remarqué qu'il << ne plaisait pas au public. » Quand il les lisait aux comédiens, il exigeait qu'ils amenassent leurs enfants pour voir les impressions qu'ils en ressentiraient.

Vers 1646, un jeune homme qui avait du talent pour la déclamation, et dont les parents étaient dans l'aisance, vint trouver Molière pour lui dire qu'il désirait se faire comédien. Ce dernier fit tous ses efforts pour le détourner de ce projet. Chapelle, qui était présent, engagea tout au contraire le jeune homme à persister dans son dessein; mais l'avis de Molière prévalut.

En 1655, M. de Laurès, consul de la petite ville de Gignac, avait recueilli des sources et fait construire un réservoir d'eau destiné à l'usage du public. Au-dessus de ce réservoir on avait écrit le vers suivant :

Quæ fuit ante fugax, arte perennis erit.

C'en était assez pour occuper les oisifs, qui, rassemblés devant cette inscription, se livraient à des gloses, à des critiques et à des traductions fort diverses. Molière passe, s'approche, écoute les orateurs; il est mis au courant de la discussion, et propose de substituer au

vers latin le distique suivant, que M. de Laurès fit graver, dit-on, dans son dépit contre les censures de ses compatriotes:

Avide observateur, qui voulez tout savoir,

Des ànes de Gignac c'est ici l'abreuvoir.

Vers janvier 1656, à Pézénas, chez Gély, barbier de l'endroit, une jeune fille ingénue vint prier ce dernier de lui lire une lettre qu'elle venait de recevoir de son amant qui était au service. Gély prend la lettre, et comme il était alors occupé, il la passe à Molière, qui était assis comme d'habitude dans son fauteuil, et dit à la jeune fille: « Tiens, mon enfant, voilà un monsieur qui te la lira beaucoup « mieux que moi. » Molière décachète la lettre; il reconnaît d'un coup d'œil une de ces épîtres vulgaires comme en écrivent les élèves de Bellone à leurs payses; mais l'air candide de la jeune fille lui a souri, et aussitôt il remplace la rédaction du milicien par une improvisation de son crù, dont voici le résumé : « Le milicien a assisté à « une sanglante bataille, où il s'est vaillamment distingué; malheu« reusement un éclat d'obus lui a fracassé le bras. » La jeune fille interrompt la lecture par une exclamation plaintive. Molière reprend : « Admis à l'hôpital, l'habileté des chirurgiens a triomphé de a la gravité de la blessure, et au moment où la lettre s'écrit, le mi<licien est en pleine convalescence. » La jeune fille alors renaît, et son visage s'épanouit. Molière continue : « La guérison presque mi<< raculeuse du jeune soldat a fait grand bruit; elle lui a attiré la visite « des grands personnages et des plus belles dames de la ville, dont « une d'elles s'est éprise d'un violent amour pour lui et veut abso«<lument l'épouser. » Ici nouvelle pamoison de la jeune fille, et nouvelle interruption de la lecture. Enfin Molière ajoute : « Le milicien « est resté ferme comme un roc aux brillantes propositions qu'on lui <«< a faites; il lui a suffi pour cela de rapprocher de son cœur les mo« destes gages d'amour que lui donna son amante en partant, et de « se rappeler les serments qu'ils se sont faits; il n'aspire qu'au mo<«<ment où ils pourront se réaliser. » En retournant dans son quartier, la jeune fille raconte à tous venants la bonne nouvelle qu'elle a reçue; elle voit son prochain mariage avec son amant devenu officier; mais un incrédule demande à voir la lettre, et alors elle apprend la triste vérité.

Un autre jour Molière se trouvant seul chez ce même barbier, qui était allé en ville accommoder ses pratiques, le messager d'Aniane,

client habituel du lieu, arrive, et prenant Molière pour un garçon nouvellement entré chez son ami Gély, lui dit brusquement de le servir. Molière veut s'excuser; mais, sans l'écouter, le messager lui tourne le dos, dénoue sa cravate, s'assied, et lui intime une seconde fois l'ordre de l'accommoder, et tôt !

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En présence d'un original si opiniâtre, Molière feint de se rendre; il apprête les rasoirs, la houppe, passe la serviette de rigueur; mais tandis que le savon jette sa mousse, que le lourdeau se prélasse sur son siége, Molière entame une lamentable histoire de vols, d'incendies, de brigandages: ce sont les routiers, les bandouliers, qui descendent des Cévennes et qui mettent tout à feu et à sang.

Absent depuis quelque temps de son domicile, le messager croit à ces désastres: il pâlit, les muscles de son visage se crispent, le rasoir refuse de glisser; mais Molière n'ayant pas encore atteint le but qu'il s'était proposé, assombrit un peu plus son tableau, et les derniers excès de la peur ne tardent pas à s'emparer du messager. Alors, hors de lui, il arrache convulsivement la serviette, se débarbouille comme il peut, se sauve en oubliant sa cravate, et ne reparut plus de longtemps dans l'officine du barbier. Cette scène fit beaucoup rire et fut appelée la barbe impossible. L'anecdote que l'on vient de rapporter, ainsi que la précédente, se racontent à Pézénas, où chacun doit les embellir à sa manière.

En 1662, un jeune homme vint trouver Molière pour lui soumettre une tragédie qu'il avait faite. Quoique cette pièce, ensevelie dans l'oubli dès sa naissance, méritât ce triste sort, Molière sut néanmoins entrevoir que le jeune homme, en travaillant, pourrait prétendre à d'honorables succès. Il l'encouragea donc, loua ses dispositions, lui fit don de cent louis pour l'engager à entreprendre une autre tragédie, et plus tard encore il l'aida de ses conseils. Ce jeune homme était Racine, qui, malheureusement, dans la suite, oublia peutêtre un peu les obligations qu'il avait à Molière.

En 1663, quand le père de Molière cessa complétement ses fonctions, et que son fils prit définitivement le service, les gens de la maison du roi, blessés d'avoir un comédien pour confrère, cherchèrent à lui témoigner leur mépris. Un jour, en 1664, un valet de chambre ayant refusé de faire le lit du roi avec Molière, M. de Belloc, poëte agréable de salon, dit : « M. de Molière, voulez-vous bien que «j'aie l'honneur de faire le lit du roi avec vous ? » Un jour, le roi, ayant appris que des gens de sa maison s'abstenaient de manger à la table du contrôleur, dans l'intention de témoigner leur dédain à

Molière, adressa ces paroles à son valet de chambre : « On dit que << vous faites maigre chère ici, Molière, et que les officiers de ma «< chambre ne vous trouvent pas fait pour manger avec eux. Vous « avez peut-être faim; moi-même je m'éveille avec un très-bon ap

pétit mettez-vous à cette table, et qu'on me serve mon en cas de « nuit. » Alors le roi, découpant la volaille et invitant Molière à s'asseoir, lui servit une aile, en prit une pour lui, et ordonna d'introduire les entrées familières, qui se composaient des personnes les plus marquantes et les plus favorisées de la cour. « Vous me voyez (leur dit «<le roi) occupé à faire manger Molière, que mes officiers ne trou«vent pas assez bonne compagnie pour eux.» Depuis lors, toute la Cour s'empressa de lui faire des invitations: il n'eut plus besoin de se présenter à la table de service.

En 1664, un jour Baron vint annoncer à Molière qu'un comédien de campagne, nommé Mondorge, que l'extrême misère empêchait de paraître, lui demandait quelques légers secours pour aller joindre sa troupe. Molière, qui avait connu ce comédien, demanda à Baron combien il pensait qu'il fallait lui donner. Celui-ci lui répondit, en hésitant : « Quatre pistoles Eh bien (répliqua Molière)! je vais les <«<lui donner pour moi; donnez-lui pour vous ces vingt autres que « voilà. » Et il joignit à ce présent celui d'un habit de théâtre magnifique.

Un autre trait mérite encore plus d'être rapporté. Il était en voiture avec Charpentier, et venait de donner l'aumône à un pauvre; un instant après, le pauvre court après la voiture. Molière fait arrêter, et le pauvre lui dit : «Monsieur, vous n'aviez peut-être pas dessein de me donner une pièce d'or, je viens vous la rendre. Où la « vertu va-t-elle se nicher (dit Molière)?» Et après un moment de réflexion: «Tiens, mon ami, en voilà une autre. >> Un jour, à la lecture de ce vers de Boileau,

Il plaît à tout le monde et ne saurait se plaire,

Molière s'écria, en serrant la main du satirique « Voilà la plus « grande vérité que vous ayez dite! Je ne suis pas du nombre de ces << esprits sublimes dont vous parlez; mais, tel que je suis, je n'ai « jamais rien fait dont je sois véritablement content. » Ce qui doit faire encore plus admirer la modestie de Molière, c'est qu'il tint ce discours dans la même année où les trois premiers actes du Tartufe furent joués, en 1664.

Le grand Condé professait pour Molière la plus haute estime; souvent il le faisait mander pour s'entretenir avec lui. « Molière (lui dit«< il un jour), je vous fais venir peut-être trop souvent; je crains de << vous déranger de votre travail; ainsi je ne vous enverrai plus «< chercher; mais je vous prie, à toutes vos heures vides, de me venir << trouver. » Lorsque Molière venait, le prince congédiait tout le monde; ils demeuraient souvent trois ou quatre heures ensemble; et, après une de ces conversations, on a entendu dire au prince : « Je « ne m'ennuie jamais avec Molière; c'est un homme qui fournit de << tout; son érudition, son jugement, ne s'épuisent jamais. »

Le prince de Condé faisait à Molière l'honneur de l'admettre à sa table. Un jour il arriva que les pages qui servaient, ne cherchant qu'à badiner, et voulant empêcher Molière de manger les bons morceaux qu'on lui apportait, changeaient l'assiette dès qu'il était servi. Molière, s'étant aperçu de leur malice, prit promptement une aile de perdrix que l'on posait devant lui, et n'en fit qu'une bouchée jusqu'à l'os, qu'il remit sur l'assiette. Le page qui vint pour la lui ôter ne fut pas assez leste, et ne retira que l'os de cette aile de perdrix, ce qui fit rire Molière. Le prince lui ayant demandé la cause de sa gaieté : « Monseigneur (répondit-il), c'est que vos pages ne savent pas « lire, ils prennent un O pour un L. » On rapporte ce petit trait de plaisanterie, comme une chose rare chez un homme aussi grave que Molière.

Quand Molière voulut donner Georges Dandin, un de ses amis vint le prévenir qu'il y avait dans le monde un Dandin dont les infortunes conjugales étaient, en plus d'un point, semblables à celles du héros de sa pièce; et qui, s'il venait à se reconnaître dans ce personnage, pourrait, par l'influence de sa famille, non-seulement décrier l'ouvrage, mais encore se venger de l'auteur. Molière chercha le moyen de parer à ce coup et le trouva bientôt. Ce mari trompé était un des habitués de son théâtre; il s'approcha de lui la première fois qu'il l'y aperçut, et lui demanda en grâce de lui donner une heure, voulant, dit-il, lui lire une comédie et la soumettre à son jugement. Le confrère du mari d'Angélique s'empressa de lui indiquer le lendemain soir. Plein d'une orgueilleuse satisfaction, notre homme se mit à publier l'honneur que Molière lui faisait, et à convoquer pour l'heure dite toutes les personnes qu'il connaissait. Le lendemain Molière arriva, fit sa lecture, recueillit les applaudissements de chacun; l'hôte surtout se fit remarquer par une bruyante admiration, et, quand la pièce fut jouée, il s'en montra le plus chaud prôneur.

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