페이지 이미지
PDF
ePub

n'est peut-être pas encore arrivé que l'on ait donné exactement le même nom à deux frères. Pour les appeler en famille ce serait une gène continuelle. Lorsque cela arrive, c'est que le premier enfant est mort quand le second vient au monde. Toutefois, on ne trouve pas sur le registre de la paroisse Saint-Eustache qu'il soit mort aucun enfant à Jean Poquelin, de 1622 à 1624; mais le premier enfant peut avoir été mis en nourrice et être mort dans l'endroit où il se trouvait. Il est même à peu près certain que Marie Cressé, la mère de Molière, n'allaitait pas ses enfants, puisqu'il lui en arrivait un chaque année. Ainsi, il y a quelque raison de supposer que l'acte de naissance que l'on regarde présentement comme appartenant à Molière, est celui de son premier frère mort en bas âge; et s'il faut absolument, pour lui rapporter un des actes de naissance connus, admettre qu'il ait changé son nom de baptême, que Jean-Baptiste est un nom de fantaisie, il serait peut-être mieux d'adopter l'acte de naissance de Louis, le second fils, qui, par suite de la mort du premier enfant, devenait l'aîné de la famille, à moins que l'on ne sache ce que Louis Poquelin est devenu. Du reste, si Jean Poquelin, né en 1622, mourut en nourrice, jamais on n'en trouvera l'acte de décès, parce que l'église n'indiquait pas le nom des enfants qu'elle enterrait, et que très-probablement elle mentionnait seulement le nom des personnes chez lesquelles ils mouraient.

On peut demander maintenant par quelle raison on regarde Jean, né en 1622, comme étant Molière, plutôt que Jean, né en 1624? Trois motifs auront pu guider dans cette détermination; mais il est néanmoins fâcheux d'être obligé de choisir, parce que c'est toujours une preuve d'incertitude. Voici ces motifs : le premier, c'est que Molière dut avoir la survivance de la charge de son père en vertu du droit d'aînesse, mais s'il était né en 1620, à ce titre la charge lui revenait; le second, c'est qu'il semble convenable de se rapprocher de l'ancienne tradition, bien que ce soit accorder un peu de crédit à cette dernière, et que, dans ce cas, on ne voie pas ce qui empêcherait de lui en accorder beaucoup; le troisième, c'est que Molière obtint la survivance de la charge de son père en 1637, que, s'il était né en 1624, il n'avait que treize ans, et qu'à cet âge on est trop jeune pour obtenir une charge, tandis que, né en 1622 et ayant quinze ans, il commençait à être plus capable de faire un service. Deux années de différence ne sont rien sur l'âge d'un homme fait, mais pour un jeune homme c'est beaucoup. Toutefois, il ne semble pas, même à quinze ans, que l'on puisse faire le service de valet de chambre

du roi. A dix-sept ans, suivant l'ancienne tradition, cela devenait possible.

Au xviie siècle, sauf dans des cas très-rares, peut-être quand les tribunaux l'exigeaient, on ne paraît pas avoir eu besoin de produire des actes de naissance pour contracter les engagements que l'on prenait; on doit croire que la notoriété publique suffisait. D'où on conclut que Molière, de son vivant, s'il était né avant le mariage de ses parents, aura pu encore passer pour un enfant légitime, et voici comment. Si Molière naquit en 1620, sa mère se sera retirée à la campagne pour faire ses couches, elle y aura laissé son enfant en nourrice, elle sera revenue à Paris et se sera mariée. Neuf mois après un second fils lui arrive, et, au bout d'environ un an, cet enfant meurt. Alors, en faisant revenir de la campagne l'enfant naturel, on l'aura présenté comme étant celui qui était né neuf mois après le mariage: le public pouvait accepter cette petite supercherie sans s'en douter, et Molière se trouvait ainsi légitimé. Les proches parents seuls auront pu avoir connaissance de cette substitution; mais, comme aucun intérêt personnel n'aura réclamé qu'ils s'y opposassent, ils l'auront laissé passer. Seulement, quand il s'est agi de dresser l'arbre généalogique de la famille des Poquelin, on se sera abstenu d'y comprendre l'enfant naturel, non plus peut-être que le second fils, s'il mourut en nourrice. L'arbre généalogique de la famille des Poquelin était entre les mains de Bret en 1773, et l'on ignore si, depuis lors, d'autres auteurs ont pu en prendre connaissance. Il est à regretter que Bret n'en ait pas donné une copie; elle eût été probablement d'un grand secours pour éclaircir le doute qui existe sur l'époque de la naissance de Molière. Mais Bret ne pouvait prévoir l'embarras dans lequel on s'est jeté de nos jours, de sorte qu'il s'est borné à dire que J.-B. Poquelin ne figurait pas sur ce document: c'était alors tout ce qu'il y voyait d'important. On suppose généralement que les Poquelin ont omis Molière à cause de son état de comédien; mais ce motif paraît insuffisant, car, d'une part, si Molière était comédien, de l'autre, il était valet de chambre du roi, en crédit à la cour; il avait une grande renommée comme écrivain, et jouissait de la considération de tous les hommes les plus élevés et les plus distingués de son temps, ce qui pouvait bien faire compensation au préjugé qui existait contre son état. De plus, l'arbre généalogique se dressait au commencement du XVIIe siècle, la renommée de Molière était alor sdans toute sa splendeur, les descendants de sa famille pouvaient pas rougir d'un parent comédien qui n'était pas de

ne

leur temps, et, tout au contraire, ils devaient être fiers d'avoir dans leur famille un des hommes les plus célèbres que la France ait produits. D'où on conclut que si Molière ne fut pas compris dans la généalogie des Poquelin, c'est qu'il n'était pas légitimement de la famille. Arrivons maintenant au nom de sa mère.

D'après l'acte de mariage de Jean-Poquelin, sa femme se nommait Marie Cressé; dans l'acte de mariage de Molière, Jean-Poquelin reconnut Molière pour son fils et pour le fils de son épouse feue Marie Cressé. Il ne semble pas, d'après une telle déclaration, que l'on puisse douter du nom de la mère de Molière, et que Grimarest n'ait commis une erreur en disant qu'elle se nommait Boudet. Cependant ce dernier acte ne suffit pas encore pour donner une intime conviction que Marie Cressé ait été la mère de Molière; voici pourquoi :

Dans ce même acte de mariage de Molière, les Béjart, entraînés par une fausse position dans laquelle ils se trouvaient, ont tous menti, ainsi qu'on le verra à l'article de Mme Molière. Qui sait si le père de Molière, par hasard, ne se trouvait pas dans une position analogue à la leur, et s'il n'a pas fait comme eux ? Par exemple, si Molière était né, en 1620, de Jean Poquelin et d'Anne Boudet; que cette dernière fût morte; que Jean Poquelin se soit ensuite marié à Marie Cressé; que le premier enfant de son mariage soit mort en nourrice; que l'on ait substitué au défunt l'enfant naturel, comme on l'a expliqué précédemment, ce que Marie Cressé pouvait accepter sans répugnance : alors Molière devenait aux yeux du public un enfant légitime; et quand il se sera marié, son père n'aura pas voulu se rétracter. L'hypothèse que l'on vient de faire est peu probable; mais enfin rien ne prouve que le fait supposé soit impossible : puisque les parents de la femme mentaient, ceux du mari pouvaient en faire tout autant !

Le grand-père de Molière se nommait Jean; son fils, successeur de la charge de valet de chambre du roi, très-probablement par primogéniture, se nommait Jean; le premier enfant légitime de ce fils, né en 1622, se nommait Jean. En raison de ces trois exemples, et, si l'on pouvait encore examiner l'arbre généalogique de la famille des Poquelin, on y verrait peut-être que ce nom de Jean, chez les Poquelin, était dévolu à tous les chefs de famille en ligne directe. Or, si cela était, on pourrait regarder comme certain que le chef de famille légitime, né le 15 janvier 1622, n'était pas Molière; car si c'eût été lui, il n'eût jamais changé son nom de Jean contre celui de Jean-Baptiste.

Tout ce que l'on peut conclure de la dissertation ci-dessus, c'est

que

les circonstances de la naissance de Molière ne sont pas encore connues d'une manière positive; mais, comme on lui rapporte présentement l'acte de naissance du 15 janvier 1622, et qu'il faut éviter, autant qu'on le peut, de faire à cet égard de nouveaux changements, on doit conserver cette date tant que l'on n'aura pas la preuve évidente qu'elle est fausse; seulement il faut, pour être conséquent, dire que Molière se nommait Jean, dit Jean-Baptiste. Enfin, pour satisfaire les lecteurs qui désirent trouver une opinion arrêtée, voici tout ce que l'on doit croire: comme certain, c'est qu'il était fils de Jean Poquelin; comme probable, c'est qu'il naquit en 1620 et qu'il se nommait JeanBaptiste.

Du reste, si l'on vient de critiquer la date du 15 janvier 1622, présentement adoptée, la faute en est peut-être à ceux qui l'ont admise les premiers. Ils n'ont pas sans doute, à ce sujet, formulé leur opinion à la légère; ils devaient posséder des renseignements à l'appui: il fallait donc, pour convaincre le lecteur et pour faire adopter leurs vues, produire ces renseignements. Ils devaient bien prévoir qu'il ne pouvait suffire, pour qu'on les crût sur parole, de dire, tout simplement, que l'acte de baptême de Jean doit être considéré comme étant celui de Jean-Baptiste, d'autant plus qu'avec la meilleure foi possible tout le monde peut se tromper.

Ainsi, Beffara, le seul auteur connu pour avoir cherché l'acte de naissance de Molière, aurait pu dire jusqu'où ses recherches se sont étendues, parce que s'il avait tout vu il n'y avait plus rien à faire: mais enfin on sait maintenant à quoi s'en tenir sur ce sujet. M. Ch. Hervey, possesseur d'une nombreuse collection d'autographes, ayant eu l'obligeance de donner communication d'une lettre de Beffara du 8 mai 1830, adressée à M. Aimé Martin, on a vu qu'à cette époque Beffara n'avait poursuivi ses recherches que sur environ la moitié des registres des paroisses de Paris, et, en conséquence, on a entrepris immédiatement de les compléter.

Tous les enfants légitimes du père de Molière, depuis le 27 avril 1621, étant connus, les contemporains disant que Molière naquit en 1620, et son entrée au collége, à la fin de 1635, donnant à croire qu'il ne dut pas naître de beaucoup avant 1620, on s'est contenté de commencer les recherches au mois de juin 1619 et de les arrêter en mai 1621. On a vu les registres de toutes les anciennes paroisses de Paris, au nombre de 46, et l'on peut assurer présentement qu'il ne s'y trouve, dans l'intervalle de temps précité, aucun enfant baptisé Jean-Baptiste dont le père ait été un Poquelin, ou bien la mère une

Cressé ou une Boudet. Dans le registre de Saint-Germain-le-Vieil il se trouve une lacune qui comprend les années 1619 à 1621; mais, malgré cette lacune, on est convaincu que Molière n'a pas été baptisé à Paris, ou bien qu'il ne reçut pas le nom de Jean-Baptiste.

Un auteur dit que le second frère de Molière, marié à Anne de Faverolles, eut 16 enfants. Quel était ce frère? Comme l'auteur pense que Molière naquit en 1622, il veut sans doute désigner Jean Poquelin né en 1624; mais peut-être eût-il été bon de le spécifier; il était surtout important de dire si ce mari d'Anne de Faverolles était fils de Jean Poquelin et de Marie Cressé: car, si l'on ne connaît pas son père, ce pouvait être un cousin et non un frère de Molière; il fallait d'autant mieux s'expliquer que Jean Poquelin, né en 1624, épousa Marie Maillard le 16 janvier 1656, et que l'on cite un autre Jean Poquelin, peu connu, né en 1629 ou 1630, sans compter celui de 1622; enfin, dans tous les cas, il eût été bon d'indiquer le document où l'on avait puisé, afin que l'on pût y recourir.

Personne ne dit si des recherches ont été faites sur les registres de la banlieue de Paris, ni sur ceux des alentours; toutefois, comme elles étaient difficiles, il est à croire qu'on les aura négligées. On ne pouvait faire personnellement une opération de ce genre; il fallait, pour y arriver, adresser une circulaire à tous les maires pour les prier de voir sur les anciens registres si, du 1er juin 1619 au 1er juin 1621, il naquit un enfant nommé Jean-Baptiste, fils de Marie Cressé ou d'Anne Boudet. Or, bien que, dans chaque localité, cette recherché puisse se faire en moins d'une demi-heure, il est à supposer que les maires n'auraient pas tenu compte d'une circulaire de cette espère adressée par le premier venu. L'arbre généalogique de la famille des Poquelin doit encore exister; si on pouvait le retrouver, on y verrait peut-être qu'aucun des actes de baptême des enfants de Jean Poquelin, nés après 1621, ne peut appartenir à Molière.

Quand on découvre un fait et qu'on le signale pour la première fois, on devrait faire connaître exactement tout ce qui s'y rapporte, ou bien dire si l'on ne sait rien de plus, parce qu'alors, dans de certains cas, le fait annoncé ne devient plus qu'une conjecture. Si l'on agit autrement, le lecteur ne sait plus à quoi s'en tenir. Voici un exemple où l'on verra qu'à défaut de renseignements suffisants, on peut supposer des erreurs; il s'agit des frères et des sœurs de Molière, désignés, par divers auteurs, ainsi qu'il suit :

JEAN, né le 15 janvier 1622 (MOLIÈRE), premier enfant de Marie Cressé ;
Louis, né le 6 janvier 1623;

« 이전계속 »