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répétés. la musique des intermèdes composée par Lulli, enfin la pièce représentée à cinq lieues de Paris, sur un théâtre qui n'était pas celui dont on avait l'habitude, où il fallait apporter les objets de toilette, et le tout en cinq jours! la pièce est très-courte il est vrai; néanmoins la crédulité la plus complaisante recule devant une pareille assertion.

L'Impromptu de Versailles est cité comme ayant été composé en huit jours. Il est certain que cette pièce fut faite à Paris, puisqu'elle était de circonstance; mais qui sait si Molière, qui devait avoir le désir d'exercer une vengeance, ne la méditait pas déjà depuis quelque temps? Et quand une bonne occasion de la produire s'est présentée, peut-être alors, pour en profiter, aura-t-il seulement accéléré son travail. Au surplus, cette pièce n'est qu'en un acte; il ne fallait pas beaucoup de temps pour la composer ni pour l'apprendre, d'autant plus que ce n'est qu'une conversation. Quoi qu'il en soit, il paraît très-certain que Molière écrivait avec une extrême facilité; seulement il est prudent de se méfier de ce que l'on regarde comme étant merveilleux on n'a pas intention de vouloir prouver autre chose.

La troupe de Molière, en province, eut toujours de grands succès; les autres troupes de campagne ne pouvaient rivaliser avec elle. Par exemple, à Lyon, en 1653, Molière trouva une troupe qui s'y était établie avant la sienne; il lui enleva promptement son public, et cette autre troupe fut obligée de se dissoudre; c'est alors que les Duparc, les Debrie, Ducroisy et Lagrange se joignirent à Molière. A Rouen, en 1658, la troupe de Ducroisy eut le même sort. D'où pouvait provenir cette supériorité? Elle ne pouvait résulter du talent des artistes qui la composaient, puisque les autres troupes renfermaient également des acteurs et des actrices très-distingués; tels que : Duparc, Ducroisy, Debrie et leurs femmes, Brécourt, Lagrange, Jodelet, L'Epy et Mlle Beaupré, qui tous brillèrent ensuite dans la troupe de Molière. La supériorité de cette dernière troupe devait évidemment provenir de la bonté des pièces qu'elle jouait. Or, sauf les pièces de Molière, toutes les autres pièces étaient à la disposition des autres troupes, qui auraient pu en tirer les mêmes avantages que la troupe de Molière; c'était donc à ses propres pièces que Molière devait ses succès, et voici un exemple de l'effet qu'elles produisaient.

Le 24 octobre 1658, dans la salle des Gardes du Louvre, Molière fait représenter Nicomède, et l'auditoire reste assez froid; il admire seulement les grâces et la beauté des actrices. On joue ensuite le

Docteur amoureux, et tout aussitôt le ROI, charmé, autorise Molière à s'établir au théâtre du Petit-Bourbon : cette faveur avait été sollicitée d'avance par MONSIEUR. Ce n'était donc pas par le talent des artistes que cette troupe se distinguait, mais par le genre des pièces!

Molière, pendant les neuf années qu'il exploita la curiosité des provinces, retourna quelquefois dans les mêmes villes; dans plusieurs d'entre elles, il séjourna assez longtemps, telles que Rouen, où il resta six mois. S'il n'avait eu, pour alimenter son théâtre, que l'Etourdi et le Dépit amoureux, les seules pièces généralement admises pour avoir été faites en province, il est fort douteux qu'il eût pu soutenir ses succès, surtout dans des localités où le public ne se renouvelle pas, où la salle reste vide après cinq ou six représentations d'une même pièce, même dans les grandes villes; dans les petites, une seule suffit. Pour soutenir sa vogue et gagner de l'argent, Molière devait changer souvent son spectacle, et, pour cela, avoir un nombreux répertoire de ses propres pièces.

On verra que Molière employait Mile Beaupré quand il avait accidentellement besoin d'une actrice de supplément il lui donnait trois livres par représentation. Peut-on croire qu'une actrice apprenne un rôle pour une somme aussi modique? N'est-il pas plutôt à supposer qu'elle le savait d'avance? que, par conséquent, elle l'avait déjà joué, d'autant plus que Molière la prenait peut-être au pied-levé. Or, si elle l'avait déjà joué, ce ne pouvait être qu'en province : par exemple à Rouen, où elle faisait partie de la troupe de Molière ; d'où on conclut que l'Etourdi et le Dépit amoureux ne sont pas les seules de ses pièces connues que Molière ait fait représenter avant son installation au théâtre du Petit-Bourbon. On ne connaît que l'Ecole des Femmes dans laquelle Mlle Beaupré ait joué de cette manière; mais comme Molière l'employa plusieurs fois, il est possible qu'elle ait encore été utilisée dans d'autres pièces.

Enfin, dans la lettre de Chapelle adressée à Molière à Paris, en 1650, ou 1652, il est parlé de l'embarras que ce dernier éprouvait pour la distribution de SES RÔLES aux TROIS grandes actrices de la troupe : à quel titre Molière distribuait-il les rôles dans la troupe de Madeleine Béjart? Celle-ci l'en avait-elle chargé? Ou bien était-ce en qualité d'auteur qu'il le faisait? Si Mlle Béjart l'avait chargé de la distribution des rôles, il ne pouvait éprouver de l'embarras qu'à l'égard de DEUX actrices; car Madeleine Béjart, étant directrice, pouvait choisir le rôle qui lui plaisait sans que personne y pût trouver à redire; d'où on conclut que Molière ne pouvait être embarrassé à

l'égard de TROIS actrices, que quand il s'agissait de la distribution des rôles de ses propres pièces : donc, il en écrivait déjà!

D'après tout ce qui est dit précédemment, on voit que l'on peut supposer, avec plus ou moins de probabilité, les pièces suivantes comme ayant été faites et jouées en province : Amphitryon, l'Avare, le Bourgeois gentilhomme, le Cocu imaginaire, le Dépit amoureux, l'Étourdi, les Fâcheux, les Femmes savantes, les Fourberies de Scapin, Georges Dandin, le Malade imaginaire, le Mariage forcé, le Médecin malgré lui, Monsieur de Pourceaugnac, les Précieuses ridicules, Psyché, le Sicilien et le Tartufe. Trois autres comédies, qui ont été tirées des anciens auteurs étrangers, peuvent encore avoir été faites avant l'arrivée de Molière à Paris, savoir l'Ecole des Femmes, l'Ecole des Maris et le Festin de Pierre. Quant aux pièces que l'on peut regarder comme ayant été données à Paris pour la première fois, ce sont : les Amants magnifiques, la Comtesse d'Escarbagnas, la Critique de l'École des Femmes, l'Impromptu de Versailles, Mélicerte, dont il ne fit que deux actes, et la Princesse d'Elide, qui fut tirée d'une pièce espagnole. Donc il ne reste que trois comédies sur l'époque de la composition desquelles on ne possède aucun indice: Don Garcie de Navarre, l'Amour médecin et le Misanthrope, et encore la seconde est-elle tirée en partie d'une pièce italienne.

Les écrivains, du temps de Molière, s'occupaient fort peu du théâtre; une grande obscurité règne sur ce qui le concerne; mais, parce qu'on n'en a rien dit, on aurait tort de croire que certains faits, vaguement indiqués, ne s'y sont point passés. En pareil cas, il convient mieux de rester dans le doute et d'attendre des preuves pour ou

contre.

Au surplus, que Molière ait commencé tôt ou tard les chefsd'œuvre qu'il nous a laissés, cela ne change rien à sa gloire. Les explications précédentes ont seulement pour objet de faire comprendre que des faits rapportés qui, de prime-abord, semblent des erreurs, peuvent rentrer dans l'ordre des choses possibles, et qu'un trop grand amour du positif ne doit pas les faire rejeter; sauf le cas de preuves contraires. Du reste, on voit que toutes les opinions sont à peu près d'accord : les pièces auraient été commencées, jouées en province; mais elles n'auraient été amenées au point de perfection où nous les connaissons qu'à Paris. De cette supposition, on n'exclut ni l'Etourdi ni le Dépit amoureux, bien qu'ils soient en vers, parce que l'on a vu Molière, mème à Paris, modifier quelques-unes de ses

pièces après les avoir fait déjà représenter aux Fâcheux, il ajouta la scène du Chasseur; dans le Festin de Pierre, il changea la scène du pauvre; dans le Malade imaginaire, il modifia l'apostrophe de BÉRALDE à M. FLEURANT ; le Fagoteux était indubitablement le Médecin malgré lui, dont il changea tout au moins le titre. Psyché, le Tartufe joués d'abord en prose, très-probablement, furent ensuite mis en vers; enfin, dans les premières éditions de ses œuvres on voit des variantes; elles peuvent en partie venir de lui. Les pièces de Molière n'étant pas imprimées, il pouvait les modifier sans cesse; peut-être était-ce par ce motif qu'il ne voulait pas les faire imprimer. On sait qu'il ne fit imprimer les premières que malgré lui, et parce qu'on les imprimait à son insu. Molière disait : « Je n'ai jamais rien fait dont « je sois véritablement content. » Il devait donc toujours s'occuper du perfectionnement de ses œuvres; peut-être voulait-il attendre, pour les publier, qu'il n'y trouvât plus rien à refaire.

On prétend que les changements faits dans le Festin de Pierre ne viennent pas de Molière; mais les preuves que l'on apporte à ce sujet ne sont pas convaincantes. Lagrange, en 1682, publia les œuvres de Molière, ayant en main ses pièces déjà imprimées et tous les manuscrits de l'auteur; il dut profiter des unes et des autres. Or, si, comme on le suppose ici, Molière avait l'habitude de perfectionner toujours ses pièces, ses manuscrits devaient renfermer un grand nombre de variantes. Il pouvait même, quand il faisait représenter une pièce, bien qu'elle fût déjà imprimée, y apporter des modifications qui, alors, devaient exister dans ses manuscrits. Le Festin de Pierre ayant été suspendu, probablement par ordre, et peut-être à cause de la scène du pauvre, Molière, ne voulant pas perdre tout son travail, dut faire des changements à sa pièce afin de pouvoir la redonner plus tard. Quand Lagrange fit imprimer, il aura pris tout d'abord ce qui lui paraissait le mieux et aura pu se tromper; ensuite, quand la critique arriva, il aura recouru aux manuscrits pour y puiser les changements dont il avait besoin.

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